Dans peu de temps, l’ultime RS4 thermique quittera à tout jamais le catalogue Audi, mettant ainsi un terme lugubre à près de vingt-cinq ans d’histoire. Lancée en 2000, c’est-à-dire au couchant de la génération « B5 », la toute première RS4 n’aura, quant à elle, été construite que durant peu de temps et en quantité limitée – mais cela lui aura amplement suffi pour marquer les esprits. Car il s’agit indéniablement de l’un des jalons ayant solidement installé la firme d’Ingolstadt en tant que pionnière puis spécialiste des breaks familiaux à très hautes performances. Ne cherchez pas : il n’existait tout bonnement aucun équivalent à l’époque, l’auto proposant, en toute simplicité, la puissance d’une Ferrari (qui plus est transmise aux quatre roues) sous un déguisement suffisamment anodin pour ne pas attirer l’attention des béotiens…
L’adieu au cinq-cylindres
Le principal défaut (et peut-être le seul) de la RS4, c’est d’avoir une devancière – nous avons bien sûr nommé la RS2 ! Car l’aura de cette dernière a, jusqu’à aujourd’hui, rejeté dans une relative pénombre celle qui eut la lourde tâche de lui succéder. Beaucoup d’amateurs d’Audi classiques vénèrent en effet sans partage le légendaire cinq-cylindres créé sous la férule de Ferdinand Piëch au milieu des années 1970 avant de connaître le succès que l’on sait en compétition, une fois greffé sous le capot de la toute première quattro. « Je pense que personne ne pourra jamais oublier ce son », affirmait Michèle Mouton, qui savait de quoi elle parlait. La tessiture si particulière de ce groupe mythique constitue à elle seule l’un des jalons de l’histoire d’Audi et la variante développée spécifiquement pour la RS2 – avec le précieux concours de Porsche – en incarne le climax. Ancêtre incontestée et référence absolue des breaks sportifs, quel que soit leur constructeur, celle-ci ne pouvait rester sans descendance et c’est pourquoi, dans son principe, l’élaboration de la RS4 (désormais nantie d’un V6 à l’architecture bien plus commune) n’a guère surpris les observateurs ; en revanche, sa fiche technique devait s’avérer encore plus fascinante que celle de son prédécesseur !
Après Porsche, Cosworth
Architecture moteur mise à part, les similitudes entre les deux modèles sont nombreuses. Comme la RS2 B4, la RS4 B5 porte son moteur longitudinalement, en porte-à-faux et dérive directement de celle qui joua longtemps le rôle de gamme d’accès chez Audi – à savoir la 80, devenue A4 lors du changement de nomenclature intervenu en 1994. Comme la RS2 également, la RS4 est arrivée très tardivement dans la carrière du modèle, comme pour en achever le parcours sur un ultime et souverain coup d’éclat. Enfin, toujours comme son aînée (même si deux berlines RS2 ont été construites), la RS4 n’a été produite que sous la forme d’un break et à relativement peu d’exemplaires – 6030 exactement, versus 2891 RS2 au total. Ce sont aussi deux automobiles transformées si significativement par rapport à leurs matrices respectives qu’elles ne partagent, en définitive, qu’assez peu de composants avec un break 80 ou A4 « normal », bien que les profanes puissent instantanément les identifier sur la route. Contrairement aux Audi RS d’aujourd’hui – dont il est permis de regretter l’exubérance –, la RS2 comme la première RS4 ont choisi de cultiver une certaine discrétion, et il faut l’œil d’un connaisseur pour détecter les modifications d’ordre esthétique, certes plus marquantes dans le cas de la plus récente, dont les ailes élargies dénoncent la présence de trains roulants adaptés à la cavalerie qu’ils doivent supporter. Trois cent quatre-vingts chevaux, ce n’est pas rien mais, cette fois, ce n’est pas vers Porsche que les responsables du projet se sont tournés pour élaborer un moteur d’exception en partant d’un groupe préexistant et dont les caractéristiques étaient déjà respectables ; c’est la filiale Cosworth Technology (rachetée par Audi en 1998) qui a été mise à contribution – et ses motoristes n’y sont pas allés avec le dos de la cuillère !
Ingolstadt vs Maranello
Sur la base du V6 de la S4 présentée en 1997 (pour mémoire : 2671 cm3, 30 soupapes, 265 ch, 400 Nm), leur travail a principalement concerné le haut moteur, avec des culasses entièrement revisitées et deux turbocompresseurs KKK K04 capables d’atteindre une pression de suralimentation de 2,2 bar versus 1,9 bar pour la S4. Si les 380 ch développés par l’ensemble délivrent un surcroît de puissance de 20 % par rapport à feue la RS2, la progression de la valeur de couple impressionne moins (440 Nm contre 410), même si elle est disponible de 2500 à 6000 tours/minute – et c’est là l’une des clés de l’incroyable tempérament de ce moteur qui, comme on s’en doute, donne accès à des chronos d’exception et à une puissance plus facilement exploitable qu’au volant d’une GT à moteur arrière ou central, grâce bien entendu à la transmission quattro. En septembre 2000, sous la plume de Tony Verhelle, Le Moniteur Automobile publie des chiffres éloquents : 267 km/h en pointe – en dépit de la bride censée limiter la voiture à 250…–, le kilomètre départ arrêté abattu en 24,5 secondes et le 0 à 100 km/h accompli en 5 secondes pile. Comme le souligne l’auteur de l’article, l’auto s’approche des temps réalisés par la Porsche 996 Turbo, voire par la Ferrari 360 Modena, à la fois plus légères et plus puissantes que l’Audi. Mais aussi bien moins polyvalentes… et presque deux fois plus chères !
Ceci n’est pas une Audi
Car la RS4 n’a rien perdu de la praticité des A4 Avant plus modestement motorisées. Elle en conserve le coffre modulable, la capacité d’emport et l’habitabilité – laquelle, dans l’absolu, n’a rien de remarquable : à l’époque, si vous aviez besoin de davantage de place, Audi pouvait toujours vous vendre une S6, dont le V8 n’égalait toutefois pas les ressources inépuisables du V6 de la RS4 ; il fallait choisir et, comme le disait Marcel Proust, choisir c’est renoncer… Il n’empêche que, pour dénicher les concurrentes réelles de ce cocktail atypique, ce n’est pas du côté de Mercedes ou de BMW qu’il fallait chercher (la C 43 AMG ne dépassait pas les 306 ch et la M3 Touring restait à inventer), mais bien plutôt à Zuffenhausen. Difficile en effet de ne pas voir dans la RS4 ainsi gréée un « hénaurme » clin d’œil aux conducteurs de 911 devenus parents et dont le coupé était soudain devenu trop exigu, Porsche ne proposant alors (mais plus pour longtemps) aucun modèle à vocation « familiale ». Exclusif jusqu’à sa plaque constructeur – le saviez-vous ? officiellement, la RS4 n’est d’ailleurs pas une Audi, mais la toute première réalisation de la filiale Quattro GmbH –, ce drôle d’engin, dont les sensations de conduite demeurent toujours aussi addictives un quart de siècle après son apparition, mérite amplement d’être redécouvert. Le cinq-cylindres possède certes un pedigree inégalable mais, croyez-moi, ce diabolique V6, ce n’est vraiment pas mal non plus !
Texte : Nicolas Fourny