L'échec de la fusion Renault-Volvo de 1993 !
Aujourd’hui, l’Alliance entre Renault et Nissan est considérée comme un chef d’oeuvre de mariage réussi, respectant les équilibres et les cultures tout en permettant à l’ensemble de se hisser parmi les premiers constructeurs mondiaux. Elle regroupe aujourd’hui les marques Renault, Nissan, Alpine (qui renaît, lire aussi : Alpine A110), Dacia, Datsun, Samsung, Avtovaz, et le japonais Mitsubishi ! Pourtant, l’histoire récente de Renault en matière de fusion ne laissait pas imaginer une telle réussite !
Si le 2 décembre est une date mythique dans l’imagerie bonapartiste, dans l’histoire de Renault, il marque l’échec de la fusion engagée avec Volvo au début des années 90, actée le 2 décembre 1993. Ce jour là, c’est la mort dans l’âme que Louis Schweitzer, PDG de Renault, et Pehr Gyllenhammar, PDG de Volvo, annoncent l’échec du mariage franco-suédois.
Les années 80 auront été mouvementées pour Renault. Après être rentré au capital du constructeur américain AMC en 1979 avec l’ambition de s’imposer sur le premier marché automobile mondial, la marque au losange devra, après de lourdes pertes et l’assassinat de son PDG Georges Besse, revendre le tout à Chrysler (lire aussi : Jeep Cherokee XJ) en 1987. Cette année-là, Renault redevient bénéficiaire mais se trouve toujours lourdement endettée, et surtout bien seul. Le management est persuadé qu’il faut trouver un partenaire complémentaire afin de réduire les coûts grâce aux volumes et de s’ouvrir de nouveaux marchés.
Louis Schweitzer, PDG de Renault !Le constructeur suédois Volvo est l’allié tout désigné. C’est un partenaire que Renault connaît bien (il lui fournit notamment des moteurs et des boîtes de vitesses, notamment pour la 480, lire aussi : Volvo 480), qui dispose d’un haut de gamme reconnu (que l’on dirait « premium » aujourd’hui) avec la nouvelle 850 sortie en 1991, ou les 940/960. En outre, Volvo est particulièrement bien implantée aux Etats-Unis (que Renault vise toujours malgré son échec) tandis que Renault a une place de choix en Amérique Latine. Enfin, l’alliance de leurs deux filiales « poids lourds » donnerait naissance à un géant mondial.
Pehr Gyllenhammar, PDG de Volvo !Pour Renault, les conditions sont remplies, tandis que pour Volvo, c’est l’occasion de trouver un partenaire puissant assurant sa survie. Les économies de la fusion pour les deux constructeurs sont évaluées à 30 à 40 milliards de francs par an ! La nomination de Louis Schweitzer à la tête de Renault en 1992 (il y était rentré en 1986 comme directeur du contrôle de gestion, avant de gravir les échelons) renforce cette idée : il reste persuadé que Renault ne pourra survivre qu’en étant privatisée d’une part, et en s’alliant avec un partenaire d’autre part. Pehr Gyllenhammar est de son côté sur la même longueur d’onde.
Les négociations s’engagent dès 1992, entre le management des deux entreprises, mais aussi l’Etat français et les actionnaires suédois de Volvo. Sur le papier, le projet est un modèle : l’organisation financière, la répartition des pouvoirs, la création de holding, l’organisation industriel, tout est parfaitement monté par des technocrates sûrs de leurs compétences, mais la belle machine ne sera jamais mise en place.
La Safrane, fleuron de Renault à l’époque !Pourtant, en septembre 1993, la fusion est annoncée dans les médias, et il ne semble faire aucun doute qu’un nouveau champion européen de l’automobile va naître. 3 mois après, c’est la Bérézina ! Qu’a-t-il bien pu se passer pour que ce beau projet tombe à l’eau ?
Si Pehr Gyllenhammar était un ardent partisan de l’alliance avec Renault, ce n’était pas le cas de son management, et particulièrement de son directeur général, qui va tout faire pour convaincre les actionnaires de Volvo de renoncer à cette fusion. Il faut dire que les cadres de l’entreprise voient leurs collègues français comme arrogant et suffisant, et imaginent la fin de leur indépendance, et peut-être même à terme de leur marque. Difficile d’imaginer plus différents culturellement parlant qu’un suédois et un français, du moins dans l’organisation du travail. Chez Renault, la hiérarchie est très forte, les échelons nombreux et l’autonomie rare, à l’inverse de chez Volvo. Les français sont vite considérés comme autocratiques, et l’aspect humain et culturel n’a jamais été envisagé dans le projet de fusion. Une erreur que ne commettra pas deux fois Louis Schweitzer qui, avec l’aide de Carlos Goshn, fera tout pour ménager les susceptibilités japonaises 6 ans plus tard lors de l’Alliance avec Nissan.
La 850, symbole du renouveau de Volvo au début des années 90 !Mais cet écueil aurait pu être dépassé si l’Etat français n’avait pas joué la montre. Pour les suédois, la fusion n’était envisageable qu’avec un Renault privatisé ! Or les hésitations et précautions de l’Etat français, désireux de garder une place de choix au capital du nouvel ensemble pour éviter toute prise de contrôle étrangère de son fleuron automobile, seront perçues comme une volonté d’absorption par une puissance étrangère, et ce malgré le respect des équilibres financiers du plan initial.
Le 2 décembre, il faut bien se rendre à l’évidence : malgré les tentatives de Schweitzer et de Gyllenhammar, les actionnaires suédois sont convaincus que cette alliance ressemble de plus en plus à une OPA déguisée, et refusent le projet ! L’Alliance Renaut-Volvo n’aura duré que 3 mois !
Ironie de l’histoire, en 1999, alors que Renault s’allie (avec succès, on le voit aujourd’hui) au japonais Nissan, Volvo AB cède de son côté sa division automobile à Ford. Mieux, en 2001, Renault décide de se concentrer sur l’automobile et cède sa division poids lourds à … Volvo. Renault ne quittera le capital de Volvo qu’en 2012, tandis que Volvo préside aujourd’hui aux destinées de… Renault Trucks ! De son côté, la division automobile Volvo est revendue par Ford en 2010 au chinois Geely.
Que se serait-il passé si la fusion de 1993 avait réussi ? Difficile à dire aujourd’hui. Il est sûr que l’échec de cette fusion aura servi de leçon à Renault qui saura apprendre de ses erreurs en s’alliant habilement avec Nissan ! Le constructeur se serait-il lancé dans cette alliance en 99 s’il avait fusionné avec Volvo en 93 ?