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Le Grand Raid Le Cap - Terre de Feu : le tour du monde en Citroën Visa !

Par Nicolas Fourny - 23/04/2024

« Techniquement élaborées sur la base de la « 1000 Pistes », les voitures sont conçues spécifiquement pour l’émission et reprennent l’aménagement extérieur et intérieur de la série spéciale GT Tonic »

Les plus fidèles de nos lecteurs ont déjà pu suivre les mille et une aventures de l’une des Citroën les plus baroques de l’histoire de la firme – nous avons nommé la Visa, dont les concepteurs ont véritablement fait feu de tout bois durant ses dix années d’existence commerciale. Conçue dans la douleur, née godiche, poussive et pétrie d’étrangetés, la vaillante petite auto s’est rapidement muée en authentique sportive et même en machine de course avant de devenir une star de la pub. Parmi ses nombreux exploits, il en est toutefois un qui demeure relativement méconnu : il s’agit du tour du monde organisé et télédiffusé en 1984 et 1985, auquel participèrent quatorze Visa à quatre roues motrices dont deux exemplaires ont survécu. Nous avons pu approcher l’un d’entre eux, qui a trouvé refuge au sein du Conservatoire Citroën…

Vivre ou survivre

Lors de sa première apparition publique, au Salon de Paris 1978, c’est peu dire que la Visa déconcerte la presse spécialisée. L’auto, dessinée par le bureau d’études maison sous la férule de Jean Giret, se caractérise par un style que les plus bienveillants des observateurs qualifieront d’original, tandis que les autres se gausseront méchamment (et c’est toujours vrai de nos jours). En bonne Citroën, l’auto ne ressemble à aucune autre ; contrairement à la LN, développée en hâte en reprenant la caisse du coupé Peugeot 104, la Visa, quoique élaborée elle aussi sur la base de la Sochalienne, présente une physionomie sans rapport avec celle-ci. La prise de risque n’est pas négligeable, car le modèle – dont la firme aux chevrons, jusqu’alors absente de la catégorie des citadines polyvalentes, a impérativement besoin pour assurer sa survie – fait irruption dans un segment de marché très concurrentiel et dominé par une Renault 5 justement plébiscitée en raison de son design. Et les choses commencent mal : les résultats commerciaux des premiers millésimes restent en deçà des objectifs et ne rendent pas justice aux qualités de fond de la petite Citroën, desservie par un style trop clivant. D’où le lancement un brin précipité de la Visa II, au printemps 1981, dont le restylage prématuré a été confié aux magiciens de la maison Heuliez qui, comme souvent, ont réalisé un miracle en dépit d’un budget famélique. Le lancement de la Visa II correspond à une véritable renaissance et donne le coup d’envoi d’une série d’initiatives destinées à dynamiser l’image d’une voiture dont l’image reste alors à construire.

En avant la Visa !

Dès lors, la Visa se déploie littéralement dans toutes les directions, combattant à la fois sur le terrain de l’économie de carburant avec la Super E et, de façon plus inattendue, dans un tout autre genre : celui du sport ! La Chrono, présentée en mars 1982, puis la GT commercialisée à l’été suivant, donnent le ton des années à venir, toujours plus joyeuses et échevelées. La direction commerciale de Citroën, animée par le fringant Georges Falconnet, ne ménage pas ses efforts pour changer l’identité de la Visa, dont la version « 1000 Pistes », à quatre roues motrices, s’engage carrément en groupe B, alors que des championnats monotypes occupent continûment le terrain médiatique avec force campagnes publicitaires à l’appui. De fait, Citroën n’a pas vraiment le choix : en attendant la concrétisation du projet S9 (la future AX), il faut créer l’événement en permanence, car les redoutables concurrentes que sont la 205 et la Supercinq ne feront évidemment pas de cadeau à une Visa déjà vieillissante… Dans ce contexte, le projet imaginé par le producteur Jacques Antoine pour le compte de la Communauté des Télévisions Francophones, qui regroupe alors Antenne 2, RTL, Télé Monte Carlo, Radio-Canada, la Télévision Suisse Romande et la RTBF, tombe à pic. Il s’agit d’un programme voué à succéder à La Course autour du Monde, diffusée de 1976 à 1984, au cours duquel plusieurs apprentis-reporters parcouraient le globe en réalisant des reportages dont la qualité était évaluée chaque semaine par un jury de journalistes issus des chaînes participantes. La future émission, intitulée Le Grand Raid Le Cap – Terre de Feu, procède du même principe, à ceci près que les concurrents seront répartis par binômes, chaque équipage se voyant confier une Visa 4×4 !

Les carnets d’une aventure

Techniquement élaborées sur la base de la « 1000 Pistes », les voitures sont conçues spécifiquement pour l’émission, diffusée de l’automne 1984 au printemps 1985, et reprennent l’aménagement extérieur et intérieur de la série spéciale GT Tonic avec, comme on s’en doute, diverses évolutions destinées à faciliter la progression des équipages en terrain difficile. La transmission intégrale est donc de la partie, tandis que le moteur retenu n’est autre que le sempiternel quatre-cylindres d’origine Peugeot, ici dans sa cylindrée de 1360 cm3. Par rapport à la « 1000 Pistes », la puissance passe de 112 à 62 ch, le groupe ayant subi des modifications indispensables lui permettant d’accepter des carburants à la qualité forcément fluctuante en fonction des contrées traversées. L’accastillage général ne laisse aucun doute quant à la vocation des voitures ainsi gréées : treuil, plaques de désensablage, roues de secours supplémentaires fixées sur le hayon, arceau de sécurité – qui évitera le pire lors d’un spectaculaire accident en Somalie – grilles de protection et projecteur orientable donnent le ton ; les jantes, peintes en blanc comme la carrosserie, sont celles des coupés 104 ZS. À l’intérieur, on retrouve la planche de bord normalisée des Chrono et GT Tonic, qui a renoncé aux fameux satellites au profit de commodos traditionnels typiquement PSA. La banquette arrière a disparu, remplacée par un réservoir de carburant de 100 litres ; l’ensemble fleure bon l’aventure et rappelle, une décennie plus tard et avec les avantages de la modernité, l’esprit des raids organisés par Jacques Wolgensinger au début des années 1970.

Une époque…

Dans son livre « La Citroën Visa de mon père » (éditions ETAI), Gilles Colboc relate l’existence de deux survivantes, la seconde se trouvant dans une collection privée. Les autres Visa du Grand Raid, longtemps stockées chez un casseur à proximité de Montlhéry, ont malheureusement disparu dans un incendie. Pour sa part, l’état de fraîcheur de l’auto que chacun peut découvrir au Conservatoire Citroën – et qui est celle de l’équipage français – est tout à fait remarquable. Quarante ans après avoir découvert ses exploits sur le petit écran (en France, l’émission, présentée par Didier Régnier et Noël Mamère, était diffusée chaque dimanche soir), il est particulièrement émouvant de frayer quelques heures durant avec cette Visa très « spéciale » (sans jeu de mots), à la lumière du jour, et d’en détailler les aspects tout à la fois artisanaux et soignés dans leur réalisation. On la sent prête à reprendre la route sur l’heure et je garde le souvenir intact de cette série, malheureusement interrompue après une seule saison, dont l’authenticité et la sincérité étaient aux antipodes des programmes de télé-réalité actuels, outrageusement scénarisés et formatés au millimètre. Dans Le Grand Raid, le téléspectateur n’était pas convié à un spectacle rédigé à l’avance par des philistins obsédés par l’audience, mais à la relation d’une aventure véritable, avec ses coups du sort, ses moments de grâce, sa fraternité, ses maladresses et ses dangers. Cette Visa est bien plus qu’une automobile de collection ; elle est aussi un précieux témoin qui, à sa façon, narre l’un des plus attachants épisodes de cette époque dont il est permis de regretter l’état d’esprit et la créativité !

 

Ce reportage n’aurait pu voir le jour sans l’inestimable concours de Denis Huille, directeur du développement de l’Aventure Citroën, Yannick Billy et Dominique Fallot, que je remercie très chaleureusement pour leur accueil, leur gentillesse et leur grande disponibilité. Situé à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), dans les emprises de l’ancienne usine Citroën, le Conservatoire, qui abrite près de 240 véhicules, est ouvert aux groupes sur réservation ; il est également possible de le privatiser pour des événements tels que des séminaires d’entreprise ou des mariages par exemple (contact : conservatoire@laventureassociation.com).

1360 cm3Cylindrée
62 chPuissance
145 km/hVmax



Texte : Nicolas Fourny

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