Ford Comète et Monte Carlo : coupés météoriques fabriqués chez Facel
Ford sans ovale, V8 sans puissance, design italien signé Farina, produite par Facel, et terminant sa carrière météorique sous le logo Simca : voilà une histoire tumultueuse pour une voiture qui ne sera produite qu’entre 1951 et début 1955, j’ai nommé la Ford Comète.
Vue la durée de sa commercialisation (à peine plus de 4 années), on peut dire que cet élégant coupé portait bien son nom. Mais malgré son insuccès et sa carrière éclair, la Ford Comète n’est pas une voiture inintéressante car elle porte en elle les affres de l’automobile française des années 50 et les prémices de la marque de luxe Facel-Véga. Pénalisée par son coût prohibitif et sa sous-motorisation, elle n’arrivera pas à émerger sur un marché français encore balbutiant. Consolation : la petite Simca 8 Sport, produite sur les même chaînes chez Facel, connaîtra sensiblement le même sort malgré une production légèrement supérieure. Les héritières Océane et Plein Ciel, elles aussi fabriquées chez Facel, seront encore plus confidentielles (lire aussi : Simca Océane et Plein Ciel).
Mais revenons à notre Comète. En 1948, Ford SAF, filiale française du géant américain, lançait la Ford Vedette, berline haut de gamme équipée d’un V8 maison. Lancée trop tôt sans doute, et à la fiabilité douteuse, la Vedette plomba les comptes de Ford SAF, entraînant le limogeage de son président Maurice Dolfuss. Il fut alors remplacé par un personnage au passé trouble, François Lehideux.
Marié à une nièce de Louis Renault, Lehideux s’était imposé au sein du constructeur français grâce à des méthodes assez peu orthodoxes. Il finira par être sommé de quitter l’entreprise en 1940 par son oncle par alliance : à cette époque, il n’hésita pas à lancer une campagne de discrédit concernant son ancien patron et oncle par alliance. Durant la guerre, il n’hésita pas à soutenir le gouvernement de Vichy (il y fut nommé Commissaire à la lutte contre le chômage), récupérant au passage une francisque, et prônant au sein du Comité d’Organisation de l’Automobile (COA) dont il fait parti la collaboration industrielle avec l’Allemagne. Etrangement, et contrairement à Louis Renault, François Lehideux, bien qu’arrêté en 1944, passera entre les gouttes de l’épuration, avec une libération provisoire en 1946 et d’un non lieu en 1949 (par manque de preuve, mais aussi acte de résistance). Bref, il s’agissait d’un sacré loustic qui prenait la présidence de Ford SAF en 1950.
Malgré son passage controversé chez Renault, Lehideux allait s’attaquer d’une main de fer à la tâche fixée par Ford USA : redresser les comptes, et du même coup mater un personnel sans doute un peu trop exigeant. Assez éloigné de toute considération humaniste, Lehideux s’attaquera au comité d’entreprise, et profitant de la grève qui s’en suivit, licenciera les récalcitrants, les meneurs, et tous ceux qui s’opposeraient un peu trop ouvertement à sa politique d’assainissement. Pourtant, Lehideux n’est pas l’homme de Dearborn, loin de là ! Il a un petit côté mégalo et compte bien montrer son indépendance vis à vis de la maison mère.
Son projet ? Lancer un coupé de luxe sur la base de la berline Vedette, loin des directives venant des Etats-Unis. Il fit d’ailleurs réaliser les premiers prototypes en secret des américains mais aussi de certains cadres de Poissy. Admirant le travail réalisé sur la Simca 8 Sport, dessinée par Stabilimenti Farina et fabriquée par Facel, Lehideux s’adressa donc aux deux entreprises pour réaliser son rêve. Facel n’était pas encore le fabricant de voiture de luxe que l’on connaît aujourd’hui, mais un sous-traitant de l’automobile, fabricant aussi bien des pare-chocs que des carrosseries (pour Panhard par exemple) mais aussi des voitures entières pour Simca notamment. L’entreprise de Jean Daninos s’était en outre illustrée dans le luxe en produisant une dizaine de Bentley Cresta entre 1948 et 1949 (lire aussi : Bentley Cresta). Il s’agissait donc du partenaire idéal, entretenant des liens étroits avec les Stabilimenti Farina mais aussi avec le frère, Pinin. Le premier prototype fabriqué portait d’ailleurs le nom de Farina-Facel.
Les Comètes étaient fabriquées chez Facel, aux côté des Simca Sport ….Le 17 août 1951, au Pays Basque, étaient présentés deux prototypes de la nouvelle Comète, sur un châssis raccourci de Vedette mais au moteur rigoureusement identique : un V8 2.2 litres développant la puissance ahurissante de 68 chevaux ! Côté ligne en revanche, mise à part une face avant un peu trop massive, c’était une réussite, en particulier son pavillon qui fait aujourd’hui irrémédiablement penser aux premières Facel-Véga FV et FV1 ! Les invités du raoult organisé pour la présentation ne se doutait pas alors que la Bentley Cresta II présentée la même année et la Ford Comète préfiguraient une belle aventure française dans la voiture de luxe.
… mais aussi aux côtés des Simca IntendantesChose étonnante qui montre bien dans quel état d’esprit d’indépendance était Lehideux vis à vis de la maison-mère, aucune des deux voitures ne portent de logo Ford. Pire : les voitures sortant pour la première fois de chaînes Facel le 15 septembre restaient elles aussi vierge de tout lien visuel avec Ford : pas de logo, un design éloigné de la Vedette, une fabrication « hors les murs » de Poissy. De quoi mettre en rogne les patrons ricains, Henri Ford II en tête. Certes, il sera conquis par le design de la voiture qu’il lui mit à disposition durant un déplacement en Europe, et demandera qu’on lui en expédie quelques exemplaires aux USA, mais il gardera une dent contre Lehideux et son action en sous-main. Sans le savoir, Lehideux venait de se créer un ennemi.
L’année 1952, première année pleine pour la Comète, fut implacable : la voiture ne se vendait pas. A sa décharge, la Vedette se traînait aussi sur le marché, et aux States, on s’agaça suffisamment pour envoyer deux cost-killers chargés de faire un état des lieux, un peu le ménage, et sans doute de préparer la vente de cette encombrante filiale. Aux USA, on avait déjà décidé de se réorganiser sur le marché européens en ne comptant que sur deux filiales, en Angleterre et en Allemagne. Le sort de Ford SAF était semble-t-il déjà scellé fin 52, et le cas de Lehideux déjà réglé dans la tête d’Henri Ford II.
Pourtant, la Comète ne fut pas tout de suite arrêtée. On tenta même en 1953 de relancer les ventes dramatiques avec un V8 passé à 2.4 litres et 80 chevaux. L’année se terminait pourtant avec des scores bien en dessous des espérances, et le départ du patron Lehideux, la direction étant reprise en main par l’un des deux sbires de Dearborn, Francis C. Reith. Histoire de rendre sans doute la mariée un peu plus belle qu’elle ne l’était en réalité, on présentait en janvier 1954, au salon de Bruxelles, une version plus sportive, nommée Monte Carlo. Son moteur « Mistral », un V8 3.9 litres aux origines utilitaires, offrait enfin plus de 100 chevaux (105 pour être exact) mais cette Monte Carlo prenait encore un peu plus d’embonpoint (de 1320 kg, elle passait à 1470, annulant quasiment le gain de puissance). La Monte Carlo se distinguait aussi par une nouvelle calandre « coupe frite » et une fausse entrée d’air sur le capot moteur.
Pendant ce temps là, on voyait un Henri Pigozzi (lire aussi : Henri Pigozzi) déambulant dans les allées de Poissy avec l’accord de Reith. Il était déjà clair qu’aucun autre candidat que Simca ne serait sur les rangs. Pigozzi, lui, s’intéressait avant tout à l’usine. Ce fut à la mi-1954 que Ford et Simca annonçaient la vente de Ford SAF. Mais la vente réalisée en juillet ne signa pas l’arrêt de mort de la Comète. Pigozzi travaillait de concert avec Jean Daninos et Facel. Outre les Simca Sport, puis Week End l’entreprise fabriquait aussi ses utilitaires « Intendantes », et s’apprêtait à produire les Océane et Plein Ciel. Pour ne pas nuire à un sous-traitant, le contrat fut maintenu jusqu’à fin 1954 pour les Comète, tandis que quelques Monte Carlo furent encore fabriquées au tout début de l’année 1955. Au total, seules 2165 Comètes virent le jour (dont 699 en version Monte Carlo), ce qui explique leur rareté aujourd’hui.