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Mercedes-Benz 300 SL Roadster : En avant, calme et droit

Par CARJAGER - 21/07/2020

Il faudrait en finir avec les poncifs de l’érotisation des voitures et leur disqualification parce que l’univers des formes automobiles en est réduit à de telles facilités. Même l’alètheia  des Grecs est transposable à la culture automobile pour faire tendre vers une vérité contre l’opinion (la doxa). Les ingénieurs savent mieux que quiconque la vérité technique des choses comme les musiciens entendent une partition dès sa lecture. La Mercedes Benz 300 SL Roadster, ou W 198 II pour les initiés, était une voiture d’ingénieur et non une coquetterie, une réussite de grande dignité, de grande tenue technique et esthétique quand le constructeur dut quitter les circuits, couvert du sac et de la cendre en 1955.

300 SL Roadster : Un grand cru au classement de (19)55

Sur le stand du New York International Auto Show de 1954, sous la bannière de l’importateur Max Hoffmann, Mercedes-Benz présentait une 300 SL W198 I ensoclée sur une plateforme circulaire mobile fleurie, comme quoi la technique événementielle restait encore des plus prosaïques, et un roadster 190 SL, séparés du reste de la gamme par une clôture faite de poteaux à cordons. On touche avec les yeux. La 300 SL W 198 I était unique, la 190 SL, avait de la joliesse, mais il lui manquait de la branche. Trois années plus tard, au Salon de Genève de mars 1957, le constructeur présentait le roadster 300 SL W198 II prenant la succession du coupé historique et faisant cause commerciale commune avec la 190 SL W121 BII, jusqu’à leur trépas industriel en 1963.

En mai 1954, l’équipe de Friedrich Geiger (1907-1996) énonça des premiers tracés suffisamment convaincants pour que la mise en production soit ambitionnée. Début juin, deux prototypes furent projetés avant d’arrêter la procédure en fin d’année. Les historiens de la marque sauraient identifier les motifs de cette suspension, associables à d’autres priorités industrielles ou au programme de compétition. Mercedes Benz emporta le championnat du monde de formule 1 en 1954 avec la W 196 aux mains de Fangio, secondé par Stirling Moss réduit à la portion congrue des victoires, à 1 contre 9 sur 14 grands prix. Fangio doublera le triomphe en 1955. L’année 1955 fut l’année de la 300 SLR,  aux mains des mêmes, emportant  le championnat du monde des voitures de sport, mais semant la mort le samedi 11 juin au Mans à cause d’un enchaînement de circonstances de course, trois années après la victoire des 300 SL W198. Cette année-là, Mercedes-Benz quitta la compétition.

Le mois d’après Le Mans tragique, la construction du prototype de roadster 300 SL fut remise sur le métier. La 300 SL roadster existait déjà en octobre 1952, fabriquée pour la Carrera Panamericana, le châssis W198  n°9, deuxième au Mans en version fermée, flammes jaunes, piloté par l’américain John Fitch et son co-pilote Geiger (Friedrich ?) et le châssis W198  n°7, vainqueur au Mans, voiture d’assistance pilotée par Günther Molter. Elles étaient trop brutes de course, trop frustes, à l’instar d’une Porsche 550 RS, trop spider plutôt que roadster. Le transfert d’identité visuelle relevait de l’aporie. La mécanique brillante était disponible, mais la force des FlügelTüren était irremplaçable. Elle resta d’ailleurs unique en son genre et n’eut pas d’adversité stylistique pendant sa courte carrière de 1954 à 1957.

En revanche, les cabriolets ou roadsters sportifs de haute volée ne manquèrent pas dans les années cinquante, surtout vus depuis le cruising balnéaire. Le dessin général fut fixé à la fin de 1955. Le châssis tubulaire assurant l’efficacité fut conservé sauf à être contraint par le découpage de portières exigeant aussi la rigidification de l’arrière. Le moteur resta le 2 995 cm3 à injection directe développant 215 ch à 5 800 tr/min. La surcharge pondérale rendait 30 kg seulement à W198 I, soit 1 280 kg pour le roadster contre 1 250 kg à W198 I, W194 ne pesait que 1 060 kg. De fait, la structure conservée, la ligne générale n’était pas bouleversée, et le roadster, de même largeur, fut seulement allongé de 5 cm, soit 4,57 m contre 4,52 m au coupé. La hauteur, l’auto couverte, était identique, à 1,30 m. Le transfert d’efficacité visuelle, de cohérence et de cohésion d’ensemble la fluidifiait en regard de la W198 I.

Installée d’emblée au plus haut niveau sans repentirs majeurs

Deux versions SLS, dépouillées, allégées, le pare-brise réduit à un saute-vent, rapprochées des W194 roadster de la Carrera Panamericana, furent engagées dans des compétitions du North American Sports Car ChampionShip  (SCCA). Le moteur gagnait 20 ch, porté à 215 ch et perdait un tiers de tonne. Paul O’Shea avait remporté ce championnat en 1955 et 1956 au moyen d’une 300 SL fermée et aligna cette nouvelle version au championnat en 1957 sous le n°30, les deux ne parurent plus au championnat à partir de 1958. En mars 1961, la 300 SL roadster fut dotée de freins avant à disques et l’année suivante d’un bloc en aluminium la soulageant de 44 kg par rapport au bloc en fonte. Les 210 derniers exemplaires construits en 1962 et 1963 disposaient de ces améliorations techniques.

La production de la 300 SL cessa le même jour que celle de la 190 SL, le 8 février 1963. Le mois suivant commença la mise en série des si fines 230 SL dites Pagode, justement, du fait de leur hard-top. La 300 SL fut donc produite durant neuf années, en deux périodes et deux définitions continuées et non contredites. L’exigeante FlügelTüren aurait été construite à 146 exemplaires en 1954, 867 en 1955, 311 en 1956 et 76 en 1957. Le Roadster continua le récit : 554 en 1957, 324 en 1958, 211 en 1959, 249 en 1960, 250 en 1961, 244 en 1962 et 26 en 1963, rappelant que la production fut arrêtée le 8 février, soit 1 858 exemplaires du roadster contre 1 400 coupés.

La 300 SL des origines était déjà loin en 1957 et, face à elle, le plateau européen des voitures décapotables sportives était très relevé si l’on cherche des automobiles de même altitude. C’était l’époque de la Ferrari 250 GTC dont le V12 de la lignée dite Colombo délivrait 240 ch (entre 1957 et 1962), la California croisant encore plus haut, de la Maserati 3500 (220 à 240 ch entre 1957 et 1964), de la Jaguar XK 150 3,4 litres (220 à 250 ch, entre 1957 et 1961), précédant évidemment la Type E 3,8 litres (268 ch pour le modèle sorti en 1961), l’Aston Martin DB2 Mark III 3 litres (197 ch, 1957-1959), voire la DB4 3,7 litres (241 ch, 1958-1963), la BMW 507 3,2 litres (150 ch, 1955-1959), la Corvette C1 de 3,9 litres à 5,4 litres (160 à 360 ch, 1953-1962) ou la Facel FV3 4,5 litres pour la première série (200 ch, 1956-1958) se situant aux marges du registre du roadster 300 SL. La litanie des « saintetés » automobiles était alors sans fin.

Le photographe reporter de guerre David Douglas Duncan (1916-2018), qui fut doté d’une 300 SL en 1956 par Mercedes, la magnifia dans son article pour Collier’s Weekly, « The Secret SLS », et elle ne fut pas pour rien dans l’approche de Picasso cette année-là, il s’agissait de la FlügelTüren. Mais il célébra aussi le roadster dans le paysage du Stelvio semble-t-il.

L’univers des formes, tout en justesse et polissage

Deux parti pris firent sa puissance plastique à partir de la voiture mère FlügelTüren pour laquelle la décision d’arrêter la production releva d’une stratégie consommée. On se dit que l’une était impossible sans l’autre, à jouer de la fiction historique automobile. Le dessin de l’une tuerait nécessairement l’autre, séparant le monde qui, à l’époque l’était déjà bien, comme les Capulet et les Montaigu, les mousquetaires du roi et ceux du Cardinal, la W198 I retirée, sa rareté continuerait sa notoriété.

W198 II était une voiture ajustée, lisse dont le carénage portait sa syntaxe technique. Les six ouvrants de la coque, la métaphore nautique restant indispensable, dont la trappe à essence sur l’aile arrière gauche et le couvercle de capote auxquels on pouvait ajouter les poignées de portière extractibles, accentuaient encore cette impression. L’ajustement en faisait cette justesse d’une peau continue, enveloppante d’une extrémité à l’autre du pontage de cette voiture. Il restait au pilote qui mettait l’auto en fonction à s’y lover. L’autre versant de la composition aboutie revenait aux phares verticaux sous verrière. Ils participaient aussi de l’homogénéité visuelle, polissant l’auto jusqu’à sa proue. Pourtant, n’était cette découpe dans la tôle, la face avant brute ne différait pas de celle du coupé. La grande calandre portant l’emblème cantonné de deux tiges chromées ne changeait pas et la découpe chantournée du pare-chocs, d’ailleurs reprise sur la 190 SL, répétait le répertoire où chaque objet disait sa fonction.

Le butoir était logé dans le mouvement concave du pare-chocs, faisant la jonction entre l’aile et la calandre. L’aile avant, façonnée et meublée, était apparentable au style ponton réinterprété dès la W111 de 1959 de la lignée Heckflosse (aileron, nageoire), ce qui laisse encore dans l’univers marin. La verrière de phare dura jusqu’au début des années 1970 chez Mercedes-Benz dès les hiératiques W100 dites 600 (1963-1981), les W113 dites « pagode » (1963-1971), les bourgeoises W111 et 112 ou 220 à 300 (1959-1965/67) et leurs suivantes W108 ou 250/280/300 (1965-1972). Encore que la réglementation états-unienne priva les acquéreurs de cette figure de style. On la retrouve joliment adaptée sur les Facellia dès 1960, Facel II en 1961, Facel III en 1963, Facel VI en 1964, au moyen des phares Megalux de chez Marchal, associant deux optiques sous une verrière.

L’usage des pièces chromées assurait le fini, de conserve avec la peinture vernissée nappant la peau. Les pare-chocs à butoirs déterminaient la ligne de bas de caisse soulignée par un jonc chromé, répété dans la sertissure du cockpit ici continué par le pare-brise. Cette baie amorçait une découpe panoramique. Cette caisse fine restait faite de la contradiction entre de longues courbes omniprésentes et un système de tension sur chaque élévation latérale. La portée aux six horizontales partait du bas de caisse, d’une arche à l’autre jusqu’aux ailerons, les interrompant au-dessus de chaque roue, la rythmique étant apportée depuis la grille aux crevés sur la partie postérieure de l’aile avant. La ligne haute et la ligne basse de cette grille déterminaient le modelé de la portière par un retrait, la première à mi-hauteur et mourant sous la poignée, la seconde suivant, sur le même tracé, le bas de l’ouvrant. Tout le graphisme du roadster se jouait ici, par le registre de la citation et de la connotation, la FlügelTüren et la dynamique visuelle.

On connaît l’antienne populaire de l’avisé qui dit bien « qu’il faut savoir lire entre les lignes ». Ces lignes-là paraissaient très loquaces, bavardes même. Parce que la portière faisait toute la singularité du véhicule fermé, c’était à son emplacement que l’échelonnement linéaire venait habiter la caisse depuis les crevés. Ces deux baguettes d’inégale dimension, la plus longue en bas, paraissaient une esquisse devenue définitive, un rough fixé d’entrée traçant la vitesse. Partant, le roadster continuait la SL comme ces baguettes continuaient le tracé de la grille. Comme les sorties d’échappement animaient le côté droit du capot moteur de la SSK de 1928 ou de la 540 K de 1936 par exemple.

En vue verticale, la poupe était tout en fuite, c’était bien sa fonction aérodynamique de l’écoulement, mais la longue partie avant possédait un modelé géminé. Les deux ailerons accompagnaient les ailes du système « ponton » et le lissé du capot enflé des deux bossages/Powerdome repris de W198 I. Tout ce système de tendons, de bossages et d’ailerons, de tracés, disait à quel point l’auto fut dessinée et façonnée depuis ce qui commande, sa vérité structurelle et mécanique, son châssis constructiviste, sa mécanique de course. La cellule était enchâssée, reprenant l’aménagement de la FlügelTüren, on s’y installait en franchissant justement l’obstacle structurel, comme un gros longeron, descendant vers le petit baquet. Tout de même, la 300 SL fut rarement montrée capotée de toile, voire coiffée de son hard-top aux arrondis de ceux des Corvette contemporaines. Cet équipement fut proposé à la vente à partir de 1959.

Tenir son rang. 

W198 II paraît une 300 SL échappée de sa condition. Elle ignore la compétition, mais descend des triomphantes W194 de l’année 1952. Elle continue la lignée au moment de l’arrêt de W198 I et existe avec W121 BII/190 SL si ressemblante et dont on louera la poupe plus fine, presque moins archaïque que sur la 300. Mais les 300 SL restent la traduction civile et commerciale d’une marque installée au plus haut niveau de la compétition d’alors, en formule 1 et championnat du monde des voitures de sport. W196 S, la 300 SLR FlügelTüren voulue par l’ingénieur Rudolf Uhlenhaut (deux châssis 0007/55 et 0008/55 construits en 1955), l’auteur du développement sportif de W194, aurait pu continuer la généalogie, portée par son 8 en ligne de 2 982 cm3, d’au moins 276 ch. La tragédie mancelle du 11 juin 1955 mit fin à l’engagement de Mercedes Benz en compétition et W198 II proclamait, selon une rhétorique d’apparence apaisée, la technicité de ces voitures d’ingénieurs, étendards de productions automobiles distinctives de grande série. W198 II avait comblé avec brio le récit brisé de Mercedes constructeur d’Allemagne fédérale de voitures de sport et de compétition, on n’ose dire une auto du temps du deuil et de la rédemption. Dire sa rareté, c’est filer l’euphémisme à peu de frais, elle l’était déjà autrefois. Quant aux frais justement, de telles automobiles n’ont rien à voir avec les objets de la mobilité quotidienne et on ne demande pas à un châtelain le coût de ses hectares de toiture quand on visite sa maison historique. Pour en revenir à la compétition, le relai sera pris en 1964-1965 par Porsche

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