De nos jours, rassembler un moteur suralimenté, une transmission intégrale et une carrosserie décapotable dans une 911 n’a plus rien d’extraordinaire : presque tous les flat six contemporains sont turbocompressés et les quatre roues motrices sont disponibles aussi bien en coupé qu’en Targa ou en cabriolet. Toutefois, il n’en allait pas de même à l’aube des années 1980 et c’est la raison pour laquelle le concept-car « Studie » exposé sur le stand Porsche au Salon de Francfort 1981 a fait couler beaucoup d’encre à l’époque. Ainsi gréée, la 911 dont certains avaient proclamé l’obsolescence se projetait résolument dans l’avenir, et chacun a compris alors que les innovations que recelait ce prototype ne resteraient pas sans lendemain. Certes, leur concrétisation et leur application en série auront demandé du temps mais, avec le recul, ce véhicule expérimental ressemble furieusement à un manifeste esthétique et ingénierial qu’il est passionnant d’inventorier !
Une vieille dame qui revenait de loin
Si vous visitez le musée Porsche sis à Zuffenhausen (au n°1 de la Porscheplatz – vous ne pouvez pas vous tromper d’adresse !), il est possible que l’une des nombreuses 911 exposées retienne plus particulièrement votre attention même si, de prime abord, la voiture s’apparente à un cabriolet Turbo de série démuni de son aileron arrière. Un examen plus approfondi vous permettra vite de démentir cette première impression car, au vrai, il s’agit là d’un exemplaire unique dont les caractéristiques méritent d’être détaillées. Cette 911-là constitue en effet un jalon essentiel dans la renaissance du modèle, dont la décennie précédente devait marquer le chant du cygne mais qui, contre toute attente, est parvenu à survivre en dépit de la prétendue senescence de sa conception et de l’offensive menée par son propre constructeur sur la base des fameuses « PMA » (Porsche à moteur avant) conçues sous la férule du professeur Ernst Fuhrmann et qui, à terme, étaient censées avoir la peau de l’ancêtre. Cependant, dès l’arrivée de Peter Schutz à la tête de l’entreprise en janvier 1981, les choses changent : très vite, la 911 SC retrouve des couleurs en passant de 188 à 204 ch puis, à l’automne de la même année, Porsche dévoile le prototype qui nous intéresse aujourd’hui !
Le premier cabriolet 911
En premier lieu, l’auto surprend dès l’abord ceux qui la découvrent – c’est le cas de le dire – car, pour la première fois dans l’histoire de la 911, il s’agit d’un cabriolet, formule abandonnée par Porsche plus de quinze ans auparavant, lors de la disparition de la 356. Bien sûr, la Targa apparue en 1966 s’était chargée de combler les désirs des amateurs de conduite cheveux au vent mais, à l’instar des autres découvrables à arceau dont il fut l’inspirateur, le modèle ne répondait que très partiellement aux attentes des amoureux du « vrai » cabriolet. Or, la 911 « Studie » exposée à Francfort confirme ce que chacun pressentait : le sublime dessin dû à « Butzi » Porsche s’accommode tellement bien de cette transformation que l’auto semble viscéralement née pour se muer en cette décapotable intégrale qui, somme toute, reprend les ingrédients de feue la 356, avec cette ligne pure, à peine perturbée par la légère proéminence de la capote repliée dans son logement, entre les places arrière et le compartiment moteur. Par surcroît, par son réalisme délibéré (à l’opposé par exemple de la Panamericana de 1989) la voiture ne ressemble pas à ces concept-cars dont le futurisme confine à l’abstraction et qui, à l’époque, pullulent à Turin ou Genève.
Un prophète
Bien au contraire, la « Studie » est une réalisation très aboutie qui, au demeurant, reprend l’accastillage déjà connu dans les 911 SC ou Turbo commercialisées à ce moment-là, ce qui accrédite l’hypothèse d’une construction en série. Las ! En réalité, l’auto est une sorte de démonstrateur dont la fiche technique ne sera jamais reproduite en l’état sur les 911 de la série G, même si l’ensemble des innovations qu’elle recèle intégreront très progressivement le catalogue de la firme, à commencer bien entendu par la carrosserie de l’engin : dès l’automne de 1982, le cabriolet SC est commercialisé des deux côtés de l’Atlantique puis, à partir de 1984, l’option « Turbo look » devient disponible avec la carrosserie ouverte. En revanche, il faudra attendre 1986 pour que la Turbo soit disponible sous cette forme, puis 1989 pour qu’elle reçoive une boîte à cinq rapports – après quoi cette combinaison disparaîtra jusqu’à l’avènement du cabriolet 996 Turbo, en 2004, qui agrégeait enfin toutes les singularités de la « Studie » présentée près d’un quart de siècle plus tôt. À cet égard, le premier cabriolet 911 4×4 Turbo apparaît comme une machine d’avant-garde, même si, à n’en pas douter, Porsche aurait très bien pu accoucher d’un tel modèle dès la génération 964, pionnière de la transmission intégrale en série à Zuffenhausen – si l’on excepte la prodigieuse 959 – qui aura donc demandé quatre années de mise au point.
C’était déjà demain
La scénographie du musée Porsche permet au visiteur de s’approcher d’assez près de l’auto – suffisamment en tout cas pour l’examiner en détail. L’absence d’aileron entraîne la suppression de l’échangeur air-air, d’où une puissance réduite de dix chevaux par rapport à la Turbo de série. La signature de Ferry Porsche apposée sur les appuie-tête présente le charme de l’exclusivité mais l’essentiel est ailleurs : sur la console centrale, les connaisseurs repèrent immédiatement une commande inhabituelle et dont la réalisation fleure bon l’artisanat. Il s’agit d’un commutateur rotatif activant le blocage du différentiel, dont on retrouvera le principe, sous une forme modernisée, dans la 964 dévoilée en 1988. Par ailleurs, le levier de vitesses raccourci surplombe un tunnel moquetté trahissant la présence de l’arbre de transmission connecté à l’essieu avant. Pour le reste, ceux qui connaissent les 911 « à air » ne seront pas dépaysés, le bloc instrumental et le mobilier de bord étant identiques à ceux de la Turbo contemporaine. Si l’on se replace dans le contexte, la définition de l’auto – si d’aventure elle avait été commercialisée – l’aurait laissée absolument sans rivale, ni BMW, ni Mercedes, ni Audi, ni Ferrari ni qui que ce soit d’autre n’étant alors en mesure de rivaliser avec une telle proposition. Pour de longues années encore, les cabriolets de 300 ch à quatre roues motrices allaient rester cantonnés dans le territoire des rêves les plus sulfureux, mais il revient à Porsche le mérite de leur avoir donné une première traduction concrète !
Texte : Nicolas Fourny