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Mercedes-Benz SL "Pagode" : bracquage à l'allemande

Par Nicolas Fourny - 22/05/2023

« La Pagode démontre qu’un roadster allemand peut prétendre à une certaine frivolité, et ce sans pasticher ni le romantisme latin, ni le raffinement sensuel des voitures britanniques » 

Les cabriolets Mercedes, c’est une très longue histoire et, même sans remonter plus loin que l’après-guerre, il faudrait plusieurs volumes pour en narrer toutes les péripéties jusqu’à nos jours. Car la famille des roadsters Sport Leicht, inaugurée par la 190 SL dès 1955, aura traversé toutes les époques, le plus souvent avec un succès qui, inévitablement, s’est ensuite transformé en gloire attisée par la convoitise des collectionneurs. Bien sûr, la Pagode dont nous fêtons le soixantenaire cette année ne peut prétendre à l’aura de la 300 SL originelle, ni au prodigieux succès commercial de la série 107, ni à la débauche un peu vaine de puissance à laquelle on a assisté depuis le début des années 2000, mais le fait est : l’auto suscite à présent un désir toujours plus ardent — lequel n’a rien de véritablement surprenant dès lors que l’on s’attarde à en explorer les motifs. Suivez le guide…

Inflation, j'écris ton nom

Dans son numéro d’avril 2023, le magazine Autoretro consacre sa rubrique « Le vrai prix » à la Pagode. Entre autres informations, on peut y trouver la cote LVA pour les différentes versions du modèle ; celle-ci fluctue de 85 000 à 120 000 euros (ces valeurs s’entendent pour des voitures en très bon état de marche et de présentation ; elles sont assez fréquemment dépassées lorsque les exemplaires proposés à la vente le justifient — en août 2021, RM Sotheby’s a ainsi vendu une 280 SL de 1968 pour 335 000 dollars). L’évolution de la cote depuis une dizaine d’années peut certes laisser songeurs ceux qui ne scrutent le marché qu’à travers le prisme étroit des transactions françaises mais, au-delà de nos frontières, nombreux sont les amateurs qui se montrent désormais sensibles à l’impérieux agrégat que représente cette génération et qui convoque pêle-mêle la nostalgie d’un âge d’or stuttgartois, le bonheur de pouvoir rouler longtemps sans appréhension et, en tout premier lieu, l’irréfutable grâce de cette carrosserie qui n’a jamais connu la disgrâce réservée aux voitures d’occasion. Ce statut très particulier, qui tient sans doute aussi à la relative rareté du modèle (moins de 50 000 unités versus près de 240 000 R107 !), a préservé une série qui incarne, peut-être mieux que toute autre, les substrats du roadster étoilé dans l’acception la plus pure du concept.

À la mode depuis soixante ans

Au moment où il dessine le type W113 (sous la supervision de Friedrich Geiger), Paul Bracq est âgé d’une trentaine d’années ; il travaille comme designer chez Mercedes depuis 1957. À ce stade de sa collaboration avec la firme allemande, le styliste bordelais a déjà à son actif la berline Heckflosse et, très bientôt, la 600, dont il est également l’auteur, va magistralement réinterpréter le thème de la Grosser Mercedes. Lorsque vous examinez ses différentes contributions, c’est l’inlassable quête de luminosité qui vous saisit en premier lieu ; de la sorte, par rapport aux créations de la décennie précédente, les lignes de caisse sont vigoureusement abaissées et font passer les vitrages de la série « Ponton » pour d’obscures meurtrières ; s’y adjoint la remarquable finesse des montants pour aboutir à des silhouettes volontiers aériennes, à tout le moins débarrassées des lourdeurs ostentatoires héritées de l’avant-guerre. Grâce à Bracq, les années 1960 apparaissent comme une sorte de parenthèse un peu miraculeuse dans le parcours stylistique du constructeur. On reviendra ensuite à des lignes plus massives, plus horizontales, d’où la gracilité sera bannie — fallait-il si impérativement suggérer la solidité ? Pour sa part, la Pagode (plaisamment surnommée en raison de la forme insolite de son hard-top) ne se soucie guère de proclamer sa robustesse — après tout, la réputation de son blason y suffit amplement — et démontre qu’un roadster allemand peut prétendre à une certaine frivolité, et ce sans pasticher ni le romantisme latin, ni le raffinement sensuel des voitures britanniques.

Ni sportive, ni légère (et c’est très bien ainsi)

Cet intertitre est destiné à rappeler aux plus distraits de nos lecteurs que Sport Leicht pourrait se traduire par « légèreté sportive ». Toutefois, ce qui pouvait s’entendre pour les W198 — que leur châssis tubulaire corrélait étroitement à la compétition — n’a plus guère de sens lors du Salon de Genève 1963, au moment où la série W113 vient succéder à la fois aux 190 et 300 SL, s’efforçant de réaliser la synthèse la plus équilibrée possible entre ses devancières aux tempéraments mécaniques très éloignés. S’inspirant largement de la première nommée pour ce qui concerne sa conception générale, la Pagode bannit cependant son roturier quatre-cylindres et, tout au long de sa carrière, ne connaîtra que le six-cylindres en ligne maison, sous trois variantes successives, pour des puissances allant de 150 à 170 ch. Il s’agit donc d’une classique monocoque dont la carrosserie, réalisée en acier hormis les ouvrants, n’autorise aucun gain de poids particulier. À bord, le dynamisme qui sied à ce type de machine est élégamment suggéré mais sans jamais compromettre les exigences d’un confort que les porschistes trouveront évidemment trop bourgeois, en dépit d’honorables résultats obtenus en compétition (on se souvient notamment de la victoire d’Eugen Böhringer lors du rallye Spa-Sofia-Liège en 1963). Et les performances, certes élevées dans l’absolu, ne leurrent personne : nous sommes en présence d’un classieux grand tourer, certainement pas d’une voiture de sport aux multiples caprices et à la polyvalence illusoire.

Idéale dans vos rêves, et partout ailleurs

À condition de voyager à deux — la petite banquette optionnelle apparue en 1967 ne pouvant servir qu’à de jeunes enfants —, la Pagode s’avère tout à fait fréquentable, au quotidien comme sur les longues distances et, du reste, certains propriétaires continuent de s’en servir pratiquement chaque jour. Il est vrai qu’à condition d’être entretenue correctement, l’auto ne réserve aucune mauvaise surprise et, à tout moment, vous pouvez tourner la clé dans le démarreur sans vous demander si elle va prendre feu ou percer un piston, même si l’éphémère 250 SL (produite de la fin 1966 au début de 1968) est mécaniquement plus fragile que les 230 et 280. C’est là un confort psychologique appréciable et les précautions d’usage, si elles existent naturellement lorsque l’on prend le volant d’un modèle aussi ancien, n’ont pas grand-chose à voir avec ce que peuvent réclamer une Maserati ou une Jaguar contemporaines — dont les moteurs sont, il est vrai, nettement plus démonstratifs que le six-cylindres d’Untertürkheim, qui personnifie mieux que tout autre les vertus de la modération ; sa tessiture réjouit l’esthète mais ne sera jamais envahissante et ses chronos, tout en inspirant le respect, n’ambitionnent pas d’abattre le moindre record. Après un millier de kilomètres abattus à bonne allure, vous ne serez pas devenu sourd et vos vertèbres sortiront intactes de l’expérience, le tout en préservant tout l’agrément d’une décapotable dont, par surcroît, le soft top ne défigure pas la ligne, quelle que soit sa posture. La dithyrambe de ceux qui l’aiment et ont la chance d’en posséder une ne vient pas de n’importe où : la Pagode est une fascinante séductrice à laquelle, nous en prenons le pari, vous non plus ne pourrez résister !





Texte : Nicolas Fourny

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