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BMW Série 3 E21 : l'icône oubliée... ou presque

Par Nicolas Fourny - 12/06/2023

« L’équipe dirigée par Paul Bracq avait réussi, dans un format relativement compact, à intégrer tous les substrats du style maison »

En 1971, Alfa Romeo produisit 123 309 voitures, versus 164 701 pour BMW. Au début des années 1970, les deux firmes étaient unanimement considérées comme de proches rivales, luttant au coude à coude pour séduire une catégorie de conducteurs exigeants, s’intéressant autant à la performance qu’au design. Or, un demi-siècle plus tard, le bilan n’est vraiment pas glorieux pour les Italiens : en 2021, Munich a écoulé plus de deux millions de véhicules dans le monde, versus seulement… 44 000 Alfa. Cela étant posé, l’objet de cet article ne consiste pas à énumérer, une fois encore, les tristes étapes de la déchéance du constructeur milanais mais de narrer l’histoire de l’un des modèles-clés qui ont permis à l’hélice de terrasser le Biscione, nous avons nommé la toute première Série 3 qui, quarante-cinq ans après sa présentation initiale, mérite amplement que l’on s’intéresse à son sort !

Celle que l’on attendait sans le savoir

De nos jours, la E30 rassemble bien des suffrages auprès des béhémistes patentés. Plébiscitée, entre autres raisons, grâce à l’étendue de sa gamme, la diversité de ses carrosseries et la multiplicité de ses motorisations, la descendante directe de la E21 semble avoir purement et simplement éclipsé son aînée de la mémoire collective. Mais cette dernière constitue bel et bien une matrice, non seulement de celle qui fut longtemps la plus populaire des BMW, mais aussi de la berline sportive compacte européenne, telle que la firme bavaroise a su la redéfinir de façon archétypale au cœur de la décennie 70, donnant naissance à un benchmark absolu après lequel bien des concurrents essayèrent dès lors de courir — en vain, la plupart du temps. Ce n’est pas faire preuve de snobisme ou d’obsession pro-germanique que de l’écrire ; il s’agit, plus factuellement, d’un constat brut. Ni la nuova Giulietta dont accoucha péniblement Alfa Romeo, ni la Renault 18 Turbo, ni l’Audi 80 GTE ne parvinrent à détrôner l’icône, bientôt promue objet de désir et symbole de réussite sociale pour tous les jeunes cadres dynamiques de part et d’autre de l’Atlantique. Il faut bien en convenir, la synthèse obtenue par les auteurs de l’engin tutoyait un équilibre quasi-parfait entre la performance, la polyvalence et la facilité d’usage, le tout à l’appui d’une qualité de construction qui ridiculisait aussi bien les restes de l’industrie automobile britannique que la récurrente pusillanimité de son homologue française. Et pourtant, l’auto n’avait rien de particulièrement novateur lors de son apparition ; elle se contentait de recycler des composants éprouvés, qui avaient longtemps fait le bonheur des utilisateurs de la série 02. Le quatre-cylindres maison ne chantait peut-être pas aussi bien qu’un bialbero transalpin, mais il n’en montait pas moins en régime avec conviction, tandis que le châssis se montrait à la hauteur des capacités mécaniques des premières Dreier, dont le catalogue paraîtrait bien mince à un automobiliste d’aujourd’hui…

Coûteuse, mais incontournable

Ainsi, reprenant la nomenclature inaugurée par la Série 5 en 1972, la gamme de lancement était constituée des 316, 318, 320 et 320i dont, comme son matricule l’indiquait, seule la dernière nommée disposait d’une injection Bosch K-Jetronic, les deux autres s’en remettant à un vaillant carburateur qui allait d’ailleurs occuper l’entrée de gamme BMW durant de longues années encore. Exclusivement commercialisée sous la forme d’une berline deux portes, selon une formule chère au marché ouest-allemand, la Série 3 proposait une actualisation très habile des thèmes de son prédécesseur. L’équipe dirigée par Paul Bracq avait réussi, dans un format relativement compact — l’auto atteignait tout de même 4,36 mètres de long, soit, pour fixer les idées, seulement 26 centimètres de moins qu’une Fünfer —, à intégrer tous les substrats du style maison. Le shark nose bannissait les chromes au profit d’éléments en plastique traités en noir mat (très en vogue à ce moment-là) ; pour sa part, le traditionnel pli Hofmeister répondait présent au niveau de la custode mais c’était sans doute la partie arrière qui se démarquait le plus du modèle sortant : aux optiques carrées succédaient des feux rectangulaires épousant une ligne de caisse rehaussée et qui, dès le deuxième millésime de l’auto, furent agrémentés d’une plaque décorative en plastique rainuré rappelant étrangement celle que l’on retrouva, quelques années plus tard, sur la poupe de certaines Peugeot… À l’intérieur, on découvrait un poste de conduite agréablement cintré qui, aujourd’hui encore, caractérise la plupart des voitures de la marque mais qui était alors absolument inédit. À lui seul, ce cockpit délibérément orienté vers le conducteur — j’allais écrire le pilote — fit couler beaucoup d’encre. Très adroitement dessiné, le mobilier de bord adressait de la sorte un message sans équivoque aux occupants de l’auto : nouvelle égérie du Freude am Fahren, celle-ci s’adressait principalement à ceux qui aimaient conduire, les autres n’étant que de vulgaires passagers priés de s’accommoder d’un habitacle assez peu accueillant à l’égard de ceux qui étaient habitués au moelleux des voitures françaises. Sièges durs, suspension ferme et équipement de base minimaliste (la liste des options destinées à améliorer l’ordinaire était déjà très copieuse à l’époque) avaient de quoi faire tiquer plus d’un client habitué aux modèles généralistes, surtout lorsqu’il prenait connaissance du tarif : vendue 28 900 francs sur le marché français au début de 1976, la 316 coûtait à peine moins cher qu’une Peugeot 504 Ti, dotée de quatre portes, mieux équipée, plus spacieuse, plus confortable, mieux motorisée, ne tenant pas forcément moins bien la route mais, il est vrai, incomparablement moins réjouissante à conduire…

L’épanouissement d’une idée

La magie des emblèmes et des réputations ne date pas d’hier et, que vous ayez aimé conduire ou, plus superficiellement, impressionner vos collègues de bureau, l’agressive calandre BMW, même lorsqu’elle abritait des mécaniques poussives (à partir de 1981, le constructeur proposa aux moins favorisés de ses clients une 315 particulièrement sinistre à fréquenter car scandaleusement sous-motorisée), pouvait suffire à vous convaincre de signer un bon de commande, l’image que renvoyait l’auto étant bien plus valorisante que celle d’une Opel Ascona SR, fût-elle ornée d’un toit en vinyle. Même les variantes les moins onéreuses — qui devaient se contenter d’une calandre à deux phares — charriaient avec elles les fantasmes les plus sulfureux et intimidaient volontiers ceux qui ne pouvaient ou ne voulaient pas franchir la frontière qui séparait la construction de masse de l’élite à laquelle la « petite » Béhème souhaitait se rattacher. Au demeurant, nous l’avons déjà dit, les rivales de la Série 3 n’étaient pas nombreuses. Au mitan des seventies, les constructeurs français n’avaient strictement rien à lui opposer ; les Anglais assistaient, impuissants, à l’agonie de la Triumph Dolomite Sprint ; et les Italiens raccommodaient des mythes dont l’essoufflement sautait aux yeux. Il fallait avoir des goûts singulièrement exotiques pour s’intéresser à la Saab 99, ou savoir apprécier un style mi-rustique, mi-canaille pour se déplacer au volant d’une Ford Escort RS 2000 — brute attachante mais qui semblait s’être échappée d’une spéciale de rallye, ce qui n’en faisait pas la monture la plus convoitée par la bourgeoisie sportive à laquelle la BMW se destinait en priorité. Les 125 chevaux de la 320i n’amusaient pas le terrain, affichant un niveau de puissance que l’on rencontrait alors plus usuellement sous les capots des familiales ou des routières les mieux motorisées. Même si certains journalistes reprochèrent à la nouvelle venue un comportement routier quelque peu édulcoré par rapport aux glorieuses 2002, la maniabilité et la légèreté de la carrosserie (qui n’atteignait pas les 1100 kilos), combinées aux ressources du moteur, aboutissaient à un ensemble déjà fort convaincant. Pourtant, le meilleur restait à venir…

Trois vingt-trois i, mon amour

Dans l’Auto-Journal du 1er juin 1978, André Costa publia son premier banc d’essai de la 323i, nouvelle version de pointe de la gamme. Sous le titre Une dure leçon, le légendaire essayeur s’avéra tout aussi acerbe à l’endroit des firmes françaises — à la ramasse une fois encore, il faut bien en convenir — qu’il se montra particulièrement élogieux à l’égard d’une auto à laquelle il n’avait à reprocher que des vétilles ; car, cette fois, c’est un six-cylindres qui se blottissait derrière le double haricot bavarois, et pas n’importe lequel. À l’heure où le V6 PRV de la 604 — encore handicapé par son irrégularité de fonctionnement et un goût irraisonné pour le carburant — exhalait péniblement ses 144 chevaux en partant d’une cylindrée de 2,7 litres, BMW offrait à sa Série 3 les joies d’une motorisation noble, au rendement bien supérieur et dont la musicalité aurait pu, à elle seule, justifier l’achat. Bien entendu, les performances chiffrées étaient à l’avenant : au maximum de ses possibilités, l’A-J chronométra l’engin à 193 km/h, tandis que le kilomètre départ arrêté était abattu en un peu plus de 30 secondes. Des valeurs qui avaient de quoi faire réfléchir les propriétaires de Porsche 924, animée par un plébéien quatre-cylindres nettement moins entreprenant que le 2,3 litres munichois, et cependant tarifée 30 % plus cher ! Alors oui, c’est vrai, les 57 000 francs que valait la 323i au moment de son lancement la rendaient inaccessible à la plupart des gens (c’était le prix d’une Mercedes 200 et pratiquement celui d’une Lancia Gamma) ; néanmoins, une étude attentive de la concurrence potentielle renforçait encore le pouvoir de séduction du modèle car, en ce temps-là, il n’existait tout simplement pas d’alternative réelle à la Série 3 ainsi gréée !

L’expertise sans tapage

Il est toujours agréable de relire André Costa dans ses œuvres : « Grâce à l’adhérence fournie par la suspension arrière et aussi au pont autobloquant, la motricité est étonnante. En dépit de la puissance et du couple, la voiture accélère presque comme si son moteur se trouvait dissimulé dans la malle, ce qui permet de contrôler paisiblement des dérives importantes et prolongées, sans pertes d’adhérence inopinées ni tendance au roulis. » Le moteur lui-même n’échappe pas aux louanges de l’essayeur : « À dire vrai, il est difficile de formuler le moindre reproche à l’égard de ce moteur. En dehors de la question performances, il est silencieux et équilibré à tous les régimes, ce qui ne l’empêche quand même pas de rugir discrètement lorsqu’on le mène jusqu’aux frontières fixées par le limitateur d’allumage, à savoir 6400 tr/mn. » On l’aura compris, dans la grisaille de ces années-là, marquées par la crise, les guerres, l’inflation galopante, le chômage endémique et les disques de Patrick Topaloff, la 323i ressemblait à un petit miracle susceptible de vous redonner le sourire en toutes circonstances, et dont l’austérité apparente dissimulait un tempérament digne de certaines GT contemporaines. Pour autant — et ce fut probablement l’une des raisons de son succès —, l’esthétique de l’auto se complaisait dans une certaine discrétion et ne se démarquait que modérément de ses sœurs de gamme, BMW n’ayant pas hésité à l’équiper des mêmes jantes en tôle que les autres Série 3. Il fallait l’œil d’un expert pour repérer les logos fixés sur le coffre et la calandre, les pneumatiques de 185 de large ou les deux sorties d’échappement qui, des années durant, signèrent la suprématie du modèle sur la plus grande partie du parc roulant. De fait, toutes proportions gardées et avec une quinzaine d’années d’avance, la 323i annonçait ce qu’allait être la M3 E36 en 1992 : une machine extraordinairement polyvalente, capable de se déplacer à très grande vitesse tout en demeurant facilement utilisable au quotidien. À l’heure actuelle, c’est bien sûr cette variante qu’il faut collectionner en priorité, mais les tout premiers exemplaires, dont le nuancier comportait des teintes délicieusement datées — le vert Mintgrün ou le jaune Golf-metallic constituant des pièces de choix, évidemment très difficiles à trouver —, peuvent intéresser les amateurs de sensations vintage. Fabriquée à plus de 1,3 million d’exemplaires en sept ans, la E21 est toutefois devenue fort rare. Moins frivole que la E30, elle n’a connu que le cabriolet Baur comme seul dérivé exotique et n’a pas bénéficié des attentions du département M. Ceux qui l’ont pratiquée dans la force de l’âge sont à présent octogénaires mais, nul doute que si l’un d’entre eux cédait de nouveau à ses charmes, il trouverait là de quoi oublier le poids des années : il suffit parfois de prendre le volant d’une BMW « à l’ancienne » pour retrouver les élans de sa jeunesse et repousser indéfiniment l’heure du crépuscule…





Texte : Nicolas Fourny

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