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Audi RS2 : naissance d'un archétype

Par Nicolas Fourny - 14/02/2023

« À condition de rester dans la plage d’utilisation la plus favorable, le moteur Audi version Weissach devient irrésistible en montagne, avec une motricité impossible à prendre en défaut, ce qui n’exclut pas les dérives si vous savez vous y prendre »

Comme chacun sait, afin de rejoindre BMW et Mercedes-Benz au firmament de l’élite automobile, Audi a dû suivre un chemin difficile, exigeant et parsemé de multiples étapes. À partir du début des années 1980, on a ainsi assisté à un véritable feu d’artifice technologique, la firme d’Ingolstadt multipliant les innovations dans le but de transformer une image jusqu’alors bien terne, tout en évitant avec soin de copier servilement une concurrence déjà solidement installée. De la sorte, avec une audace et un courage qui tranchaient avec la relative frilosité de ses rivaux, la filiale de VW ne se contenta pas d’investir des segments de marché qui lui semblaient inaccessibles ; elle en créa carrément plusieurs — dont celui du break familial surmotorisé, primitivement incarné par une RS2 que la rareté, le temps qui passe et les collectionneurs ont progressivement transformée en mythe !

Un trouble-fête à cinq portes

Récemment, les amateurs de BMW sont tombés en pâmoison en apprenant que leur marque fétiche se décidait enfin à commercialiser une M3 Touring ; pour des motifs difficilement compréhensibles, aucune des générations ayant précédé l’actuelle G20 n’avait effectivement eu droit à une telle variante, laissant ainsi le champ libre aux Mercedes et aux Audi, cette dernière ayant inauguré la formule dès 1993 — ce qui n’a pas manqué d’inspirer ses deux compères, avec plus ou moins de retard à l’allumage toutefois. Car en l’espèce, c’est bien Audi qui a tiré le premier il y a un peu plus de trente ans, en concevant un engin dont les caractéristiques allaient surprendre plus d’un observateur et qui le situaient à la limite de l’incongruité. Car quand on replace la RS2 dans le contexte qui l’a vu naître, l’apparition brutale d’un break de 315 chevaux, muni d’une transmission intégrale et ayant bénéficié des soins attentifs du bureau d’études Porsche avait en effet de quoi ébahir le public, même si la firme bavaroise s’était lancée, depuis plusieurs années déjà, dans une réjouissante course à la puissance dont l’aboutissement (forcément temporaire) se présenta sous ce format pour le moins inattendu. Non seulement il n’existait aucun modèle équivalent mais, de surcroît, l’auto s’installait sans vergogne au sommet de la hiérarchie des puissances disponibles chez Audi en ce temps-là, tout en tutoyant d’authentiques voitures de sport comme la Ferrari 348, voire une certaine 911 Turbo…

Cinq cylindres, sinon rien

Pourtant, sept ans auparavant rien ne laissait présager aux premiers acquéreurs de la 80 type B3 que leur paisible berline allait achever sa carrière sous les traits d’un break sportif de ce calibre. Dévoilée durant l’été de 1986, la nouvelle 80, familiale valorisante, fort bien construite et présentant un design extérieur particulièrement élaboré dont découlaient des qualités aérodynamiques jusqu’alors inconnues dans ce segment de marché, n’en demeurait pas moins extrêmement conservatrice du point de vue des moteurs comme des trains roulants. Et pour cause : ils provenaient directement de sa devancière… Nouvel instrument d’une montée en gamme enclenchée dès l’apparition de la Ur-Quattro, la « B3 » ne resta pas longtemps cantonnée aux valeureux quatre-cylindres qui avaient fait le succès de la génération précédente mais qui se trouvaient désormais étouffés par le poids du nouveau modèle (la qualité, ça se paie !). Néanmoins, si le « cinq pattes » maison vint bientôt améliorer l’ordinaire sous le capot de la 90 (version haut de gamme de la 80), il fallut la profonde mise à jour survenue en septembre 1991 (type B4) pour que débutent les choses sérieuses. Musical, noble et généreux, le cinq-cylindres Audi n’était cependant pas tout à fait lui-même lorsqu’on le privait du turbocompresseur qui lui semblait consubstantiel aux yeux des heureux conducteurs ayant pu goûter à pareil équipage ; même les variantes à 20 soupapes de la 90 ou du joli coupé qui en dériva étaient demeurées trop smooth pour pouvoir véritablement inquiéter des références telles que la BMW 325i. Mais comme on pouvait s’en douter, le bon Dr. Piëch n’allait certes pas en rester là…

Un moteur de légende

Présidant alors aux destinées d’Audi, le neveu de Ferry Porsche dirigeait l’entreprise comme l’ingénieur qu’il n’avait jamais cessé d’être et, sous son impulsion, la greffe d’une culasse à quatre soupapes par cylindres intervenue en 1983 sur le moteur de la Sport Quattro, puis en 1989 sur celui de l’Ur-Quattro de série avait plaisamment réactualisé les performances d’un modèle déjà menacé de sénescence. Après la disparition d’icelui, le cinq-cylindres (type 3B) poursuivit sa carrière sous le capot d’une berline, d’un coupé et d’un break Avant établis sur la base de la 80 « B4 » et dénommés S2, selon une logique alors difficilement intelligible et qui n’aida probablement pas ces voitures à s’extraire de l’anonymat. Pour autant, les 220 chevaux originels — systématiquement associés à la transmission Quattro — ne faisaient pas de la figuration et les performances n’avaient déjà plus grand-chose à voir avec celles de feue la 90. Pour le millésime 1993, le groupe (type ABY) gagna encore dix chevaux tandis que la boîte qui le servait totalisait dorénavant six rapports. Il n’empêche qu’en dépit d’une souplesse exceptionnelle et unanimement saluée, la lecture de la presse spécialisée de l’époque témoigne d’impressions de conduite quelque peu mitigées, alors même que la M3 E36 s’apprêtait à fixer de nouvelles références. C’est que les dérivés sportifs de la 80 s’étaient très nettement embourgeoisés et souffraient d’un amortissement déjà perfectible en conduite touristique, et qui s’avérait carrément pénalisant dès que l’on s’avisait d’exploiter la puissance disponible ailleurs qu’en ligne droite. Mais alors que le successeur de la 80 — la première A4 — piaffait déjà dans l’ombre, le meilleur restait pourtant à venir…

 

Vous aimez les breaks ?

D’ordinaire, quand un modèle approche de sa fin de vie, son constructeur stoppe son développement technique et se contente d’animer la gamme à grand renfort de séries spéciales qui ne se singularisent que par un équipement enrichi. Mais chez Audi, à cette époque on n’aimait pas faire comme tout le monde et c’est ainsi que la dernière 80 put accomplir un ultime et flamboyant tour de piste. Même s’ils ne concernaient pas le capital des deux entreprises à ce moment-là, les liens entre Porsche et le groupe Volkswagen ne s’étaient jamais dénoués et, du reste, le bureau d’études sis à Weissach travaillait avec ardeur pour bien des constructeurs, qui ne s’en vantaient pas toujours. Il n’était donc pas surprenant qu’Audi se tourne vers le cousin stuttgartois pour assurer à son modèle d’entrée de gamme une fin de parcours de haut vol. De plus, traversant une mauvaise passe, Porsche ne demandait pas mieux que d’occuper des chaînes de fabrication bientôt désertées par une Mercedes E 500 identiquement sous-traitée et dont la carrière se terminait ; car, non contente de concevoir la future RS2, la marque de Zuffenhausen allait également en assurer la production, étant davantage qu’Audi rompue aux particularismes industriels liés aux petites séries. Il suffisait d’ailleurs d’observer attentivement l’auto, lorsqu’elle fut présentée lors de l’IAA de Francfort en septembre 1993, pour déceler l’implication de Porsche dans sa mise au point. Les jantes « Cup » de 17 pouces étaient semblables à celles des 968, tandis que le bouclier arborait des projecteurs additionnels empruntés à la récente 993, qui prêtait aussi ses rétroviseurs. Ainsi, les clients potentiels se trouvaient en présence d’une machine singulière, ne ressemblant à rien de connu car exclusivement disponible en break (au vrai, on recense deux berlines produites sur commande spéciale dont l’une fut destinée à Ferdinand Piëch et est conservée par Audi Tradition) — ce qui s’apparente à un véritable coup de génie, renforçant astucieusement l’exclusivité de la proposition, sans parler d’une polyvalence inaccessible aux coupés ordinairement destinataires de ce type de motorisation.

Plus Porsche qu’Audi, finalement

Car le moteur, parlons-en ; lui aussi était passé entre les mains des ingénieurs Porsche, qui n’y étaient pas allés avec le dos de la cuillère, remplaçant en toute simplicité les arbres à cames, les injecteurs, la ligne d’échappement et, bien entendu, le turbo KKK et son échangeur ! Au bilan, le 5 cylindres aura gagné en puissance pure ce qu’il aura perdu au chapitre de la souplesse (le couple de 410 Nm étant obtenu à 3000 tours, versus 350 Nm à seulement 1950 tours sur la S2). Quand on sort de cette dernière, il faut s’y faire : le typage de la RS2 n’est plus celui d’une GT rapide souffrant d’un châssis approximatif mais correspond à une authentique voiture de sport, plus exigeante (vous changerez plus souvent de rapport, avec le chant addictif de la wastegate en prime) mais aussi plus compétente, Porsche s’étant pareillement penché sur le châssis en jetant aux orties les pompes à vélo d’origine au profit de véritables amortisseurs et ayant redéfini l’équilibre de l’auto, à présent beaucoup moins sous-vireuse que sa matrice. À condition de rester dans la plage d’utilisation la plus favorable, le moteur Audi version Weissach devient irrésistible en montagne, avec une motricité impossible à prendre en défaut, ce qui n’exclut pas les dérives si vous savez vous y prendre ; mais le modèle se révèle semblablement souverain sur autoroute, à condition de ne pas avoir le postérieur trop sensible (on est assez loin du confort postural d’une Citroën CX). Vous l’aurez compris, la première RS de l’histoire d’Audi, construite à seulement 2891 exemplaires, constitue un précieux jalon dans l’histoire de la marque mais c’est aussi une machine très attachante, ayant amené le bagage spécifique de la firme, alors dans son âge héroïque, à un niveau de performances inédit et toujours respectable à l’heure où ces lignes sont écrites… sans oublier une cote raisonnable, gage d’un rapport prix/plaisir difficilement égalable ! Il est encore temps d’en profiter…





Texte : Nicolas Fourny

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