Peugeot 406 : une BMW à la française
De nos jours, quand on évoque la 406, la plupart des gens songent avant tout au coupé. À cela, rien de surprenant : dès son apparition, le dérivé deux portes dessiné et assemblé par Pininfarina a rassemblé à peu près tous les suffrages et fait figure de futur classique — ce qu’il est devenu aujourd’hui. Cependant, quand une gamme propose une carrosserie aussi désirable, les autres variantes se retrouvent fréquemment promises à la pénombre et même à l’oubli. Pourtant, la berline et le break, forcément plus populaires dans l’esprit, n’ont pas exclusivement reçu des motorisations soporifiques à vocation utilitaristes. D’où le titre de cet article qui, j’en suis sûr, va certainement provoquer quelques ricanements, voire même des protestations émanant sans coup férir d’individus qui n’ont gardé que le souvenir de la consternante série des « Taxi », dont la médiocrité des scénarios était tout à fait indigne de l’élégance de la voiture. À présent que le tuning sauvage s’en est détourné, le moment est venu de préserver les dernières survivantes encore intactes d’une génération aux abondants mérites !
Vingt-cinq ans après
À l’automne de 1995, celle que beaucoup de journalistes attendaient sous l’appellation « 506 » fait ses premiers pas et, en dépit de dimensions en sensible augmentation par rapport à sa devancière, les responsables du projet choisissent de perpétuer la série des 400 — sans doute afin de ne pas faire trop d’ombre à une 605 à la destinée suffisamment douloureuse pour ne pas en rajouter… Dans un premier temps, la 406 se présente sous la forme d’une berline trois volumes aux proportions classiques et qui reprend, dans leurs grandes lignes, les thématiques de la 405, mais en les densifiant. Dans l’ouvrage que Christophe Bonnaud lui a consacré (éditions Roger Régis), le regretté Gérard Welter, alors responsable du style extérieur chez Peugeot, raconte la passionnante genèse de l’auto : « Il s’agissait pour nous de dessiner une berline tricorps et, dans ce cas, nous avons apporté comme toujours une grande importance aux proportions et à l’équilibre de nos propositions. Côté technique, on nous demandait un peu plus d’habitabilité, alors nous avons modifié nos maquettes et, au final, nous cassions cet équilibre si important. Nous, au contraire, nous voulions quelque chose de beaucoup plus dynamique et nous décidons alors de maquetter notre fameux « joker », une voiture un peu en dehors du cahier des charges. Ce nouveau projet est plus bas, plus sportif, plus racé et dispose de porte-à-faux très réduits. Nous pourrions aujourd’hui le comparer à ce que produit BMW. Nous baissons le pavillon, dynamisons l’avant avec un capot plus bas et mieux raccordé et, finalement, nous le présentons après avoir révélé nos autres maquettes. (…) Roland Peugeot intervient alors en confirmant que c’est celle-là qu’il faut faire. » De fait, même si la maquette d’origine exhalait un typage sportif encore plus prononcé, la voiture définitive semble mieux assise sur la route que la 405, dont elle a banni les fragilités. Elle parvient à incarner une certaine robustesse mais sans renoncer à la latinité de ses proportions — est-ce le meilleur des deux mondes, une sorte de compromis idéal entre la solidité, vertu cardinale importée d’outre-Rhin, et la grâce traditionnellement associée aux voitures françaises et italiennes ?
Thérapie de couple
Toujours est-il que la nouvelle familiale du Lion va très vite connaître un grand succès, dû non seulement à un design opportun et idéalement charpenté mais aussi à des qualités routières de référence qui, aujourd’hui encore, n’ont que peu vieilli. Comme souvent, le châssis apparaît surdimensionné lorsqu’il est combiné aux besogneuses mécaniques d’entrée de gamme principalement destinées aux professionnels ou aux particuliers avant tout soucieux de préserver leur budget — un peu comme pour une 316i ou une 318tds, en somme… Néanmoins, Peugeot ne va pas se contenter des 135 chevaux du quatre-cylindres 2 litres XU qui coiffe très provisoirement la gamme et qui, en raison d’un poids en nette hausse, ne délivre que des performances moyennes. C’est ainsi que, dès le millésime 1997, deux autres moteurs vont jouer le rôle de locomotives ; comme les constructeurs allemands l’ont compris depuis belle lurette, il n’est pas question de réaliser des volumes de ventes significatifs mais de renforcer l’image du modèle.
En premier lieu, on assiste à la présentation de la 406 Turbo — contrairement à la 605 identiquement motorisée, elle n’a pas recours à un badge ésotérique du genre SVti ou SRti mais reprend la version optimisée du groupe XU10 J2TE. Optimisée car, on s’en souvient sans doute, lors de sa commercialisation en 1993, ce moteur avait suscité de nombreuses critiques découlant d’une mise au point bâclée, se traduisant notamment par des irrégularités de fonctionnement peu compatibles avec le standing revendiqué. Rien de tout cela avec la 406 ainsi gréée. Ne disposant que de deux soupapes par cylindre, l’auto s’inscrit sans ambiguïté dans la catégorie des turbo « basse pression », dont le propos ne consiste pas à aller chercher la puissance pure mais à afficher la courbe la plus plate possible (d’où la judicieuse dénomination de ce même moteur chez Citroën : C.T. pour constant torque ou « couple constant »). Avec 150 chevaux à 5300 tours/minute, on ne peut pas dire que la progression soit ébouriffante par rapport à la 2 litres « normale » mais, en revanche, le couple transfigure littéralement la voiture : de 18,7 mkg à 4 200 tours/minute, on passe à 24,5 mkg à 2 500 tours. À l’usage, la différence de caractère est très perceptible : malgré une puissance identique aux dernières 405 Mi16, la Turbo se comporte de façon substantiellement divergente et se destine aux feignants qui n’aiment pas triturer leur levier de vitesses à chaque instant de leur existence et apprécient de pouvoir repartir à 40 km/h en quatrième sans susciter de protestations superfétatoires de la part de la mécanique.
Véloce, mais soiffarde
Naturellement, les grincheux ne loupent pas l’occasion de faire remarquer que, même si la 406 Turbo dispense un agrément de conduite très convaincant et des performances dignes d’une 320i (et même meilleures en reprises), son moteur n’est rien d’autre qu’un cache-misère destiné à compenser l’incapacité de PSA à combler le gouffre existant entre son XU et le V6 3 litres qui s’apprête à entrer en scène. Contrairement à BMW, Alfa Romeo ou Mercedes-Benz, le constructeur franc-comtois ne dispose en effet d’aucun six-cylindres dans la catégorie des 150 à 170 chevaux et, à cette époque, c’est là une pesante lacune pour une firme qui clame à qui veut l’entendre qu’elle désire monter en gamme. Toutefois, comme le font remarquer les essayeurs du Moniteur Automobile, la consommation du J2TE est bien celle d’un six-cylindres et c’est sans doute ce qui explique la courte durée de vie de cette variante, qui ne survivra pas au restylage intervenu en 1999 — désavoué par Welter, ce dernier fut confié à Pininfarina pour la partie avant et à Heuliez pour l’arrière.
La Turbo, peu identifiée par le public car modérément soutenue par la publicité comme par le réseau de son constructeur, se voit de surcroît éclipsée par l’irruption de la V6, dès le Mondial de Paris 1996. L’arrivée d’un nouveau V6 français, c’est un événement à peine plus fréquent que le passage de la comète de Halley et l’on comprend donc fort bien l’émoi que suscite le successeur du vénérable PRV lorsque Peugeot décide d’en nantir la 406. Réservé depuis 1975 aux routières du type 604 et 605, le six-cylindres descend pour la première fois en gamme et, à l’encontre de son prédécesseur, ses caractéristiques ne font sourire personne. Certes dépourvu de tout système sophistiqué du genre BMW VANOS (pour variable nockenwellensteuerung, c’est-à-dire un système de distribution variable agissant sur l’arbre à cames d’admission), le V6 « ES9 » présente pourtant une architecture conforme aux attentes — ouvert à 60 degrés, il reçoit d’emblée des culasses à quatre soupapes par cylindre — ainsi que des valeurs tout à fait respectables et ses 194 chevaux rivalisent sans peine avec les 328i ou C 280 contemporaines, sans parler de l’imminente Alfa 156 qui ne va plus tarder à restaurer la crédibilité du Biscione dans ce segment aussi étroit que prestigieux. Comme de juste, cela n’empêche pas une partie de la presse spécialisée de faire la fine bouche ; après avoir — souvent injustement — vilipendé le PRV de longues années durant et réclamé un moteur moderne à cor et à cris, elle accueille la 406 sommitale avec un enthousiasme mesuré.
La meilleure des Peugeot ?
Or, le modèle est certainement l’une des meilleures berlines françaises de l’après-guerre. S’il ne bouscule aucune référence en termes de puissance au litre, son V6 lui assure des performances d’un excellent niveau, tandis que les trains roulants témoignent du savoir-faire de l’ingénierie sochalienne. Pas plus sous-vireuse qu’une très bonne propulsion, la 406 respecte la tradition maison avec un train arrière à peine moins mobile que celui d’une 405. On peut bien sûr la mener de façon très smooth — ce que feront l’immense majorité de ses utilisateurs — mais, pour ceux qui aiment véritablement piloter, l’auto ne demande qu’à être bousculée et demande un certain bagage pour pouvoir être exploitée à l’orée de ses limites. Autant dire que la marge de sécurité est considérable pour le conducteur moyen ; la voiture est également très à l’aise sur l’autoroute, son insonorisation étant sans grand rapport avec les beuglements mécaniques dont se souviennent très probablement les propriétaires des premières 405…
Proposée par surcroît dans une finition SVE comportant une sellerie cuir d’excellente qualité et — malheureusement — des applications de faux bois à peine moins atroces que ceux d’une Ford Mondeo Ghia, la 406 V6, proposée aussi bien en berline qu’en break (mais aussi dans le très réussi 406 Coupé), est passée à côté de sa carrière. Elle n’aura évolué que timidement en recevant, en 2000, l’ES9 J4S ; cette évolution du V6, confiée au bureau d’études Porsche, verra le moteur français recevoir enfin un calage variable des arbres à cames d’admission, la puissance passant pour l’occasion à 210 chevaux. Dans cet équipage, la berline 406 atteint un équilibre réjouissant en procurant un Freude am Fahren typiquement Peugeot et que le constructeur n’atteindra plus jamais, ni sur une 407 alourdie, ni sur une 508 tout bonnement privée de V6…
Le parfum de l’invisible
Avant de longuement s’en remettre, pour ses moteurs à essence, à la sempiternelle série des moteurs THP co-produits avec BMW, Peugeot nous a gratifiés, avec la famille des quatre-cylindres EW, d’une série de mécaniques très honorables qui n’ont certes jamais remporté la moindre récompense du type Engine of the Year mais qui, pour autant, ont atteint une forme d’idéal mécanique avec la déclinaison EW12 J4. D’une cylindrée exacte de 2 231 cm3, c’est le premier quatre-cylindres à essence du groupe PSA à s’être aventuré au-delà de la frontière des deux litres depuis la disparition de la Citroën CX en 1991. Dans la 406, il assure brillamment la succession du 2 litres turbo que nous évoquons plus haut. Moins coupleux et muni d’un déphaseur d’admission, il n’offre que dix chevaux de plus mais conserve une souplesse très appréciable alors que ses deux arbres d’équilibrage luttent très efficacement contre les phénomènes vibratoires. On le trouve entre autres sur la très recommandable version ST Pack Sport, à laquelle les jantes de 206 S16, l’instrumentation cerclée de chrome (comme dans le coupé), la sellerie et les applications décoratives spécifiques confèrent un caractère aisément jubilatoire. À notre sens, si les consommations du V6 ou de la Turbo vous effraient, c’est sans conteste la 406 à collectionner en priorité !
D’une manière générale, à l’heure actuelle les 406 berlines et breaks commencent à se raréfier sérieusement et il devient d’autant plus difficile de trouver une Turbo, une V6 ou une 2.2 en bon état. Ce sont des machines bien construites et sérieusement conçues mais, comme pour n’importe quelle automobile, le fait de tomber entre des mains impécunieuses ou négligentes a pu les mener au pire. Leur entretien n’est pas coûteux, hormis le remplacement de la courroie de distribution sur le six-cylindres, le coût des pièces d’usure demeurant raisonnable. Et la cote se maintient au ras des pâquerettes, offrant un rapport prix/plaisir parmi les meilleurs du marché. C’est l’avantage des modèles au creux de la vague : occultées par un coupé lui-même très abordable, ces voitures n’ont pas le charisme d’une Série 3 et n’intéressent pour l’heure qu’une poignée d’amateurs éclairés ; le jour où les autres se réveilleront, il sera comme de juste trop tard. À vous d’en profiter, pendant qu’il est encore temps !