Renault 11 : la boule à neige
On aurait pu titrer « Quand Renault paraphrasait Citroën ». Il fallait oser utiliser le chiffre « 11 » pour désigner une auto. « T’as quoi comme auto toi ? — Ben une 11 — La légère ? L’AL ou la BL ? — Mais non nigaud, la dernière de chez Renault, avec une bulle, j’te dis que ça ! » Et pour leur succéder, Renault n’y était pas allé de main morte non plus. Comme chez Citroën, plus de 30 ans auparavant, la 19 avait remplacé la 11. Mais, 11, quel chiffre ingrat, à peine au-dessus de la moyenne. Cela n’a pas empêché cette jumelle compacte de la 9 de traverser les années 80, celles des montres à cristaux bleus, des baladeurs Sony, du Minitel et des TGV orange. Tiens, l’annuaire sur le Minitel, c’était 3611, comme la Renault. Fuego, 11, 25, la singularité de ces autos reste leur bulle coiffant la malle comme un couvercle de châsse. On aurait aimé avoir la taille d’un Gargantua des autos pour les remuer et voir la neige retomber à l’intérieur.
Renault 9 et Renault 11, n’en cherchez pas, elles ont disparu
Ces autos sont comme les huîtres. On disait naguère ne pas les consommer les mois sans « R ». Des Renault « R quelque chose », on ne risque plus d’en consommer. Elles le furent tant, usées jusqu’à la corde, rincées, déclassées, « déprimées » par les fameuses primes à la casse auxquelles on attribue autant de responsabilité qu’aux chocs pétroliers sur la mutation automobile du presque demi-siècle écoulé. Et puis Renault a choisi la voie des néologismes pour désigner ses autos. Le 1er avril 1983 débute la commercialisation de la Renault 11, qui succède à la 14 plus qu’elle ne la remplace.
Les étals des constructeurs sont pourvus d’abondance. C’est le temps des VW Golf, des Ford Escort, des Opel encore Kadett, des Lancia Delta, mais aussi des dernières Simca-Talbot Horizon, des dernières Fiat Ritmo et Alfasud. Le moteur F 1,7 litre à arbre à cames en tête vient équiper la Renault 11 dès l’automne 1983 et, six mois plus tard, en septembre, la gamme ouvre deux voies. L’une vers la motorisation « branchée », l’inévitable Turbo, l’autre vers la dieselisation qui avance d’ores-et-déjà à pas cadencé, avec les GTD et TDE. Au printemps-été 1985, le turbo équipe aussi la 5 portes et, rationalisation oblige, les 9 et 11 sont dotées d’un grand nombre d’équipements de détail communs. La phase 2, selon la terminologie locale, occupe le dernier tiers de la décennie, les 9 et 11 sont rapprochées et la turbo atteint 115 ch.
C’est quoi en fait une R11 ?
Où situer la Renault 11, voiture de service et non statutaire, objet d’accession à la mobilité individuelle, une auto familiale, quotidienne, consommée, choisie, changée, passée par la regratterie du marché de l’occasion avant l’ossuaire du casseur ? Le duo R9/R11 couvre la décennie 80, de 1981 à 1989 pour la première et de 1983 à 1989 pour la seconde, produite à partir de 1983. En 8 années, Renault a fabriqué 3,2 millions d’exemplaires de la R9 et, en 6 années, 3,1 millions d’exemplaires de la R11. En fait de duo, voilà une pratique renouvelée chez Renault, ici en doublant une tricorps conventionnelle dans la filiation de la Renault 12 dont la production nationale avait cessé en 1980 mais perdura encore 19 années en Turquie. Et là, une compacte dans la filiation de la déjà ancienne Renault 6, pour ne pas remonter à la Renault 16 plus haut de gamme. De même, durant les années 1960-1970, Renault avait déployé des binômes, les R8 et R10 ou encore ceux des coach et coupé R15 et R17 et des berlines R20 et R30.
C’était entendu et convenu : les R9 et R11 venaient clore le prétendu échec, poncif inusable, de la Renault 14 produite à près d’un million d’exemplaires en 7 années entre 1976 et 1983, en une seule carrosserie et deux cylindrées approchantes. Même la presse d’alors le disait : « Elle devrait [la R11] s’imposer petit à petit, même aux yeux des Français. Après avoir été abandonnée par ses parents, la 14 est morte d’inanition, la 11 est donc appelée à la remplacer « (Bernard Carat, L’Auto-Journal, n° 6, 1er avril 1983, p. 45). Au-delà des 9 et 11, la seule Renault 19 approchera les 6 millions d’exemplaires, en douze années, de 1988 à 2000, en berline compacte, tricorps, et coach à l’instar de celles-ci mais en ajoutant un cabriolet. L’embryon de gamme autour d’un modèle-noyau fut déployé à partir de la Mégane de première génération, au moyen d’une berline compacte et tricorps, d’un break, d’un cabriolet et d’un monospace. La Renault 11, situable dans cette chaîne de définition de la production automobile de grande consommation, appartient au registre des grosses productions millionnaires contemporaines. Il a fallu 13 années à la R5 pour peser près de 5,6 millions d’exemplaires, 31 années pour les plus de 8 millions de R4, 16 pour les près de 5,3 millions de Peugeot 205. Les 12 millions de Peugeot 206 fabriquées en 11 années, de 1998 à 2009, sont inscrits dans une production mondialisée.
L’intérieur futuriste d’une Renault TSE ElectronicHayon lumineux
Le parti général de la Renault 11 l’associe à la cohérence du design des berlines Renault de la première moitié de la décennie, comme vingt ans plus tard s’établit le rapport, chez Citroën, entre les C3, C4 et C6. Toutes proportions gardées, la R11 est apparentable visuellement à la réussie Renault 25, commercialisée l’année d’après la sortie de la R11. Le hayon à bulle, amplifiant le procédé initié sur la R16 de 1965, abondait la luminosité de l’habitacle et emplissait la fonction pratique. Une Renault 11 de jeune couple installé devait recevoir la poussette pliante et les provisions familiales vite chargées sur les parkings des centres commerciaux. Le vaste hayon effaçant les montants y pourvoyait, malgré le haut seuil d’accès. La lunette à bulle des années 80 fait écho au pare-brise panoramique de la fin des années 50, vu au moins sur les coupés et cabriolets Simca Aronde.
La Police Nationale eut droit à ses Renault 11 « pie »S’il fallait chercher une origine vraisemblable à ce procédé de vitrage d’automobile, l’Arista, conçue en 1963 par Jacques Durand — l’homme des Jidé — pour Jacques Gaillard, ferait l’affaire. Mais sa bulle était en plexiglas. On oserait convoquer le hayon de la Maserati Mistral de 1963 dont la verrière amorce un pliage latéral. Le style Renault, conduit par Gaston Juchet, est à l’initiative de ce procédé industrialisé sur la Fuego de 1980 par Robert Opron. Mais Porsche y recourait en 1976 sur la 924. Le pliage, encore, de la verrière, vu aussi sur la lunette arrière des breaks Citroën GS, fond le vitrage dans la carrosserie ainsi continuée. Et cette distinctive bulle venait donc coiffer l’arrière de la berline R25 statutaire. La Vel Satis du début du siècle disposait d’une baie panoramique vue d’ailleurs sur les breaks 407. Dans le camp d’en face, la Peugeot 309 de 1985 est bâtie sans équivoque sur le même patron que la R11, hayon à bulle compris.
Banale, puisqu’elle reste dans son ban, dans son monde
Le coach Renault 11 fait écho à la Renault 15 des années 70. La calandre à quatre phares, rectangulaires en l’occurrence, répète le dispositif des phares ronds des Renault 17 ou des Renault 30 précédentes. C’est plus cossu. La courte caisse de la 11 est façonnée au moyen de trois bandes horizontales, deux en méplat encadrent une gorge. La bande inférieure, au niveau des boucliers, reçoit les protections en matière synthétique ou le motif énergique à l’emblème « Turbo ». L’aile arrière peu échancrée renforce l’unité de la caisse. L’horizontale affine le tableau avant, au contraire des feux en chandelle aux angles du tableau arrière. Deux bandeaux horizontaux, rapportés à la hâte de part et d’autre de la plaque minéralogique, prolongent ces feux tricolores en trois rangs d’écailles superposées.
Le grand capot, tendu lisse, ferme le logement du moteur en couvercle comme le hayon à bulle enveloppe l’accès au coffre. Le format de l’auto impose l’exercice difficile de définition d’une berline compacte à cinq portes en moins de 4 mètres de longueur. Ainsi, le coach offre-t-il plus d’efficience visuelle, alors que les quatre portes latérales saturent le dessin. La R5 quatre portes, ou la concurrente directe de la R11, la Peugeot 309 ex-Simca, sortie à l’automne 1985, étaient aussi gênées par cette exigence d’ouverture maximale sur des surfaces contraintes et limitées. Une auto de service, c’est comme un cadeau. L’exceptionnel, on l’emballe, l’utilitaire, c’est pour servir tout de suite. On ne peut compter que sur le détail pour distinguer un tant soit peu une compacte moyenne d’une autre.
La Renault 11 reçut 8 puissances en 5 moteurs
Le moteur aux trois noms, « Sierra », « Bloc C », devenu « Cléon fonte » est repris de la R12, entre autres, et installé en position transversale comme sur la R14. Les deux cylindrées, 1 108 cm3 48 ch (C1E) et 1 237 cm3 55 ch (C1G), à carburateur simple corps, suffisent aux modèles de base. Voilà des puissances aujourd’hui disparues. Une Twingo actuelle commence à 65 ch. Le 1 397 cm3, à carburateur double corps, sort en trois puissances très proches, 60 ch (C1J), 68 ch et 72 ch (C2J). Au troisième étage, le moteur F (F2N) de 1 721 cm3 atteignit 82 puis 90 ch, d’une phase à l’autre, soit une croissance de 46 % entre le 1,1 litre de base et le 1,7 litre de l’autre bout du catalogue. Le C1J 1 397 cm3, muni d’un turbocompresseur Garrett T2, définissait la R11 Turbo du printemps 1984, avant la R9 de juillet 1985. La distinction a fait retenir les anecdotiques Turbo Zender ou Ferry et la raillée dès sa sortie 11 Electronic, façon montre à quartz des temps d’avant l’informatique embarquée. Le cinquième moteur était encore une curiosité au début des années 80. Le moteur F8M de 1 595 cm3 sortait 55 ch alimentés au gasoil.
La Renault 11 Turbo en survêtement, après avoir enfilé son kit ZenderLa longévité des composants techniques entre en contradiction avec la généalogie des modèles commercialisés. Dans sa version première, le « Cléon-fonte » de l’ingénieur René Vuaillat, L4 à arbre à cames latéral, équipait la Floride S de 1962-1963 et la R8. Cette même base, rééquipée, atteignit les Super 5, Express, R19, Clio I, puis II, Mégane et Scenic, Kangoo I et Twingo. Voilà un moteur durable pour des modèles voulus changeables par nécessité commerciale dont le marché façonne les rythmes. Les commerciaux avaient de l’ouvrage pour vendre les variantes de Renault 11, y compris dans leurs versions d’appel rehaussées d’autocollants à peu de frais et d’anglicismes faciles, Spring et Broadway.
La Renault du « tournant de la rigueur »
« La R11 — voiture subterfuge » titrait André Costa dans son éditorial de L’Auto-Journal du 1er avril 1983. L’industrie automobile française souffrait de retards structurels et de vagues de grèves associées. Il fallait faire la soudure en attendant de disposer de moyens à même de déployer suffisamment de R&D pour sortir des modèles pertinents, surtout en regard de la concurrence allemande ou japonaise. L’éditorialiste, souvent redouté, mettait du sel sur la plaie : « J’emploie le mot subterfuge alors que j’aurais pu tout aussi bien utiliser les termes palliatif, pis-aller, voire pirouette. Enfin l’heure n’est plus aux illusions. Les constructeurs n’ont plus d’argent. Qu’est-ce qu’une Renault 11 sinon une Renault 9 adroitement adaptée ? Un nouvel arrière, une nouvelle décoration intérieure, et, surtout, une planche de bord électronique destinée autant à parler qu’à faire parler d’elle et le tour devait être joué ! Par rapport aux investissements nécessaires pour la sortie d’un modèle réellement nouveau, l’économie est considérable ». Le propos est sévère en ces