Mercedes 190 SL : la “baby” SL
Bien évidemment, tout amateur de voiture ancienne rêve d’être propriétaire d’une Mercedes 300 SL (W198) mais il s’agit pour beaucoup d’un rêve inaccessible, que ce soit le coupé “Gullwing” ou le roadster. Il faudra alors se résoudre à opter pour sa petite soeur, la Mercedes 190 SL (W121 BII), qui s’en rapproche visuellement tout en coûtant dix fois moins cher. Certains diront qu’elle est à la W198 ce que le Canada Dry est à l’alcool, mais à mon sens, elle distille un autre parfum, moins sportif mais tout aussi désirable, particulièrement bien adaptée à son marché principal : les Etats-Unis.
Si Mercedes est une marque bien allemande, comme chacun le sait, les 300 SL et 190 SL n’ont pas été conçues à l’origine pour le marché européen mais bel et bien pour le vaste marché américain pourvoyeur de devises si précieuses pour les entreprises allemandes et dont la croissance économique représentait un véritable Eldorado. Si une large partie de la population se satisfaisait de la production locale, il existait des amateurs de “sports car” à l’européenne prêt à se damner pour une petite anglaise. Alors pourquois pas une allemande ? C’est en tout cas le raisonnement que tient Max Hoffman, célèbre importateur d’origine autrichienne officiant à New York.
Une SL pour les USA
Après avoir importé Delahaye puis Jaguar, Max se tourne vers l’Allemagne : Porsche et Mercedes. L’homme est malin et sait vendre aux américains. Il leur faut des produits spécifiques, adaptés au marché tout en conservant le parfum du vieux continent. Ainsi naîtra la Porsche 356 Speedster, tant Hoffman sut convaincre Porsche de l’intérêt d’un tel modèle, à l’époque plus accessible. Pour la Mercedes 300 SL, il s’agit d’établir l’image de la marque à l’étoile avec un produit phare, surfant sur les succès en compétition. Mais il faut aussi créer un véhicule permettant plus de volume. Il va donc proposer à Mercedes de “créer” une petite soeur, au design proche mais moins chère à produire et forcément moins performante. Enfin, pour séduire la clientèle nombreuse en Californie ou en Floride, le nouveau modèle doit être un cabriolet.
L’affaire est d’importance tant pour Hoffman que pour Mercedes. Générateurs d’image, ces deux modèles permettraient de doper la gamme, plus classique et sérieuse, composée des nouvelles berlines Ponton. Conscients de l’urgence, les ingénieurs allemands vont concevoir deux prototypes en 5 mois afin d’être prêts pour le Salon de New York de février 1954. La 300 SL et sa petite soeur 190 SL vont faire sensation et l’ordre de fabrication est lancé. Cependant, la 300 SL, produite en plus petite série et dérivée d’un modèle de compétition (W194), est plus facile à développer et à mettre en production. Il faudra un peu plus de délai pour la 190 SL.
Une 190 plus accessible
Pour abaisser les coûts, la 190 SL dérive, elle, d’un véhicule de grande série, la toute nouvelle W121 dont elle reprend le châssis mais aussi le moteur de 1 897 cc et 105 chevaux. Cela explique son nom de code différent de celui de la 300 SL : W121 BII. Il faut par ailleurs organiser la mise en production industrielle, ce qui prend plus de temps. Enfin, il convient de retravailler un peu le design par rapport au premier prototype, afin de le faire coller au plus près à la 300 SL malgré la plus petite taille et sa fonction de cabriolet (un hard top sera rapidement disponible en option).
La 190 SL pouvait être équipée d’un hard top.En mars 1955, la version définitive peut être présentée au Salon de Genève. En mai, les premiers exemplaires de série sortent de l’usine de Sindelfingen. Elle coûte 16 500 marks (contre 29 000 pour une 300 SL) mais reste plus chère qu’une Porsche 356 (13 000 marks). Ses performances sont bien entendu moins époustouflantes et sportives que sa grande soeur, mais elles restent tout à fait correctes. La 190 SL est en fait totalement adaptée au marché US, mais aussi à celui de la jeune République Fédérale d’Allemagne qui se relève et qui trouve en la 190 SL un modèle de prestige plus abordable tout en restant symbole de réussite.
Succès commercial
Confortable, filant à 170 km/h (l’objectif initial des 190 km/h ne sera jamais atteint), elle véhicule l’image des 30 glorieuses, ce qui explique son succès aujourd’hui. Surtout, à partir de 1957 apparaît la 300 SL Roadster au profil quasiment identique : la 190 bénéficie alors encore plus de l’image du porte étendard de la marque tandis qu’à la même époque, BMW a du mal à vendre son roadster 507 à l’image trop éloignée des autres productions (l’Isetta par exemple). Produite jusqu’en 1963, elle trouvera 25 881 clients (dont 10 368 aux USA et 5 245 en Allemagne) avant d’être remplacée par la série des SL W113 dites « Pagode ».
Grace Kelly, Franck Sinatra, Romy Schneider, Alfred Hitchcock ou Ringo Starr furent clients de la 190 SL, contribuant à son succès et contrebalançant les effets de l’affaire Rosemary Nitribitt. Cette prostituée de luxe de Francfort, retrouvée assassinée dans son appartement fin 1957, était célèbre pour sa 190 SL noire avec laquelle elle traversait la ville de rendez-vous en rendez-vous. L’assassin ne fut jamais retrouvé, mais de hautes personnalités comme Harald Quandt (actionnaire de BMW) ou les frères Sachs (héritiers d’Opel) furent un temps soupçonnés ! L’affaire eut suffisamment de retentissement pour provoquer une chute des ventes de la 190 en 1958, particulièrement aux Etats-Unis.
Aujourd’hui, la mauvaise réputation (temporaire) est bien loin : les 190 SL sont particulièrement recherchées tant pour leur ligne, leur confort que leurs tarifs bien plus abordables. Cependant, elles restent un investissement conséquent, surtout lorsqu’elles ont été refaites à neuf comme cela se fait de plus en plus. Elles sont en tout un cas devenues un classique de la collection. Et si les moyens manquent, pourquoi ne pas se rabattre sur ses descendantes, SL R107 pour son côté seventies, ou SL R129 pour plus de modernité.