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Mercedes-Benz 190 SL : de l’ombre à la lumière

Par Nicolas Fourny - 19/01/2023

« Pour sa part, le petit roadster recelait la frivolité propre à ce type de carrosserie, mais dans une synthèse qualitative qui n’aurait pu voir le jour ailleurs qu’à Untertürkheim, avec une qualité de finition et une recherche ergonomique qui n’incitaient pas à la rigolade mais attestaient du sérieux de l’ensemble »

Dans la longue histoire des roadsters Mercedes d’après-guerre, la 190 SL (type W121) n’occupe pas, loin s’en faut, la position la plus favorable. On peut envisager sa ressemblance délibérée avec la 300 SL contemporaine sous deux angles distincts : il est bien entendu possible de la trouver flatteuse (compte tenu du prestige absolu de son inspiratrice) ou, au contraire, quelque peu dévalorisante quand on découvre que les ressources mécaniques des deux modèles n’ont pas grand-chose à voir. La cote qu’a atteint l’auto en témoigne toutefois : les collectionneurs ont bien compris, et depuis déjà longtemps, que la comparaison atavique entre la 190 et la 300 — sœurs de gamme de longues années durant — n’avait guère de sens, en définitive. Lorsque l’on s’attache à dépasser les apparences, on découvre une machine dont la personnalité et le typage annonçaient très précisément la philosophie qui allait inspirer ses successeurs jusqu’à la fin du siècle : celle d’un grand tourisme bourgeois, confortable et performant (mais sans excès). Et si c’était ça, le bonheur ?

Les comptes d’Hoffman

Nous sommes à New York, en février 1954. Dans le décor du Madison Square Garden sont exposées deux voitures à l’importance cruciale pour leur constructeur, et qui n’auraient pas vu le jour sans le flair commercial, le sens de l’initiative et les capacités de persuasion d’un homme providentiel : nous avons nommé le célébrissime Max Hoffman, qui avait ouvert les portes du marché nord-américain à plusieurs marques européennes trop heureuses d’accéder à un tel eldorado. C’est lui qui, impressionné par la 300 SL de compétition (type W194), avait réussi à convaincre les dirigeants de la Daimler-Benz d’en préparer une version routière — et la suite est connue : la fantasmatique Gullwing intégra directement le panthéon des automobiles historiques. Avec ses lignes saisissantes dues au talent du grand Karl Wilfert, son châssis tubulaire, ses ouvrants en aluminium, ses portes papillon et son six-cylindres à injection directe, l’engin avait toutes les chances d’entrer vivant dans la légende. Une fois de plus, Hoffman avait vu juste ; mais il ne se contenta pas d’avoir suscité l’avènement de la plus fascinante supercar de son temps, suggérant dans le même élan aux patrons de Mercedes d’investir, en parallèle, le très juteux segment des roadsters « grand public » (tout est relatif, n’est-ce pas) dans lequel plusieurs concurrents britanniques ou italiens avaient déjà commencé de s’ébattre, pour le plus grand bénéfice de leurs finances respectives…

Tout le monde n’a pas besoin d’un double arbre

De la sorte, aux côtés de la 300 SL, les visiteurs de l’exposition new-yorkaise purent découvrir le prototype d’un cabriolet biplace, baptisé donc 190 SL et dont les formes évoquaient irrésistiblement une version ouverte du type W198. Hoffman s’était engagé auprès de l’usine à commander mille exemplaires de chacune des deux voitures et, au vu des réactions enthousiastes de leur clientèle potentielle, elles entrèrent toutes deux en production dans les mois qui suivirent, à des altitudes tarifaires bien différentes cependant. Car la 190 SL, nonobstant son caractère spécifique de roadster, ne s’adressait pas aux mêmes amateurs que son inspiratrice, en dépit d’une physionomie très similaire — en particulier de face. De fait, il suffisait d’examiner la fiche technique de la voiture pour s’en persuader : en lieu et place du gros 3 litres siégeait un quatre-cylindres de 1897 cm3, entièrement inédit et qui devait d’ailleurs beaucoup au six-cylindres de la 300. Développant 105 ch à 5700 tours/minute et systématiquement associé à une boîte manuelle à quatre rapports, ce bloc n’avait rien de particulièrement flamboyant et, par exemple, ne présentait pas le caractère fougueux d’un bialbero Alfa, tel qu’on pouvait le trouver dans le spider Giulietta ; mais au demeurant, il s’agissait là d’un niveau de puissance déjà respectable dans l’absolu, si l’on considère qu’une Porsche 356 ne dépassait alors pas les 75 ch dans le meilleur des cas. Cela posé, et comme on va le voir, la Mercedes ne s’adressait de toute façon pas tout à fait aux mêmes amateurs que ses rivales et proposait une formule sans réel équivalent sur le marché.

Ceci n'est pas une sportive (et on s'en fout)

La documentation commerciale maison s’appuyait déjà à cette époque sur une phraséologie bien établie, typique de la firme et qui faisait la part belle aux notions d’harmonie et d’équilibre, bien plus que de Freude am Fahren ou de performances pures. Incontestablement, et même si elle s’avère capable d’une vitesse de pointe honorable, la 190 SL n’est pas une voiture de sport mais lui en faire le reproche n’aurait aucun sens car, malgré un patronyme évocateur (rappelons que SL signifie Sport Leicht), ses concepteurs ne l’ont jamais envisagée comme telle — en tout cas pas dans l’acception britannique ou latine du concept. Au vrai, il s’agit d’une interprétation plus dynamique et récréative de la philosophie de la firme, en comparaison des très sérieuses berlines qui constituaient alors l’essentiel de sa gamme et qui perpétuaient sa réputation auprès d’acheteurs avant tout soucieux de robustesse, de représentation sociale et de durabilité. Pour sa part, le petit roadster recelait la frivolité propre à ce type de carrosserie, mais dans une synthèse qualitative qui n’aurait pu voir le jour ailleurs qu’à Untertürkheim, avec une qualité de finition et une recherche ergonomique qui n’incitaient pas à la rigolade mais attestaient du sérieux de l’ensemble — qualificatif rarement usité quand on évoque une décapotable ; cependant des firmes comme MG ou Triumph proposaient déjà ce qu’il fallait pour satisfaire les sybarites davantage portés sur la désinvolture…

Bienvenue au paradis

Produite jusqu’en 1963, la 190 SL ne quitta la scène (au même moment que le roadster 300 SL) que pour céder la place à la Pagode, qui assuma avec panache la succession pourtant délicate de ses deux aînées. En huit années de carrière, le modèle ne connut que fort peu de modifications et, contrairement aux multiples développements dont bénéficièrent ses descendantes, dut se contenter d’une seule motorisation, aux caractéristiques immuables jusqu’à l’arrêt de la fabrication. Une variante six-cylindres, équipée du moteur des 220, fut très sérieusement envisagée et son élaboration alla même fort loin mais, malheureusement, elle n’entra finalement pas en production ; les 25 881 acquéreurs du modèle semblèrent néanmoins heureux de leur choix, qui correspondait somme toute à cette forme d’hédonisme raisonné qui, par la suite, assura le succès des types W113 puis R107. Depuis qu’elle est entrée dans le monde de la collection, l’auto semble s’être émancipée de l’ombre tutélaire et encombrante de sa grande sœur ; elle suit le cours d’une existence distincte et a su faire de nombreux adeptes au fil des générations d’amateurs. Près de soixante ans après sa disparition du catalogue, la voici devenue l’une des grandes classiques de la firme à l’étoile et le temps où certains cuistres la toisaient avec condescendance est bel et bien révolu, comme en témoigne une cote devenue inaccessible à la plupart d’entre nous. N’en concevons nulle tristesse : c’est la garantie de la préservation d’une auto dont beaucoup ont mis du temps à comprendre à quel point elle pouvait s’avérer désirable !





Texte : Nicolas Fourny

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