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Renault 18 Turbo : à réhabiliter d'urgence !

Par Nicolas Fourny - 31/10/2023

« Les responsables du projet se sont servis sur les étagères de la firme et y ont prélevé le quatre-cylindres tout alu de la R16 avant de l’affubler d’un turbocompresseur Garrett avec échangeur air-air »

De nos jours, nombreux sont ceux qui se gaussent de la R18 et des collectionneurs qui s’astreignent à en préserver les derniers exemplaires survivants. Incarnation de la familiale franchouillarde du début des années 1980, le modèle a, sans doute plus que d’autres, souffert à la fois de l’image populacière de son constructeur, de caractéristiques techniques peu affriolantes et de la médiocrité de sa finition. Gros succès commercial (plus d’1,6 million d’exemplaires produits), l’auto a pourtant, comme bien d’autres, totalement disparu du paysage, laminée dans l’indifférence générale par les primes à la casse successives et aussi par une ringardisation prématurée, due pour l’essentiel à une conception déjà datée lors de son apparition. Il n’en demeure pas moins que, dans sa version Turbo, et de façon inattendue, cette machine paradoxale aura été la toute première berline sportive française de l’après-guerre ce qui, à notre sens, devrait suffire à la réhabiliter…

Une Renault 12... en mieux

À la une de l’Auto-Journal du 1er octobre 1980, ce titre choc : « R18 Turbo, l’anti BMW » – surplombant un exemplaire de la fringante Renault affublé d’une teinte rouge délicieusement provocatrice (référence 705 pour les amateurs). À l’intérieur, on trouve un banc d’essai signé du légendaire André Costa, lequel ne lésine pas sur les qualificatifs élogieux à l’égard de la nouvelle Renault, dont il salue entre autres les performances, le freinage, la tenue de route et la direction. La BMW française, ça faisait un bon moment que la presse automobile hexagonale en rêvait, en particulier depuis qu’une certaine 323i avait, deux ans auparavant, défini les substrats de la berline sportive de moyenne gamme. J’en vois d’ici qui, quatre décennies plus tard, en rigolent encore, et ils ont tort : comme on va le voir, la 18 Turbo vaut infiniment mieux que la réputation dont elle continue de souffrir dans certains milieux. À leur décharge, il faut bien convenir que le modèle, comme l’écrit André Costa en préambule de son article, « n’a certes pas débuté sa carrière sous des auspices techniques spectaculaires ». C’est peu de le dire : présentée en mars 1978, la R18 est censée prendre la succession de la R12 alors déjà âgée de neuf ans et qui, elle non plus, n’avait pas particulièrement réjoui les amateurs de conduite dynamique, y compris dans son éphémère variante Gordini. Or, sous une physionomie dont la contemporanéité n’est pas niable, la 18 n’est rien d’autre qu’une 12 actualisée, mais qui en a hélas conservé les fondamentaux…

Heureusement, il y a le turbo

Traction avant avec moteur longitudinal implanté en porte-à-faux, la 18 n’a pas non plus renoncé à l’essieu arrière rigide de son aînée ce qui, à la fin de la décennie 70, commence sérieusement à faire tache, même si certaines rivales comme l’Audi 80 B2 ne sont pas mieux loties de ce point de vue. Malheureusement, les qualités routières de la Renault – par ailleurs très habitable, bien équipée et joliment présentée – ne sont pas à la hauteur de la plupart de ses concurrentes, à commencer par une Citroën GS datant pourtant de 1970. À son volant, mieux vaut donc s’en tenir à une conduite paisible, faute de quoi un sous-virage endémique et un roulis caricatural viennent très vite contrarier les ambitions du père de famille désireux de s’encanailler de temps à autre, sans parler des sautillements désordonnés du train postérieur sur revêtement dégradé, préjudiciables au confort postural des occupants de la banquette arrière. Contre-intuitivement, c’est à partir de cette base peu enthousiasmante que les ingénieurs de la Régie vont néanmoins travailler dans le but de définir une variante réellement sportive de la brave R18 – j’écris réellement car, à l’époque, les berlines françaises soi-disant « dynamiques » du genre GS X3 ou Peugeot 305 S ne font qu’effleurer le sujet et affichent des niveaux de performance sans rapport avec le typage qu’elles revendiquent. À Billancourt, il n’est pas question de se contenter de tels expédients, d’autant que les motoristes maison planchent sur un accessoire encore peu répandu mais très prometteur : le turbo !

Le calme des vieilles troupes

On s’en souvient peu de nos jours mais Renault a incontestablement été l’un des pionniers du turbocompresseur en Europe, au point que, dès 1983, pratiquement tous les modèles de la marque possédaient au moins une version suralimentée ! Certes, la R18 Turbo est arrivée plusieurs années après la BMW 2002, la Porsche 930 ou la Saab 99 mais, dans le cas d’un constructeur de masse, il s’agissait bel et bien d’une avancée significative et qui fera école. Dans la grande tradition du Losange, toujours prêt à des bricolages plus ou moins ingénieux, les responsables du projet se sont copieusement servis sur les étagères de la firme. Ils y ont prélevé le quatre-cylindres tout alu de 1565 cm3 bien connu des conducteurs de R16 et l’ont affublé d’un turbocompresseur Garrett avec échangeur air-air, placé en amont d’un carburateur Solex (l’injection, ce sera pour la R5 Turbo…). Toujours sous la plume d’André Costa, on apprend qu’en conservant un rapport volumétrique élevé de 8,6 « les ingénieurs ont obtenu une puissance « hors turbo » acceptable, ce qui offre le double avantage d’améliorer le rendement à bas régime et aussi de rendre moins sensible le contraste de puissance à l’instant de l’application de la suralimentation ». Dans l’absolu, conclut l’essayeur, si les 110 ch délivrés par le « Cléon alu » n’ont rien de mirobolant pour un moteur de cette cylindrée, la puissance maximale déboule dès 5000 tours/minute et le couple de 18,5 mkg est atteint à 2250 tours, soit à des régimes bien plus favorables que dans le cas du 1,6 litre de référence de l’époque, c’est-à-dire le moteur de la VW Golf GTi, aussi puissant mais nettement moins souple…

Miracle à Billancourt

Évidemment, les chronos peuvent faire sourire aujourd’hui : l’Auto-Journal mesure la 18 Turbo à 183,5 km/h en pointe, tandis que le kilomètre départ arrêté est abattu en 31,5 secondes. En l’espèce, on est encore loin de la 323i, certes plus puissante de 33 ch (et sensiblement plus onéreuse). Mais en définitive, là n’est pas forcément le sujet : ces chiffres doivent être considérés tout d’abord en comparaison des R18 « civiles » – par rapport auxquelles les progrès sont bien sûr éloquents – et, en second lieu, des berlines françaises les plus entreprenantes du moment, l’auto se révélant par exemple bien plus rapide qu’une 20 TX avec des exigences en carburant nettement moindres. De surcroît, le comportement général de la voiture n’est pas en reste et témoigne d’une amélioration d’autant plus méritoire si l’on considère les déficiences des autres R18, singulièrement pour ce qui concerne la motricité, qui demeure toutefois correcte malgré l’importance du couple disponible. À cet égard, André Costa précise : « Sur route sèche, seule une accélération puissante sur les intermédiaires à la sortie d’une épingle en mauvais état entraînera des réactions vraiment désagréables ». Un bilan somme toute assez proche de ce que l’on avait déjà pu constater l’année précédente lors de l’apparition de l’Audi 200 5T, à l’architecture globalement comparable. En relisant ces lignes plus de quarante ans après, il apparaît qu’on est tout de même encore assez loin de l’efficacité d’une bonne propulsion menée comme il convient, mais la 18 Turbo défriche vaillamment un chemin qui, sept ans plus tard, aboutira à la 21 semblablement gréée, et dont la M3 E30 se souvient encore…

Encore accessible… mais pas pour longtemps

Porte-drapeau d’une gamme tentaculaire (on verra même des breaks à quatre roues motrices) et diffusée jusqu’aux Amériques, la Turbo n’évoluera que peu durant les cinq années de sa carrière, conservant jusqu’au bout un accastillage puissamment suggestif qui aura suffi à lui conférer une véritable personnalité esthétique. L’arrivée d’un moteur de 125 ch, en 1983, constitue la principale amélioration apportée au modèle, par ailleurs opportunément disponible en break dès le millésime 1982 et, de façon plus surprenante, avec une boîte automatique. Selon l’ouvrage de référence de Jean-Luc Armagnacq, La Renault 18 de mon père (éditions ETAI), la plus puissante des R18 a été construite à un peu moins de 70 000 unités (dont seulement 3262 breaks !) mais, à l’heure où ces lignes ont été écrites, sur un site de petites annonces bien connu, on n’en trouvait que trois à vendre… Pour les amateurs de curiosités, à partir de 1984 le marché suisse a eu l’exclusivité d’une 18 Turbo à injection Bosch L-Jetronic, développant 112 ch (combien ont survécu ?). À l’heure actuelle, le modèle fait partie de ces autos dont la cote n’est que peu révélatrice de la réalité du marché. Devenu rarissime, il fait l’objet d’un nombre limité de transactions mais l’on rencontre ponctuellement des amateurs éclairés prêts à investir des sommes que d’aucuns pourraient juger déraisonnables pour l’acquisition – voire la restauration – d’un bel exemplaire. Vous l’avez compris, c’est le moment d’acheter : irréfutable jalon dans l’histoire de Renault, l’auto recèle une véritable valeur patrimoniale et demeure plaisante à conduire, avec des sensations merveilleusement datées ; et elle ne restera pas éternellement aussi accessible. Un peu comme pour ce qui est en train de se passer dans le cas de la BX, les sourires narquois ne tarderont pas à s’effacer et à laisser la place aux jérémiades habituelles quand la cote commencera à monter. On sait tous comment finit l’histoire du vilain petit canard…

1565 cm3Cylindrée
110 chPuissance
185 km/hVmax



Texte : Nicolas Fourny

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