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Peugeot 604 GTi : Madame est morte

Par Nicolas Fourny - 25/08/2018

Est-il encore besoin de présenter la 604 ? Tout le monde, ou presque, connaît son histoire — que vous pouvez retrouver ici. Et, à première vue, c’est une histoire plutôt lugubre et désenchantée : aux ambitions plus ou moins flamboyantes des débuts ont vite succédé toute une série de cruelles désillusions dont, au fil du temps, chacun a pu prendre connaissance avec des sentiments variés, allant de la sincère consternation à cette joie mauvaise que certains éprouvent lorsqu’un constructeur français se prend (une fois de plus) les pieds dans le tapis du haut de gamme. À cette aune, le collectionneur d’aujourd’hui pourrait spontanément se détourner d’un modèle a priori peu désirable ; pourtant, au sein de cette gamme quelque peu souffreteuse, plusieurs variantes sont tout à fait dignes d’intérêt et, en particulier, la plus aboutie de cette série, nous avons nommé la GTi !

Elle est entrée au cimetière en chantant

La vie commerciale des automobiles ne s’achève pas toujours sous les meilleurs auspices — c’est-à-dire en conservant jusqu’au bout les modèles de pointe qui assurent fréquemment à eux seuls l’attractivité d’une série tout entière. Chez Peugeot en particulier, un vieil usage veut que, dans la plupart des cas, les voitures de la marque terminent leur carrière dans le dénuement, ne conservant que des modèles de base sous-motorisés et à l’équipement réduit. Tel fut le triste destin des 404504 ou 505 mais, curieusement, la 604 obtint le privilège de conclure son itinéraire d’une tout autre manière, en proposant à une clientèle pourtant devenue très clairsemée une forme d’apogée technique. Celle-ci prit la forme d’une GTi assez inattendue dans son appellation comme dans son agenda, puisque présentée alors que la berline franc-comtoise était déjà entrée en agonie et que personne ne s’attendait, de la part de son constructeur, à cet ultime soubresaut. Rappelons brièvement les faits : présentée en 1975 sous la forme d’une SL à deux carburateurs, la 604 à essence — les versions Diesel évoluant dans un univers très différent — a connu plusieurs évolutions durant la décennie qui s’ensuivit, au premier rang desquelles, dès 1977, l’adoption de l’injection et d’une boîte à cinq vitesses dont l’absence n’était d’ailleurs guère compréhensible. À ce stade de notre étude, il convient de rappeler qu’hormis quelques rares versions SR réservées à l’administration et animées par le quatre-cylindres 2 litres de la 504, la voiture n’aura connu qu’un seul moteur : le célèbre et controversé V6 PRV !


La malédiction du PRV

Ah, le PRV… À la vérité, peu de moteurs auront fait couler autant d’encre (et de litres de carburant, persifleront les mauvaises langues). Chez Peugeot, l’objet aura fait son apparition dès l’automne de 1974, sur les coupés et cabriolets 504, avant d’équiper la 604 quelques mois plus tard. Avec seulement 136 chevaux « au frein » pour 2 664 cm3, le rendement s’avérait quasiment misérable et déjà dépassé par des réalisations plus anciennes. Mal équilibré par la faute d’un vilebrequin amputé de façon sommaire, car prévu pour le V8 initialement dessiné, le PRV cumulait un certain nombre de défauts que la presse de l’époque ne se priva pas de répertorier : consommation excessive, ralenti boiteux, performances quelconques et, par-dessus le marché, une sonorité certes plus agréable que celle d’une DS 23 (que le regretté André Costa comparait volontiers à celle d’un piano désaccordé) mais très éloignée des meilleures réalisations italiennes ou allemandes en la matière… La 604 SL V6 — tel était son nom de baptême officiel — souffrait également d’approximations qui fleuraient bon les restrictions budgétaires typiquement sochaliennes. La finition générale ne dépassait pas celle d’une 504 Ti et, malgré la présence d’une option « cuir » de qualité tout à fait honorable, l’atmosphère du bord, faite de plastiques quelconques et de vis apparentes, ne correspondait que très parcellairement au luxe attendu. Incapable de rivaliser valablement avec les Mercedes W123 ou les BMW série 5 et pas plus performante que la Citroën susnommée, alors à son couchant, il n’est pas excessif d’affirmer que la grande Peugeot incarna le premier épisode d’une longue série de déceptions.

GTi, vous dites ?

Dans ces conditions, Peugeot n’eut d’autre choix que de remettre son ouvrage sur le métier afin de reconstruire une crédibilité que la corrosion s’était chargée de ruiner par ailleurs. Malheureusement, les priorités de l’entreprise, à partir des années 1978/1979, laissèrent la 604 V6 dans la plus funeste des solitudes. Le rachat de Chrysler Europe et la reconstruction de la gamme Citroën jetèrent en effet le groupe PSA dans des difficultés sans précédent et, de la sorte, le destin d’une grande routière à essence, prématurément vieillie et forcément difficile à écouler entre deux chocs pétroliers, se retrouva nécessairement marginalisé, les efforts de la marque s’orientant résolument vers une 505 moins coûteuse, plus moderne et pas moins performante, notamment lorsqu’elle se transforma en une Turbo Injection tout à fait capable d’engager la conversation avec une certaine BMW 528i…

C’est la raison pour laquelle, à la rentrée 1983, l’apparition de la 604 GTi surprit plus d’un observateur. Remplaçant une STi dont la définition était figée depuis déjà six ans — 2 664 cm3 toujours, mais 144 chevaux obtenus grâce à une injection Bosch K-Jetronic —, la nouvelle venue, quasiment identique à sa devancière sur le plan esthétique, témoignait cependant d’une évolution plus profonde qu’il n’y paraissait. En premier lieu, le V6 (aux intonations toujours étranges à bas régime) avait subi un réalésage, passant de 88 à 91 mm, la course de 73 mm demeurant inchangée. Cela aboutissait à une cylindrée de 2849 cm3, celle-là même que Volvo utilisait déjà depuis plusieurs années sur ses 260 et 760, ainsi que DeLorean sur son éphémère DMC-12. La puissance progressait de façon modérée pour atteindre désormais le chiffre de 155 chevaux à 5 750 tours/minute — soit encore trente de moins qu’une Mercedes-Benz 280 E contemporaine… — tandis que le couple, toujours obtenu à 3 000 tours, passait quant à lui de 22,1 à 24,2 mkg. De son côté, le pont arrière gagnait un différentiel à glissement limité et les pneumatiques étaient désormais des 195/60, en 15 pouces, qui meublaient de façon un peu plus convaincante des passages de roues jusqu’alors plutôt surdimensionnés…

Dix ans de retard

Évidemment, il y a trente-sept ans, une comparaison froide et objective des fiches techniques de la 604 GTi et de ses rivales potentielles ne risquait pas de bouleverser la hiérarchie des valeurs déjà établies à ce moment-là. L’année précédente, l’Audi 100 « C3 », avec son aérodynamique soignée, sa qualité de fabrication de haut vol et son valeureux cinq-cylindres, avait démodé la plupart de ses concurrentes. Pour sa part, la Peugeot, avec son Cx d’armoire normande, ses quatre phares aussi hiératiques que strictement verticaux, ses chromes et ses arêtes vives, ressemblait à ce qu’elle était — c’est-à-dire à un dessin Pininfarina de la fin des années 1960, complètement hors de propos au moment où la Renault 25 s’apprêtait à envahir les cours d’honneur des ministères.

Toutefois, une automobile ne se juge pas uniquement à la faveur de données chiffrées et — peut-être avec un excès d’indulgence, voire de nostalgie — certains journalistes accueillirent la GTi plutôt favorablement, constatant à l’unanimité que c’est ainsi gréée que la voiture aurait dû naître près de dix années plus tôt ! Bien entendu, les qualités routières de la 604 avaient vieilli mais elles demeuraient dans une bonne moyenne, ainsi que le remarqua notamment Michel Salusse, dans un remarquable essai paru dans Auto Hebdo en décembre 1983 ; c’est d’ailleurs probablement la dernière fois que la berline Peugeot connut les honneurs d’une couverture de magazine à soi seule… Certes, les onze chevaux supplémentaires ne permettaient pas de rallier le Pérou mais ils avaient le mérite d’exister et, de surcroît, ils accompagnaient un châssis dont le comportement avait sensiblement progressé. Entre une SL de 1976 et une GTi de 1985, l’écart n’est pas spectaculaire mais il est immédiatement perceptible pour qui prend le soin de conduire successivement les deux modèles. Il n’empêche qu’il s’agit bien là d’une évolution à la Peugeot d’autrefois, c’est-à-dire plutôt laborieuse et dans l’incapacité d’émouvoir réellement.

À la recherche du temps perdu

Quand on l’examine dans le détail, la 604 V6 (et en particulier la GTi qui nous intéresse ici) apparaît comme un véritable totem des insuffisances et de la pusillanimité des constructeurs français. Presque à tous les niveaux, en termes de qualité de finition, d’ambition mécanique, de capacité d’innovation, il a toujours subsisté une ou plusieurs lacunes, la plupart du temps légères et pas difficiles à combler ; il est à la fois excitant et désolant d’imaginer ce dont une 604 mieux motorisée (par exemple avec le très réussi PRV à manetons décalés apparu sur la 505 dès 1986), mieux protégée contre la corrosion et bénéficiant d’une finition plus élaborée aurait pu se montrer capable. Hélas ! la capacité et la volonté ne s’expriment pas toujours depuis les mêmes rivages… Sérieusement conçue, l’auto dévoile volontiers des vertus injustement dissimulées par son échec commercial et une réputation peu enviable. De nos jours, elle constitue néanmoins l’archétype de la berline à redécouvrir : d’une élégance merveilleusement datée, offrant un confort postural exceptionnel, très habitable, agréable à conduire et ne manquant pas de ressources, c’est une machine attachante que beaucoup de gens méprisaient il y a vingt-cinq ans mais qui, grâce notamment aux passionnés du Club 604 International, a su trouver sa place dans le monde de la collection. Sa cote n’en fera jamais un sujet de spéculation, mais cela n’empêche pas les grincheux habituels de pleurnicher sur son augmentation, timide mais régulière : un plancher de 4 000 euros est désormais la norme pour trouver un exemplaire sain — GTi ou non, les écarts n’étant pas significatifs d’une version à l’autre. Croyez-en mon expérience personnelle, l’essayer, c’est l’adopter…

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