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Kit-cars : scandaleuses françaises !

Par Julien Hergault - 22/06/2020

Deux litres, deux roues motrices… Rien de très excitant ? Pourtant, les kits-cars restent dans les mémoires comme de formidables machines, aussi spectaculaires que sexy. Et pour ne rien gâcher à notre plaisir, les Français ont su profiter de cette sous-classe pour surclasser l’élite de la catégorie reine dans la deuxième moitié des années 1990. Scandale !

Après Alpine en 1973, Peugeot devient le deuxième constructeur tricolore à remporter le Championnat du Monde des Rallyes en 1985 et 1986. C’est l’époque du Groupe B, dont la définition ultra-libérale permet – entre autres – de greffer un moteur central et une transmission intégrale à n’importe quelle citadine d’entrée de gamme. Jugées dangereuses, ces fabuleuses machines sont bannies des rallyes fin 1986 et laissent place aux voitures du Groupe A, nettement moins sulfureuses. Désormais, pour être homologuée, une auto doit impérativement conserver l’architecture d’origine d’un modèle fabriqué à 5 000 exemplaires par an. Si Jean Todt se tourne alors vers la Pikes Peak et le Dakar où ses Peugeot 205 T16 sont encore admises, Renault persévère en Rallye avec la R11 Turbo. A son volant, Jean Ragnotti fait 2ème au Portugal, puis 3ème au San Remo 1987 mais, rapidement, l’évidence s’impose que l’avenir n’appartient qu’aux quatre roues motrices. Les constructeurs qui en ont à leur catalogue se partageront désormais le gâteau. C’est l’époque des Lancia Delta, Toyota Celica, Mitsubishi Galant, Ford Sierra, Subaru Legacy.

Réduite à faire de la figuration, l’équipe Renault gagne tout de même la classe Production (voitures de série) en 1989 et 1990 avec la Supercinq GT Turbo, avant de se replier sur le Championnat de France avec la Clio. Cette dernière, qui répond au règlement du Groupe A, subit logiquement la loi des 4×4 « privées » que pilotent brillamment Bernard Béguin, Yves Loubet ou Pierre-César Baroni. Le grand constructeur est réduit à un rôle de figurant dans son propre championnat national… Une situation intolérable ! Il faut préciser que les têtes pensantes de la marque n’ont pas mis toutes les chances de leur côté en motorisant la version sportive de la citadine d’un quatre cylindres de 1 764 cc, alors que 2 000 cc seraient admis en rallye… Pourquoi s’en priver ? C’est pour atteindre cette limite qu’on allonge la course des pistons, donnant naissance à la légendaire Clio Williams. Le coup de génie est alors de proposer, à la vente, un ensemble prêt-à-monter offrant au propriétaire la possibilité de convertir sa 16S en Williams. Le concept du kit de transformation est né. Pourquoi ne pas aller plus loin ? Patrick Landon, le rusé responsable du département rallye chez Renault, suggère alors la création d’une catégorie plus sexy : les kit-cars. Plus qu’un amendement technique au texte en vigueur, c’est une proposition faite dans les négociations pour l’écriture du futur règlement, lequel devra permettre à tous les constructeurs d’atteindre le plus haut niveau des rallyes, sans nécessairement lancer une 4×4 sur le marché. Ce lobby, qui prône les « deux litres, deux roues motrices » semble un moment avoir gain de cause auprès des instances internationales mais, concurremment, un autre groupe de pression, mêlant Britanniques et Japonais, tente de préserver les quatre roues motrices en Championnat du Monde, prévoyant une évolution future (qui donnera naissance aux World Rally Cars). Indécise, la commission technique de la FIA donne son feu vert aux kit-cars à l’automne 1993, sans se douter du séisme qui se prépare… 

A leurs débuts, les kit-cars détruisent les pneus avant. Jusqu’à la mi-saison 1995, les privés du Groupe A contiennent encore les velléités des deux constructeurs. Rouergue 1995, première victoire de la Clio Maxi avec Philippe Bugalski. C’est une prise de pouvoir avec les cinq kit-cars d’usines aux cinq premières places, trois Renault et deux Peugeot. Lyon-Charbonnières, première manche du championnat 1996, et première victoire de la Peugeot 306 Maxi. La révélation, Gilles Panizzi va finir 11 des 12 rallyes de la saison, sans froisser une aile.

Notice de montage

Une kit-car est une voiture dont la carrosserie de base doit être produite à 25 000 exemplaires par an, 2 500 pour le moteur. De là, il est possible de réaliser des kits – pas forcément assemblés – comprenant entre autres : un arceau cage, un système de freinage, un embiellage, une boite de vitesses, un faisceau électrique, des amortisseurs, un aileron, des voies élargies de 14 centimètres et des jantes d’un diamètre supérieur de 2 pouces à l’origine… Le tout pour un poids total minimum de 960 kilos. La première kit-car arrive dès le Rallye du RAC 1993, mais cette Volkswagen Golf n’exploite que très peu des possibilités offertes. Quelques mois plus tard, Ford lance son Escort Mk5 à carrosserie élargie, les modifications n’étant, pour la plupart, que des adaptations de pièces issues de la Cosworth du Groupe A. En réalité, la première vraie kit-car, développée entièrement dans cet esprit, n’arrive qu’en 1995 avec la Clio Maxi qui remporte plusieurs rallyes nationaux aux mains de Philippe Bugalski en France, ou de Bernard Munster en Belgique. Dans la foulée, Citroën homologue à la hâte une ZX 16V kit-car, un modèle dépassé et rapidement oublié. Peugeot, enfin, tâte d’abord le terrain avec une 306 Groupe A d’usine, puis lance à son tour une version Maxi homologuée le 1er juin 1995. A l’étranger, d’autres se jettent dans la bataille comme Skoda, Seat et Suzuki qui s’affrontent en 1996 dans la Coupe du Monde de Formule 2. Car si ces machines sont accessibles aux amateurs (contre un chèque ne dépassant pas les 200 000 euros), elles sont aussi idéales pour les « petits » constructeurs qui peuvent s’offrir une campagne mondiale à moindre frais. C’est tout de même trop pour Peugeot et Renault qui, faute de budget, ne peuvent se mêler officiellement au match planétaire, la plus grande partie de leurs ressources étant consacrée à la fourniture des V10 de Formule 1 (Williams et Benetton pour le premier, Jordan pour le second). Alors chacun des deux commandos concentre ses forces sur les 12 rallyes du Championnat de France. Rapide mais fragile, la Peugeot 306 progresse durant toute la saison 1995 tandis que, chez Renault, la Clio laisse place à la Megane. Mars 1996, le duel peut commencer : d’un côté, la berline trois portes, racée de naissance et magnifiée par l’ajout d’un aileron ; de l’autre, le coupé fadasse d’origine, qui dévoile enfin son vrai caractère après quelques séances de musculation. Deux concentrés d’agressivité, méchamment colorés dans leurs peintures de guerre.

Une douzaine de personnes par équipe et des moyens logistiques bien loin des standards du moment en mondial. Ambiance au Parc d’assistance de Rodez en juillet 1997. En 1996, les kit-cars développent 280 cv pour 930 kg, contre 310 cv et 1230 kg pour les WRC. Le rapport poids/puissance est favorable aux tractions ; reste à progresser en motricité. En 1996, le Tour de Corse ne compte pas pour le Championnat du Monde, mais pour la Coupe du Monde 2 Litres. La Maxi Megane y remporte un éclatant succès avec Philippe Bugalski.

Manger du tarmac

Dans l’Hexagone, le règlement 1996 diffère en deux points des autres compétitions nationales : primo, on ne roule que sur asphalte ; secundo, les 4×4 ne marquent pas de points. La voie est libre pour les deux roues motrices. Gilles Panizzi (Peugeot) et Philippe Bugalski (Renault) réalisent précisément le même chrono dans la première épreuve spéciale du premier rendez-vous, au Lyon-Charbonnière. Le match est lancé. Le premier l’emporte finalement. Puis c’est au tour du deuxième, qui gagne d’une petite seconde au Grasse-Alpin. Le duel se poursuit avec une intensité extraordinaire, les deux hommes se partageant équitablement les victoires : 3-3 à la mi-saison. L’affaire devient médiatique, elle passionne désormais l’acheteur potentiel, curieux de savoir quelle sera la meilleure de ces deux voitures commercialement concurrentes sur le même segment de marché. Alors chacun des deux constructeurs redouble d’efforts et d’ingéniosité pour développer la meilleure dévoreuse d’asphalte. Les moteurs passent de 250 à près de 300 cv avec des régimes avoisinant les 10 000 tr/min. Qui aurait imaginé passer une telle puissance sur les seules roues avant ? La géométrie des suspensions et la répartition du freinage sont optimisées pour compenser les effets négatifs du tout-à-l’avant sur l’équilibre des masses. A force d’essais, on comprend que mieux vaut dégrader l’adhérence du train arrière pour lutter contre le sousvirage. Chez Peugeot, on va jusqu’à construire un prototype à quatre roues directionnelles, sensé mieux tourner, mais qui louvoie en ligne droite ! La chasse aux kilos superflus incite l’adoption de solutions radicales, parfois trop, comme ces disques de freins en aluminium qui fondent littéralement sous les sollicitions de Gilles Panizzi. Du côté de la boite de vitesses, c’est Renault qui a pris de l’avance en introduisant, dès 1993, la première commande séquentielle en rallye. Peugeot s’en inspire et développe son propre dispositif « powershift » qui permet au pilote de garder le pied à fond sur l’accélérateur lors des changements de rapports. « Un vulgaire switch trouvé sur un catalogue d’électronique, démystifie aujourd’hui le directeur technique de l’époque, Mario Fornaris. Un bricolage monté directement sur le levier de vitesses, qui coupe l’allumage au bon moment. Un truc merdique qui se dérègle sans cesse… Un enfer. » Mais ça marche ! Sur le terrain, les deux équipes développent des procédures spécifiques, comme celle qui consiste à s’arrêter entre deux spéciales pour permuter les roues des essieux. De cette façon, la faible sollicitation du train arrière profite aux roues motrices qui bénéficient de pneus quasi-neufs au départ du deuxième tronçon chronométré. Ces voitures, qui détruisaient les enveloppes les plus résistantes, emploient désormais des gommes plus tendres que celles utilisées par les transmissions intégrales.

En quelques mois, les kit-cars françaises ont fait un bond fabuleux, au point d’affoler certains observateurs qui, dix ans après la suppression du Groupe B, voient revenir le danger. Thierry Renaud n’a-t-il pas succombé à l’accident dont il fut victime aux côtés de Philippe Bugalski ? En Alsace, Jean Ragnotti et Gilles Thimonier sortent miraculeusement indemnes de leur Maxi Megane, après un crash survenu dans une courbe négociée à fond de sept, à 190 km/h. Le plus chevronné des pilotes ne s’en remettra pas. Dépassé, il endosse alors le costume du clown qui régale le public à grands coups de freins à main. Dans le camp adverse, même combat pour François Chatriot qui ne dispute qu’une poignée de compétitions avant de renoncer. Son remplaçant François Delecour, lui aussi galère, mais persévère. Pour avoir longtemps piloté des 4×4 turbo, il est le mieux placé pour juger : « La 306 est une auto diabolique, mais il faut passer le cap. Il m’a fallu un an pour apprendre à la conduire. Le train arrière est vif, nerveux à tel point qu’il est inutile de chercher à le domestiquer. Au contraire il faut se servir de son manque de docilité, de sa rapidité de réaction, pour placer l’auto dans la courbe. Alors elle devient un kart. Il faut oser. Cela exige une concentration extrême de tous les instants et une incroyable dépense d’énergie. » En septembre 1996, l’équipe Peugeot Sport managée par Jean-Pierre Nicolas prend l’avantage sur sa rivale. Il est temps de viser plus haut.

Triple Championne du Monde 2 litres (1996-1997-1998), la Seat Ibiza ne peut rivaliser avec la Peugeot 306 sur les rallyes asphaltes où elle perd 2 secondes au kilomètre ! Un sobre ruban noir sur le rétroviseur en hommage à Sébastien Enjolras, fils de Michel Enjolras (préparateur des 306 Maxi), décédé aux essais du Mans, juste avant le Tour de Corse 1997. D’incompréhensibles problèmes de freins gâchent l’unique participation des Maxi Megane officielles en Championnat du Monde, lors du Tour de Corse 1997.

Entrée dans l’arène

Lundi 14 avril 1997, l’équipe Peugeot Sport revient en Championnat du Monde comme si elle ne l’avait jamais quitté. C’est un coup de tonnerre en Catalogne. Gilles Panizzi signe le meilleur temps des quatre premiers secteurs chronométrés. A l’issue du cinquième, il devance son plus proche poursuivant Colin McRae (Subaru) de près de 20 secondes. Le régional de l’étape, Carlos Sainz (Ford) pointe à plus d’une minute ! Hélas, dans la 6ème et dernière spéciale du jour, la Peugeot crève un pneu en roulant sur une projection laissée par les WRC – de véritables machines agricoles qui ratissent au plus profond des bas-côtés. Tout s’est joué à quelques kilomètres près. Si Panizzi avait terminé le premier jour en tête et ouvert la route le deuxième, personne ne l’aurait jamais revu. François Delecour est sorti… Un rendez-vous manqué. Dommage, les occasions seront rares, sachant que sur les 14 manches que compte le Championnat du Monde, deux seulement se disputent intégralement sur asphalte. La seconde, justement,

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