Peugeot 403 : âme fifties
Emprunté à Alain Souchon, ce titre semble avoir été tout exprès conçu pour rendre hommage à une automobile que chacun croit connaître mais qui, en réalité, dissimule des trésors d’espièglerie sous une robe que nous avons tous été encouragés à considérer comme forcément austère. La 403, c’était la voiture du notable de province, du chef d’entreprise prudent, du voyageur de commerce minutieux, du père de famille conscient de ses responsabilités. Il est vrai que sa contemplation n’incite pas spontanément aux grivoiseries routières que l’on pourrait plus volontiers attendre d’une Simca Aronde par exemple, compte tenu des appellations couramment suggestives de cette dernière — avec la sochalienne, inutile de s’attendre à des intitulés évocateurs du genre « Élysée » ou « Montlhéry » ; sobre jusqu’à la caricature, tout en retenue, la Peugeot demande à être pratiquée dans ses œuvres vives pour être véritablement découverte et appréciée. Soixante-cinq ans après sa présentation, qu’en reste-t-il ?
Une super 203 ?
Dans un numéro spécial de l’Auto-Journal paru il y a une trentaine d’années, le regretté André Costa écrivit que la 403 était une « sportive qui ne le savait pas ». Bien sûr, à la lecture des caractéristiques de performances de l’auto dans sa version originelle (58 chevaux, 135 km/h), les lecteurs d’aujourd’hui ne pourront réprimer un sourire en prenant connaissance d’une telle allégation — laquelle mérite toutefois d’être replacée dans son contexte. Présentée au Palais de Chaillot en avril 1955, la nouvelle berline du Lion ne remplaçait pas la 203 mais, selon l’habile politique du constructeur, entendait accompagner l’ascension sociale de sa clientèle. De la sorte, la 403, qui reprenait l’architecture et l’ensemble du schéma mécanique de son aînée, ne risquait d’effaroucher personne, à l’inverse de la DS qui s’apprêtait à entrer en scène. Propulsion, essieu arrière rigide comme de bien entendu, quatre freins à tambour non assistés : la fiche technique fleurait bon le conservatisme même si, par rapport à la 203, les progrès étaient nombreux lorsqu’on s’attachait à les détailler. En tout premier lieu, les capacités thoraciques du moteur avaient sensiblement augmenté, le passage de 1 290 à 1 468 cm3 ayant été obtenu par l’allongement de la course. De la sorte, la voiture grimpait d’un cran dans la hiérarchie fiscale en devenant une 8 CV — ce qui avait son importance non seulement au moment de s’acquitter de la vignette annuelle mise en place dès 1956, mais aussi en termes de promotion sociale, dans un pays où les deux automobiles les plus populaires étaient justement désignées par leur puissance administrative. Plus rapide, plus nerveuse et bénéficiant d’évolutions bienvenues propices à l’amélioration des qualités routières — avec, en particulier, une implantation mécanique légèrement modifiée —, la familiale Peugeot n’avait rien négligé pour fidéliser un public qui, après avoir subi l’amertume paradoxale de la reconstruction, les tensions sociales de l’après-guerre et les affres de la décolonisation, s’apprêtait à se vautrer dans les délices d’une société de consommation encore balbutiante, mais si prometteuse…
Discrètement innovante
Quoique plus longue de seulement douze centimètres que la 203, la 403 s’éloignait des rivages du vulgum pecus et devenait tout doucement statutaire, l’intégration des ailes avant et le choix délibéré d’une carrosserie tricorps se chargeant de ratifier la modernité comme l’embourgeoisement du modèle, solidement ancré, comme il se devait, dans son époque. Il ne s’agissait ni de s’arc-bouter contre toute idée de progrès ou de se réfugier dans un archaïsme frelaté, ni de s’aventurer trop loin sur les sentiers incertains de la nouveauté. Et, de fait, lorsqu’on compare la 403 à la gamme « D » du Quai de Javel (et notamment aux ID, plus directement comparables sur le plan des tarifs), l’impression dominante est celle d’une répartition plus ou moins tacite des rôles, entre la sagesse de l’une et la flamboyance de l’autre. Il est difficile d’imaginer que des clients potentiels aient pu, à l’époque, hésiter entre les deux formules, étant donné le gouffre qui les séparait dans à peu près tous les domaines, du schéma de transmission aux liaisons au sol, en passant bien entendu par le design.
Pour cette première Peugeot signée Pinin Farina, les responsables du projet avaient délibérément choisi de s’inscrire dans un classicisme rassurant, rejetant les propositions plus hardies de leurs propres stylistes, quitte à se faire refourguer par le carrossier italien, toute honte bue, un dessin anormalement proche d’autres réalisations contemporaines — au hasard, la Fiat 1400 — et ceux qui connaissent l’histoire de la longue collaboration franco-turinoise savent que ça n’allait pas être la dernière fois… Avec le recul du temps, les rondeurs caractéristiques mais mesurées de la 403 ont fini par acquérir le charme rétrospectif qui leur a peut-être fait défaut à l’apparition de la voiture. Les esprits peu éclairés confondent régulièrement banalité et sobriété ; à tout le moins, l’austérité revendiquée de la Peugeot aura certainement mieux traversé les années que les exubérances décoratives des Simca Vedette ou les galbes un peu trop affectés de la Renault Frégate.
Sous cette robe que l’on pourrait croire de bure, et contrairement à une 203 demeurée quasiment figée en douze ans de production, les évolutions furent légion, à commencer par l’irruption, au Salon de Paris 1959, d’une version Diesel qui annonçait la prépondérance à venir de la firme franc-comtoise sur un marché alors inexistant, les moteurs à huile lourde étant alors strictement cantonnés aux camions et aux utilitaires. Seule la Daimler-Benz s’était attachée à proposer ce type de motorisation, depuis la 260 D de 1936 mais, à l’orée des années 1960, Peugeot faisait quasiment figure de pionnier sur le marché européen, étant le premier constructeur généraliste à défricher un chemin sur lequel, pour paraphraser les Dupondt dans « On a marché sur la Lune », la main de l’homme n’avait pas encore mis le pied…
Robuste, mais pas seulement
Déclinée, comme les versions 8 CV à essence, en berline comme en dérivés longs (Familiale et Commerciale), la 403 D ne tarda pas à se tailler une jolie réputation de dure au mal, qui concernait d’ailleurs l’ensemble de la gamme. Et il faut bien reconnaître que, lorsqu’on interroge les collectionneurs d’aujourd’hui comme les acquéreurs d’hier quant aux qualités de fond du modèle, ce sont la robustesse, la solidité et la fiabilité générale qui sont citées le plus spontanément — à tel point qu’aux yeux de beaucoup de gens, l’identité de l’auto a fini par se circonscrire à ces notions, certes avantageuses pour l’utilisateur, mais évoquant davantage la rentabilité que l’émotion. Or, c’est faire litière d’un agrément de conduite évidemment daté — le comportement de l’engin étant assez éloigné de celui d’une BMW M4… — mais potentiellement jubilatoire pour peu que l’on sache s’en servir comme il convient.
Bien sûr, tout n’était pas rose et l’étagement de la boîte de vitesses fit l’objet de moult critiques jusqu’au millésime 1961 (c’est-à-dire plutôt tard dans la vie de la voiture), date à laquelle Peugeot consentit enfin à régler le problème par l’adoption de la boîte dite « C3 », identique à celle de la 404, permettant une meilleure exploitation des ressources du groupe motopropulseur ; lequel reçut, à partir de l’été 1957, le renfort de deux chevaux supplémentaires — point trop n’en faut ! —, par la grâce d’un débrayage à commande thermostatique du ventilateur. Parallèlement, à partir du mois de mars 1958, un coupleur électromagnétique Jaeger, transmission semi-automatique supprimant la pédale d’embrayage mais imposant au conducteur de continuer à sélectionner manuellement les rapports, fut livrable en option ; cet équipement ne rencontra pas un grand succès et fut supprimé à l’automne 1960 après avoir équipé de rares berlines et cabriolets.
Entre labeur et volupté
Car, à l’instar de nombreuses autres Peugeot, la 403 multiplia les variantes, afin de satisfaire les besoins — et les désirs ! — les plus divers. Il y a soixante ans comme aujourd’hui, l’auto se trouvait donc en mesure de combler l’artisan comme le sybarite, le notaire comme le directeur financier. Autour de la berline, un break très logeable, à l’empattement allongé de 24 centimètres, une fourgonnette puis un pick-up vinrent rapidement renforcer la gamme, sans parler d’une décapotable peu produite (à peine plus de 2000 exemplaires en cinq ans), fabriquée dans des conditions semi-artisanales et dont les caractéristiques (habitacle réduit à deux places, voire une de plus pour les courts trajets, intérieur cuir de série) comme le prix de vente (1 250 000 anciens francs à l’automne de 1957, contre 735 000 A.F. pour la berline de base) la destinaient à une tout autre clientèle que ses sœurs de gamme.
De nos jours, la 403, produite à plus de 1,2 million d’exemplaires, continue de rendre heureux les amateurs qui sont tantôt de jeunes passionnés — l’engin constitue une excellente porte d’entrée dans le monde de l’automobile ancienne —, tantôt des collectionneurs confirmés qui, assez souvent, s’emploient à rassembler l’ensemble des versions ayant existé. Les plus rares sont, outre le cabriolet, les utilitaires, taillables et corvéables à merci, usés jusqu’à la corde, voire même au-delà, et que l’on a détruits sans remords jusque dans les années 1980… Si l’auto vous attire, quelle que soit la version, vous ne serez pas déçu : même les très dépouillées 403 « Sept », au moteur de 203 et à la présentation simplifiée, recèlent le charme ambigu des âmes simples et cependant généreuses. À méditer à l’heure du choix…