Quelle est la nationalité de Bugatti ?
S’il est un débat qui anime aujourd’hui le petit monde de l’automobile, c’est bien la « nationalité » de la marque Bugatti…Allemande pour les uns, italienne pour d’autres, française pour la plupart. Voilà une question épineuse à laquelle je vais essayer de répondre.
Quelle nationalité pour Bugatti ?
S’il est un débat qui anime aujourd’hui le petit monde de l’automobile, c’est bien la « nationalité » de la marque Bugatti…Allemande pour les uns, italienne pour d’autres, française pour la plupart. Voilà une question épineuse à laquelle je vais essayer de répondre.
Tout d’abord posons les bases : comment convenir de la nationalité sans critère. Est-ce la localisation de l’entreprise et de son siège social qui fait foi ? La nationalité de son créateur ? L’origine de ses capitaux ? Ou bien tout simplement son histoire ? Et si l’ensemble de ces paramètres étaient à prendre en compte pour finalement, au pro-rata, trancher ?
Ettore Bugatti n’obtint la nationalité française qu’un an avant sa mort, en 1946
C'est en 1946 qu'Ettore Bugatti obtient la nationalité française
Petite question en préambule ? Diriez-vous que la société mondialement connue de vente aux enchères sur internet EBay est une entreprise française ? La majorité (voire la totalité) d’entre vous répondra non, affirmant qu’il s’agit d’une société américaine. Pourtant, elle fut créée en 1995 par le français Pierre Omidyar. Enfin pas tout à fait en fait puisque comme Ettore Bugatti, l’entrepreneur cumule les nationalités : iranienne, française et américaine. Bugatti lui, bien qu’il fut né en Italie, à Milan, en 1881, obtiendra la nationalité française… peu de temps avant sa mort en 1947 (en février 1946 pour être exact). Cela dit, il reçut la légion d’Honneur en 1934 ce qui, sans faire de lui tout de suite un Français, le plaçait déjà dans l’élite de la société française. Ce qui est vrai pour eBay est vrai aussi pour Bugatti Automobile : la nationalité du fondateur n’a pas lieu d’être en vérité, même si l’Italie peut être fier de son compatriote !
La nationalité d’Ettore Bugatti n’entrant pas en ligne de compte, examinons la localisation de l’entreprise aujourd’hui : située en Alsace, sur le site historique de Molsheim, son siège social, son inscription au registre du commerce de Strasbourg, ses statuts de droit français font de l’entreprise, de fait, une entreprise française. D’autant que contrairement à Smart, dont le siège social est en Allemagne mais dont le principal lieu de production est en France, Bugatti cumule les deux en France, ce qui renforce son caractère français.
Considérant que 100 % des capitaux de Bugatti sont allemands aujourd’hui, d’aucuns considèrent qu’il s’agit en fait d’une société allemande. Ce qui est sûr, c’est que Volkswagen AG est bien propriétaire à 100 % de Bugatti Automobile SAS. Mais l’origine des capitaux n’a jamais donné la nationalité d’une marque : par nature fluctuant, le capital pourrait, à terme, être acheté par d’autres, sans que cela ne change sa nationalité. Dit-on de Ducati ou de Lamborghini qu’il s’agit d’entreprises allemandes ? Non. Et pourtant, elles ont le même unique actionnaire que Bugatti : VW. Certains diront que les Veyron et Chiron ont entièrement été conçues avec la technologie du groupe Volkswagen, avec des équipes et des ingénieurs issus de l’entreprise allemande. Cela dit, les groupes automobiles étant aujourd’hui totalement internationalisés dans leur management, difficile de dire qu’il s’agit purement d’ingénieurs allemands ou de technologie allemande : nous diront qu’il s’agit d’une technologie Volkswagen, ce qui est un poil différent !
Ettore, au centre, à Molsheim, lieu de son coeur (photo André Leroux)
Reste l’aspect historique de l’affaire, et c’est là que cela se corse. Car si Ettore Bugatti s’installe en Alsace en 1902, un rapide coup d’oeil dans le rétro vous rappellera qu’à cette époque, l’Alsace était allemande ! Ses premières voitures sont construites sous l’appellation Dietrich-Bugatti, financées par le baron de Dietrich, industriel alsacien (et donc allemand à l’époque). Après la fin de cette collaboration, c’est avec un autre alsacien (et donc allemand), Mathis, que Bugatti s’associe. En 1906, changement de partenaire, avec cette fois-ci un allié on ne peut plus allemand : Deutz, basé à Cologne. Finalement, Ettore créera sa propre marque en 1909 en Alsace toujours allemande. Les débuts de Bugatti sont donc fortement influencés par l’Allemagne, malgré une collaboration avec Peugeot juste avant la guerre.
Cela dit, Ettore Bugatti devait surtout aimer l’Alsace plus que l’Allemagne, car dès le début de la guerre, il fuit d’abord à Milan, puis à Paris, pour notamment aider à l’effort de guerre français en créant des moteurs d’avions. A la fin de la guerre, il retourne en Alsace pour s’installer à Molsheim, où commence la vraie aventure Bugatti. Celle-ci durera au delà de la mort même d’Ettore, puisque l’entreprise ne fermera ses portes qu’en 1963, date de la fin officielle de l’ère « Bugatti » (l’entreprise était alors dirigée par Roland, le fils cadet d’Ettore) avec son rachat par la société Hispano-Suiza. Petit aparté : Hispano-Suiza était à l’origine une entreprise espagnole, mais l’Etat nationalisa les activités françaises en 1937.
Le logo de la Messier-Hispano-Bugatti mêle l’aigle de Messier, la Cigogne d’Hispano, et l’ovale de Bugatti
Dès lors, l’activité automobile de Bugatti est arrêtée, et la société intégrée à ce groupe aéronautique. Au fil des ans, Hispano-Suiza est rachetée par la Snecma (1970). Quelques années plus tard, les activités de Bugatti (roues et freins d’avions) sont rassemblées au sein de la société Messier-Hispano-Bugatti (1977), toujours propriétaire des droits et de la marque Bugatti. Dans les années 80, elle accordera même des droits d’utilisation de la marque et du logo aux Automobiles de La Chapelle (lire aussi : De La Chapelle Type 55).
Lorsque Romano Artioli rachète les droits de la marque pour l’automobile à SNECMA pour 7 millions de francs en 1987, Bugatti aura déjà été 9 ans allemande (dont 5 ans seulement de réelle activité avant-guerre) et 69 ans française (dont 24 ans d’activité purement aéronautique). Dès lors, le siège est installé en Italie, à Campogalliano, près de Modène, ainsi que son usine : cumulant capital italien (bien que le montage financier soit complexe, avec une société de Holding au Luxembourg), statuts italiens, siège social italien et lieu de production italien, la société Bugatti Automobili SpA devient techniquement italienne… Elle ne le restera pourtant que 8 ans, le temps d’une aventure flamboyante mais coûteuse (ruineuse?) et d’une faillite en 1995 (lire aussi pour plus de détails sur l’aventure italienne: L’usine de Campogalliano). En 1998, c’est Volkswagen qui rachète les droits de la marque pour dans la foulée la réinstaller sur sa terre d’origine en fondant, en France, à Molsheim, la société Bugatti Automobile SAS, puis commencer à produire des Veyron à partir de… 2005 !
La nouvelle usine Bugatti à Molsheim
On le voit, la majeure partie de l’histoire de Bugatti est française, que ce soit dans l’automobile ou dans l’aéronautique (il faudra attendre 2016 et la création de Safran Landing Systems pour voir disparaître l’utilisation de la marque Bugatti dans l’aéronautique). Seules les années « Artioli » auront vu les activités automobiles devenir totalement italiennes.
Alors, peut-on dire aujourd’hui la nationalité de Bugatti ? Dans les faits oui : malgré la nationalité de son créateur (italien), ses débuts allemands (avant-guerre), on son actionnaire d’aujourd’hui (allemand), sa localisation, son siège social, ses statuts et la majorité de son histoire ou de sa production automobile (7500 sous l’ère d’Ettore, 450 Veyron sour l’ère VW) sont français ! Mais à bien y regarder, à l’heure où l’Europe a du mal à convaincre ne pourrait-on pas dire tout simplement que Bugatti est l’exemple type d’une société européenne ? Ettore lui-même, qui fut à cheval sur trois pays majeurs de l’Europe (Italie, Allemagne, France) n’est-il pas le symbole même de cette idée transnationale ? Ou bien alors, pour surfer sur l’appartenance régionale, Bugatti n’est-elle pas tout simplement alsacienne, symbole et trait d’union entre l’Allemagne et la France après avoir été un sujet de discorde de 1870 à 1918 ?
Et si on résolvait le problème par une réponse de Normand : Bugatti, société alsacienne, française et européenne !
On le voit, la majeure partie de l’histoire de Bugatti est française, que ce soit dans l’automobile ou dans l’aéronautique (il faudra attendre 2016 et la création de Safran Landing Systems pour voir disparaître l’utilisation de la marque Bugatti dans l’aéronautique). Seules les années « Artioli » auront vu les activités automobiles devenir totalement italiennes.
Alors, peut-on dire aujourd’hui la nationalité de Bugatti ? Dans les faits oui : malgré la nationalité de son créateur (italien), ses débuts allemands (avant-guerre), on son actionnaire d’aujourd’hui (allemand), sa localisation, son siège social, ses statuts et la majorité de son histoire ou de sa production automobile (7500 sous l’ère d’Ettore, 450 Veyron sour l’ère VW) sont français ! Mais à bien y regarder, à l’heure où l’Europe a du mal à convaincre ne pourrait-on pas dire tout simplement que Bugatti est l’exemple type d’une société européenne ? Ettore lui-même, qui fut à cheval sur trois pays majeurs de l’Europe (Italie, Allemagne, France) n’est-il pas le symbole même de cette idée transnationale ? Ou bien alors, pour surfer sur l’appartenance régionale, Bugatti n’est-elle pas tout simplement alsacienne, symbole et trait d’union entre l’Allemagne et la France après avoir été un sujet de discorde de 1870 à 1918 ?
Et si on résolvait le problème par une réponse de Normand : Bugatti, société alsacienne, française et européenne !
Amen !
Texte : CLÉMENT-COLLIN