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La Ferrari 599 GTB Fiorano : la mémoire innovante

Par CARJAGER - 20/10/2020

Interrompue en 1973 à l’apparition de la BB, la longue tradition des berlinettes Ferrari 12-cylindres à moteur avant a repris son cours vingt-trois ans plus tard, lorsque la 550 Maranello (tipo F133) fut dévoilée, au début de l’été 1996. Depuis lors, la firme italienne a maintenu le cap, comme indifférente à ses nombreuses rivales à moteur central, perpétuant ainsi un antagonisme architectural remontant à la création de la Lamborghini Miura, à laquelle la Daytona apporta une réponse à la fois cinglante et crépusculaire, peu d’années après. Au mitan des années 2000, la 599 GTB Fiorano fut, à son tour, chargée d’incarner la ténacité de ce postulat solitaire, simultanément porteur d’un fabuleux héritage et condamné à le remettre sans cesse en question. Quelque peu éclipsée, dans la mémoire collective, par l’éblouissante F12 qui lui succéda, l’auto mérite néanmoins le détour…

Une modernité déguisée en survivance

En 2006, lorsque Ferrari présenta sa 599 pour la première fois, combien restait-il de machines de grand tourisme à moteur V12 ? Exactement trois : l’Aston Martin Vanquish, la Lamborghini Murciélago et la fraîchement défunte 575 M, qui achevait alors un mémorable parcours. Après tant d’années dédiées au moteur central, voici que, de façon surprenante, avec les 550 puis 575, la marque était revenue à une implantation a priori classique pour son modèle sommital (si l’on excepte, bien entendu, les supercars du type F50 ou Enzo). Moins spectaculaire sur le plan esthétique, si l’on souvient par exemple du choc provoqué par la Testarossa en 1984, l’auto n’en avait pas moins progressé sur tous les plans et, stylistiquement parlant, elle représentait un indéniable progrès par rapport aux dernières F512 M — consternant tarabiscotage qui exsudait de tristes parfums de fin de race. Il était probablement temps de passer à autre chose et de laisser à Sant’Agata Bolognese le privilège de l’exubérance et de l’agressivité.

Il n’empêche que, ce faisant, le constructeur modénais avait fait le choix d’un classicisme délibéré, d’un retour revendiqué aux racines du grand tourisme. Nous avons déjà évoqué le spectre délicieux de la Daytona mais l’ombre de la 275 GTB planait elle aussi sur cette automobile qui ne paraissait convoquer l’élégance que pour servir d’écrin à la performance ultime. Le fait est : depuis bientôt vingt-cinq ans, jusqu’à l’actuelle 812 Superfast, ces fondamentaux n’ont pas bougé ; et, pour l’heure, la 599 semble un peu engourdie entre les records de puissance établis par ses successeurs et le charisme très youngtimer de sa devancière. N’est-ce pas un excellent motif pour réexaminer son cas, près de quinze ans après sa naissance ? 

Maintenant que la jeunesse chante à d’autres le printemps

La vie de la 599 aura été relativement courte si on la compare à celle des 550/575, qui tinrent la boutique une bonne décennie durant. À tel point qu’il serait facile, avec le recul du temps, de l’envisager comme un modèle de transition. Pourtant, en dépit d’un dessin que l’on peut trouver regrettablement épaissi par rapport à celui des F133, la F141 embarquait avec elle un catalogue très étendu d’innovations, à commencer par l’implantation de son moteur, désormais centrale avant, au bénéfice d’un équilibre général renforcé. Le groupe lui-même (tipo F140C) descendait en droite ligne de celui de l’Enzo. D’une cylindrée exacte de 5998 cm3 — c’est de là que provenait la désignation commerciale de l’auto —, le nouveau V12, atmosphérique comme il se devait, n’avait pas choisi la perspective d’une évolution modérée, comme en témoignaient ses caractéristiques chiffrées. Avec non moins de 620 chevaux obtenus à 7 600 tours/minute, la progression était nette par rapport à la 575M, dont les 515 unités semblaient déjà appartenir à un autre monde. De surcroît, dorénavant enchâssé au sein d’une structure intégralement faite d’aluminium (une première pour Ferrari), le moteur pouvait profiter d’un poids relativement contenu, malgré la hausse des dimensions de l’auto et le soin inusité apporté à sa finition comme à sa qualité de construction. 

En ce temps-là, j’étais haut

Dernière de sa lignée à pouvoir disposer d’une boîte manuelle, la 599 n’a pour autant trouvé que très peu de clients suffisamment attachés aux traditions pour se montrer sensibles à cet émouvant reliquat — seules 30 voitures quittèrent l’usine ainsi gréées, ce qui en fait probablement les exemplaires les plus désirables de cette série. L’honnêteté commande cependant de reconnaître que, du point de vue de l’efficacité pure, la boîte F1 maison, rebaptisée Superfast pour l’occasion, ne laissait aucune chance à son homologue manuelle, avec des temps de passage de référence pour l’époque et encore convaincants de nos jours. De ce point de vue, avec son Manettino greffé sur le volant, sa suspension magnéto-rhéologique et les raffinements aérodynamiques de sa carrosserie, la 599 est captivante dans ses détails car elle annonçait, sans trop en faire, à quoi allaient ressembler les Ferrari du nouveau siècle. 

En seulement six ans de présence au catalogue, elle a multiplié les variantes et s’est efforcée d’exploiter au mieux les ressources de sa mécanique comme de son châssis. De la sorte, en 2009, Ferrari proposa un pack dénommé HGTE (pour Handling Gran Turismo Evoluzione) qui, dans l’esprit de la précédente 575 GTC, regroupait diverses améliorations destinées à optimiser encore davantage le comportement de l’auto. Avec des ressorts durcis — de 17 % à l’avant et de 15 % à l’arrière —, une hauteur de caisse abaissée, des jantes spécifiques, un échappement plus expressif et des lois de passage de rapports encore plus véloces, il s’agit d’un ensemble très recherché aujourd’hui. 

La Ferrari 599 GTO

Et c’est d’autant plus le cas du dérivé GTO apparu en 2010 et présenté par Ferrari comme une version de route de la 599XX, dédiée à la piste. Produite — quelle coquetterie ! — à 599 exemplaires, c’est sans nul doute l’une des automobiles les plus fascinantes de son temps. Par rapport à la GTB, les modifications s’avéraient nombreuses, combinant un allègement d’environ cent kilos à une puissance accrue — 670 chevaux à 8250 tours, soit dix de plus que l’Enzo ! —, aboutissant à une machine singulière, à mi-chemin entre la GT qu’elle n’était plus tout fait et la supercar à laquelle elle ne pouvait être réellement assimilée…

Pour tous les goûts 

Dessinée chez Pininfarina, la 599 a rendu hommage à son auteur par le truchement de la très rare SA Aperta présentée au Salon de Paris en 2010 — seules 80 voitures auront été construites, ce volume correspondant au quatre-vingtième anniversaire de la carrosserie turinoise. Les lettres « SA » rendaient hommage à Sergio et Andrea Pininfarina, respectivement fils et petit-fils du fondateur de l’entreprise, ce dernier étant décédé prématurément deux ans auparavant. Roadster à la définition radicale, la 599 SA Aperta reprenait la mécanique de la GTO et se caractérisait par la quasi-absence de toit, une simple toile de secours étant prévue en cas d’averse. 

La rare Ferrari SA Aperta

De surcroît, plusieurs 599 servirent de base au programme Special Projects, aboutissant à des modèles uniques carrossés et configurés selon des configurations uniques, parfois à l’intention de clients incapables de se satisfaire de l’horrible banalité d’une Ferrari normale… Il est bien entendu impossible de leur affecter une cote précise. De leur côté, les versions « classiques » du modèle connaissent d’impressionnantes fluctuations. Disons-le tout de suite, la GTO évolue dans son propre univers, dépassant fréquemment les 600 000 euros ; à l’inverse, certaines GTB sont affichées à moins de 100 000 euros, les exemplaires équipés du pack HGTE évoluant entre 130 000 et 150 000 euros. 

La Ferrari 599 GTB dotée du fameux pack HGTE

Évidemment, nous parlons là d’automobiles dont l’entretien courant n’est pas à la portée de tous les budgets. Cela étant posé, la durabilité du V12 est bien réelle s’il a reçu tous les soins exigés par son pedigree (et le programme de maintenance prévu par le constructeur). Les pièces d’usure comme les freins ou l’embrayage peuvent coûter le prix d’une bonne compacte d’occasion ; cependant les opérations en atelier ont quand même bénéficié d’une certaine rationalisation, si l’on compare avec les aberrations d’il y a trente ans, lorsqu’il fallait tomber le moteur pour un oui ou pour un non. La 599 demeure une auto complexe, exigeante mais elle sait aussi être fidèle et n’a plus les fragilités systématiques d’autrefois. Moyennant quoi, en prendre le volant pour traverser l’Europe peut se faire sans plus d’arrière-pensées qu’à bord d’une Toyota Prius. Le choix vous est donc ouvert entre les fièvres éruptives de l’âme et l’ennui le plus mortel ; pour notre part, nous savons ce qu’il nous reste à faire…

Texte : Nicolas Fourny

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