CLASSICS
ALFA ROMEO
ITALIENNE

Alfa Romeo 2600 Lusso (De Luxe) Osi : la fausse bonne idée

Par PAUL CLÉMENT-COLLIN - 20/09/2017

Je l’avoue, une fois n’est pas coutume, c’est la lecture d’un magazine ce matin, gentiment prêté par mon collègue du Parisien dans l’avion nous ramenant des essais de la Kia Stonic, qui m’a donné l’idée d’écrire cette article. Dans Rétroviseur de ce mois-ci, on trouve un excellent article sur le carrossier Osi et ses réalisations parfois étonnantes. Dans le lot, une drôle de berline dont j’avais entendu parlé sans jamais me pencher dessus : l’Alfa Romeo 2600 (106) De Luxe Osi.

Etrange que cette voiture soit passée au travers de mon radar tellement elle est a posteriori « Boîtier Rouge » : c’est en effet complètement branque de dériver d’une berline … une berline ! Alfa en rêvait, Osi l’a fait (enfin, façon de parler, parce qu’il ne fallut pas longtemps pour qu’Alfa Romeo arrête les frais).

L’Alfa Romeo 2600 Berlina donne sa base à la 2600 Lusso, censée relancer la lignée par le haut

Parlons d’abord d’Osi, sans déflorer trop l’article de Rétroviseur (courez en kiosque, ce numéro est assez intéressant) : l’étrange mariage d’un carrossier et d’un fabricant de machine à écrire, cela ne pouvait donner qu’un truc un peu fou fou ! En gros c’est cela. En Italie du Nord, le tissu industriel est dense, et les entreprises souvent familiales, créant des générations un peu bourgeoises se fréquentant, discutant de leurs affaires même quand elles n’avaient rien à voir. C’est encore plus vrai dans le Piémont où Arrigo Olivetti et Luigi Segre, président de la carrosserie Ghia non seulement se croisent dans les hautes sphères de l’industrie turinoise, mais aussi dans la rue, les établissements de l’un étant en face de ceux de l’autre.

L’Alfa 2600 n’a pas une ligne très sédusiante, accentuant son côté pataud à la conduite

Le mariage de la machine à écrire et de l’automobile est difficile à cerner. Pourtant, la maîtrise de l’acier et de l’usinage avait conduit la vénérable entreprise italienne à se diversifier dans les machines outils, et dans les jantes automobiles, via sa filiale Fergat, dirigée par l’un des héritiers de la famille, Arrigo Olivetti, avocat de formation. De son côté, Segre s’aperçoit que le marché de la sous-traitance de petite série et moyenne série prend de l’ampleur, et désire pouvoir proposer ce type de services à ses clients constructeurs. Mais une telle entreprise nécessite capitaux et emplacements industriels.

Le coup de crayon de Michelott affine la ligne, mais n’arrive pas à rendre la 2600 distinctive

C’est auprès d’Arrigo Olivetti, plutôt branché bagnole, que Luigi Segre va donc trouver un allié de poids. D’autant que le 27 février 1960, le vrai patron d’Olivetti, son frère Adriano, décède subitement à l’âge de 58 ans. Arrigo va prendre la succession durant 3 ans, laissant la place à son fils Camillo en 1963. Bref, notre PDG est quand même plus branché voitures et politique que machine à écrire. Pendant qu’il assure la transition vers son fils, il va accompagner Segre dans la création de l’Officina Stampaggi Industriali, plus connue sous le nom d’Osi pour fabriquer des voitures.

Avec un capital de 250 millions de lires, l’entreprise peut se lancer avec un premier client, Innocenti, pour produire les carrosseries de la 950 S… D’aucuns diront alors qu’Osi voulait plutôt dire « Olivetti Segre Innocenti ». Peu importe. Surtout que Segre meurt en 1963, tandis qu’Osi devenait pleine filiale de Fergat. Les contrats sont là (comme la Ford Anglia Torino produite pour le marché italien sur la base de l’Anglia, lire aussi : Ford Anglia) mais l’entreprise a du mal à gagner de l’argent. Toujours à l’affût de nouvelles commandes, l’équipe de direction d’Osi va alors proposer une version plus huppée de la berline 2600 à Alfa Romeo.

La 2600 n’est alors que l’évolution plus puissante des berlines 1900 puis 2000. Lancée en 1962, cette voiture tentait (déjà) de changer le destin en proposant une motorisation plus musclée sur un modèle trop lourd. Sous le capot, un 6 cylindres en ligne de 145 ch permettait de donner un peu plus de tonus et de peps. Mais la 2600 coûtait cher, se vendait mal, tandis qu’Alfa Romeo consacrait ses moyens à promouvoir une Giulietta plus vitale pour elle. La 2000 se vendait déjà mal, la 2600 faisait pire.

Chez Osi, on est persuadé qu’il suffit sans doute de « redessiner » complètement la voiture, de convaincre Alfa Romeo, et d’obtenir en sus la fabrication. Un deal a priori gagnant pour tout le monde qui convainc le constructeur milanais, aussi étonnant que cela puisse paraître. Michelotti, qu’on a connu plus inspiré, nous pond alors un dessin aux antipodes du luxe automobile : si la ligne est relativement moderne pour l’époque, elle est d’une fadeur et d’une banalité affligeante, malgré un intérieur très soigné. Si la clientèle « haut de gamme » aime la discrétion, ce n’est pas à ce point là !

La voiture sera présentée une première fois au printemps 1965 dans l’indifférence générale, puis fin 65 au Salon de Turin, cette fois-ci avec le soutien officiel d’Alfa et sur son propre stand. La filiation est revendiquée, la 2600 Lusso intégrée à la gamme, les catalogues imprimés, et le raoult de lancement officialise l’affaire… Avec cette 2600 De Luxe, on espère toucher une nouvelle clientèle, et dynamiser la 2600 « classique » avec un nouveau « flagship ».

Alfa Romeo imprimera des catalogues, dont voici la couverture !

Oui, mais même avec le 6 en ligne, même affinée et allégée, la 2600 Lusso/DeLuxe reste une voiture en retrait par rapport à ses prétentions, et surtout, très chère. Elle l’était déjà en version berline, et l’est encore plus en passant par les petites mains d’Osi. Il fallait être fou d’Alfa pour s’offrir la Lusso. D’ailleurs, les fous furent peu nombreux : entre 51 et 54 selon les sources, ce qui, avouons-le, n’est pas vraiment glorieux. Parmi eux, le chah d’Iran, Mohammad Reza Palavi, un grand amateur d’automobiles à ses heures perdues. La production fut rapidement arrêtée, pas la peine de s’enfermer dans une erreur reconnue par tous. Osi cessera la production automobile en 1968 pour se concentrer sur les composants automobiles au sein de Fergat. Alfa, de son côté, stoppera la 2600 Berlina en 1969, pour ne revenir sur le segment que dix ans plus tard, avec l’Alfa Romeo 6, un autre échec (lire aussi: Alfa Romeo 6).

Reste une voiture rare, sobre (trop sans doute), méconnue, qui n’affole toujours pas les compteurs en collection malgré l’envolée générale des prix. Une voiture discrète, à l’histoire compliquée, une fausse bonne idée devenue désirable avec le temps, mais seulement auprès des spécialistes de la marque : autant de bonnes raisons pour ne pas laisser passer l’affaire si d’aventure elle se présentait ! Vous êtes prévenus !

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