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Renault 19 : quand Billancourt apprenait l’allemand

Par Nicolas Fourny - 02/02/2021

C’est une époque où Renault allait bien et commençait à lutter contre son complexe d’infériorité vis-à-vis de concurrents moins biberonnés que la firme française à l’automobile populacière, conçue à l’économie et dépourvue de toute ambition qualitative. Les années 1990 s’annonçaient prodigieusement créatives, synonymes de conquête et de maturité conceptuelle. Il ne s’agissait plus simplement d’épater le chaland par l’innovation architecturale — le hayon de la R16 — ou stylistique — le coup de génie de la première R5. La Régie Nationale se mettait davantage à l’écoute des marchés d’exportation, là où il était nettement moins facile d’écouler des modèles qui, en France, se vendaient sans difficultés, à quelques exceptions près. Constructeur de tous les paradoxes, contrôlant à lui seul jusqu’à 40 % de son marché domestique mais croulant sous les dettes, auteur de succès historiques et initiateur de tendances mais souffrant d’une image plébéienne préjudiciable à son expansion dans un contexte d’ouverture des frontières, la firme du Point-du-Jour allait devoir se réinventer et c’est la R19 qui a symbolisé cette ambition inédite. Dernière Renault désignée par un nombre et premier modèle conçu sous l’égide quasi obsessionnelle de la qualité, cette berline qui peine à s’extraire de l’oubli est bien plus significative que son design volontairement anodin pourrait le laisser penser…

La fille de la crise

Il faut se souvenir. Sur la lunette arrière de certaines Renault, vers le milieu des années 1980, était apposé un autocollant en forme de méthode Coué et qui proclamait : « Moi je dis : Renault, c’est bien ! ». La Supercinq se vendait très correctement, même si elle ne reproduisait pas les scores staliniens de sa devancière mais, pour y parvenir, elle devait afficher des tarifs plus agressifs que celle de la 205, sa rivale désignée dont, pour des raisons mystérieuses que l’objectivité ne permettait pas de saisir, l’image était un peu plus valorisante — terme qui, par la suite, allait connaître une florissante carrière sémantique dans les services marketing de la plupart des constructeurs. En cette décennie 80 dont certains remugles ne sont guère réjouissants (Peter et Sloane au Top 50, grisaille socialiste, dévaluations en série, explosion du chômage, etc.), le drame de Renault c’était de se trouver associée à une réputation de quincailler, qui ne rendait pas justice au talent des ingénieurs et des stylistes de l’entreprise. De la sorte, ni la « poire » R14, pourtant due au talentueux Robert Broyer, ni la R11 avec sa bulle, son tableau de bord électronique et sa voix synthétique n’étaient parvenues à s’inscrire valablement dans le segment le plus concurrentiel d’Europe, dit « M1 », c’est-à-dire celui des compactes — autrement dit de la VW Golf, souveraine insolente et dominatrice que le hall 54 de l’usine de Wolfsburg voyait sortir à près de 4000 exemplaires par jour. Il ne fait aucun doute qu’un tel benchmark ait inspiré les responsables du projet X53, qui débuta un beau jour de novembre 1984, dans une entreprise en crise ouverte et qui aurait probablement fait faillite sans l’inlassable soutien du contribuable… Lorsqu’un navire doit affronter la tempête, l’heure est aux convictions solides, aux solutions éprouvées et c’est la raison pour laquelle le cahier des charges de la future 19 ne s’autorisa aucune fantaisie. Lancé dans les dernières années du règne de Gaston Juchet, le design Renault sollicita un consultant extérieur, Ital Design en l’occurrence, à qui l’on demanda manifestement de faire terne. Mission accomplie : quand la voiture fit son apparition officielle, à la fin de l’été 1988, l’Auto-Journal titra fielleusement : « Faite pour ne pas déplaire »…

Fini de rire, mes agneaux

Raymond H. Lévy, qui avait succédé à Georges Besse dans les tragiques circonstances que l’on sait, ne s’était pas privé pour critiquer publiquement le manque de fiabilité de sa R25 personnelle et il suffisait de comparer son habitacle avec celui d’une Audi 100 ou d’une Mercedes W124 pour mesurer le gouffre qualitatif qui séparait la voiture française de ses concurrentes d’outre-Rhin. Le raisonnement demeurait valable plus bas dans la gamme et une Ford Escort, aussi médiocre fût-elle sous d’autres aspects, paraissait plus robuste qu’une R11 — tant pis si cette dernière était globalement une meilleure voiture… Les outrances esthétiques vieillissent souvent plus mal que le classicisme et, de surcroît, le conservatisme d’une certaine clientèle ne favorisait guère la hardiesse et les expérimentations forcément hasardeuses. De tout ce qui précède, on peut aisément déduire que la 19 est bien l’enfant d’un constat : l’esprit de sérieux (qui n’équivaut pas forcément à la tristesse) devait désormais l’emporter et bannir les planches de bord en forme de râtelier à fusils ou les tachymètres à gros chiffres multicolores. Quel que soit l’angle sous lequel on le contemple, à l’intérieur comme au dehors, la neutralité revendiquée du modèle saute à la gorge de l’observateur et il est même possible qu’elle vienne la nouer de regrets, du moins avant qu’il ne s’avise de détailler l’objet. L’épaisseur du montant C, censée évoquer la solidité, ne vient pas de n’importe où — vous voyez à qui je pense… La visibilité et la luminosité y perdent ce que la consistance de l’ensemble y gagne. Le meuble de bord, monobloc, légèrement orienté vers le conducteur, n’a pas été conçu pour stupéfier le regard mais pour être commode à l’usage et se faire oublier (en l’espèce, le contrat est rempli). Nous sommes en présence de la quintessence de l’automobile raisonnable, de l’anti coup de cœur, de l’exact contraire d’une voiture d’ingénieurs : la 19 a été conçue en écoutant, avec une intensité possiblement excessive, les doléances de ses futurs acquéreurs.

La Renault 19 sera déclinée en 3, 4, 5 potes et même cabriolet

Une voiture « évolutionnaire »

Dans ces conditions, que l’auto — dont la fabrication se prolongea jusqu’en 2000 en Amérique du Sud — ait été produite à près de six millions d’exemplaires après avoir été, en 1989 et 1990, le modèle importé le plus vendu en Allemagne de l’Ouest, ne constitue pas une réelle surprise, tant elle correspondait aux attentes du marché. À cet égard, il est intéressant de comparer sa destinée avec celle d’une autre compacte européenne, sortie la même année que la 19 et dont la carrière dura à peu près aussi longtemps ; je veux parler de la Fiat Tipo, dont les parti-pris se situaient à l’opposé de la Renault : aussi radicale dans son style que la voiture française pouvait être banale, celle dont la plateforme fit long feu chez Alfa Romeo ou Lancia essuya un semi-échec, éprouvant de grandes difficultés à trouver des acheteurs en dehors de l’Italie. Voilà qui aura certainement conforté les partisans du moindre risque et il est vrai qu’au fil des ans, la 19 s’est taillé une belle réputation de fiabilité, ce que les différentes générations de Mégane lui ayant succédé furent bien en peine d’obtenir… Il faut dire que, sous le capot comme lorsque l’on s’intéressait au châssis, rien de bien nouveau ne venait exciter la curiosité des observateurs. Les moteurs étaient tous soit déjà connus, soit issus d’évolutions plus ou moins significatives de groupes préexistants ; et les trains roulants avaient, pour leur part, fait leurs classes sur les 9 et 11 depuis le début des années 1980. « Objectif : zéro défaut » clamait la communication du constructeur, qui entendait que ça se sache — jusqu’à la publication d’un très bel ouvrage de 150 pages dédié à la nouvelle venue et co-édité par Renault. Et il est vrai qu’en comparaison, la Peugeot 309 sortie seulement trois ans auparavant pouvait rougir de son habitacle, objectivement bâclé.

Un restylage « bio » pour la Renault 19

Französische Qualität

Malheureusement massacrée en 1992 par l’un des restylages les plus incohérents que Renault ait commis — greffer une calandre et des projecteurs inspirés du bio design sur une carrosserie aussi rectiligne, il fallait quand même le faire… — la 19 a toutefois connu un très beau parcours, privée de break mais allant jusqu’à proposer un cabriolet extrêmement agréable à utiliser, une version plus classique à 4 portes (Chamade), ainsi que le tout premier moteur à quatre soupapes par cylindre du Losange (Renault 19 16S) ! Supplanté par une Mégane dont les formes mollement organiques n’ont pas forcément mieux vieilli, le modèle a longtemps conservé des adeptes, convaincus par sa durabilité et le soin apporté à sa conception comme à sa fabrication. On était alors encore loin des crises d’hystérie électronique que les Renault du XXe siècle allaient infliger à bon nombre de leurs malheureux propriétaires et, d’ailleurs, les publicités du constructeur insistaient lourdement sur la fiabilité quasiment ferroviaire de l’engin. De nos jours, ce dernier n’est toujours pas capable d’accélérer votre rythme cardiaque mais l’auto a incontestablement de la substance et, comme toutes ses contemporaines, il n’en reste vraiment plus beaucoup, les plus rares étant probablement les attachantes TXI et Baccara (nettement plus originales qu’une 16s !). Machine humble et fidèle, elle planque d’incontestables qualités de fond sous l’anonymat de sa physionomie mais, si vous déboursez les quelques milliers d’euros qui vous permettront de vous en rendre propriétaire, gageons que vous ne serez pas déçu… à condition, bien entendu, de ne lui demander que ce qu’elle peut vous donner !

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