La 911 Targa est née il y a cinquante-huit ans et, depuis lors, même si le concept a bien sûr évolué au fil du temps, cette variante a figuré de façon ininterrompue au catalogue de la marque – avec, il faut bien le reconnaître, des fortunes diverses : perçue à une certaine époque comme un succédané de cabriolet, cette carrosserie a pu souffrir d’une certaine désaffection de la clientèle à partir du moment où, au début des années 1980, l’usine s’est décidée à décliner son modèle fétiche en décapotable. Cependant, et contre toute attente, la Targa a survécu, Porsche ayant eu l’intelligence d’en assurer la continuité, proposant ainsi une alternative au « véritable » cabriolet – les deux formules ont toujours leurs adeptes. Pour autant, plus originale dans son principe, la Targa a inspiré plus d’un constructeur et le volumineux arceau des origines est devenu le signe distinctif du modèle, au point que Porsche a fini par le ressusciter en 2014 !
Le meilleur des deux mondes
Cet arceau, imposant, massif et ne cherchant pas à le dissimuler, va caractériser la Targa dès sa présentation initiale au Salon de Francfort 1965. La formule retenue par Porsche, qui va faire couler beaucoup d’encre, tourne résolument le dos au cabriolet 356, qui a justement disparu la même année et dont le concept demeurait fidèle à un classicisme éprouvé, avec sa ligne que seule la légère proéminence de la capote en toile, une fois repliée, pouvait éventuellement altérer. Toutefois, le contexte sécuritaire a beaucoup changé depuis l’après-guerre et, au début des années 1960, plusieurs constructeurs européens présents sur le marché nord-américain commencent à redouter les conséquences d’une évolution réglementaire à venir, susceptible de condamner, à terme, les carrosseries décapotables. Il demeure néanmoins crucial de continuer à proposer une variante « ouverte » de la nouvelle 911 – qui, avec son dérivé 912 à quatre cylindres, va tenir lieu de modèle unique pour Porsche jusqu’à la fin de la décennie – afin de satisfaire les conducteurs de Californie, du Texas ou de Floride. La solution proposée par la firme de Zuffenhausen s’avère à la fois élégante et rationnelle : l’arceau répond par avance aux exigences supposément sourcilleuses du législateur en contribuant à la rigidification de la caisse amputée de sa toiture ; par surcroît, il assure une protection efficace en cas de retournement, tandis que les occupants peuvent toujours rouler cheveux au vent.
Une intérimaire de luxe
Bien sûr – et ce constat concernera aussi d’autres modèles reprenant peu ou prou le même principe, comme par exemple la Lancia Beta Spider, la Triumph Stag, les BMW transformées par Baur ou la Jaguar XJ-SC –, nous ne sommes pas là en présence d’un cabriolet authentique. N’importe quel puriste vous le dira : la 911 Targa, qui doit son nom aux victoires de la marque à la Targa Florio, n’est pas une décapotable, mais une découvrable, y compris la version « soft window » proposée jusqu’en 1968 et très recherchée aujourd’hui parce qu’elle présente l’avantage, en sus du panneau amovible situé au-dessus du conducteur et du passager avant, de pouvoir escamoter la petite capote surplombant les embryons de places arrière. Ensuite, et jusqu’à la génération 964 incluse, la lunette arrière se rigidifiera à tout jamais, éloignant encore un peu plus la Targa du cabriolet que beaucoup auront attendu dix-huit années durant. Patience récompensée, donc, lors de l’IAA 1981 – une année unanimement considérée comme celle de la renaissance de la 911, que la stratégie arrêtée par le Professeur Fuhrmann avait condamnée à terme mais qui, à ce moment-là, tient sa revanche. D’abord en série, avec une SC revivifiée, puis dans le domaine des concept-cars, sous la forme de la 911 Studie exposée à Francfort (et que l’on peut admirer aujourd’hui au musée Porsche).
On ne vit que trois fois
Il s’agit en effet du tout premier cabriolet 911 qui, s’il est alors présenté comme un prototype dont la fiche technique annonce assez précisément l’avenir du modèle – avec notamment une transmission intégrale que l’on retrouvera sept ans plus tard dans la 964 –, lègue sa carrosserie dès la fin de 1982 à la SC. La variante décapotable de celle-ci, puis de la Carrera 3.2 qui lui succède pour le millésime 1984, va rencontrer un grand succès commercial rejetant par contrecoup la Targa aux confins d’une certaine marginalité. Bien des clients considèrent alors que cette version de la 911 ne se justifie alors plus aux côtés du cabriolet, qui prend toute la lumière et dont la pureté de ligne contraste avec le design de la découvrable, qui semble désormais quelque peu tarabiscoté en comparaison. Pourtant, Porsche maintient la Targa au catalogue – elle aura même droit, de 1986 à 1989, à une déclinaison Turbo. À qui s’adresse-t-elle alors ? Il existe une petite tribu de porschistes qui, s’ils apprécient de pouvoir escamoter une partie du toit de leur voiture dès les premiers rayons de soleil, ne souscrivent néanmoins pas à la formule du cabriolet, dont la capote peut exciter les vandales et dont la sécurité passive ne peut rivaliser avec l’arceau de la Targa, qui bénéficie par ailleurs d’une meilleure rigidité torsionnelle.
La renaissance de l’arceau
Il faut pourtant se rendre à l’évidence : les statistiques commerciales de la 964 font apparaître une très nette baisse des ventes de Targa. Mais plutôt que de l’abandonner, Porsche va pourtant réinventer entièrement le concept. Développée sur la base du Typ 993, la nouvelle Targa va intégrer la gamme 911 jusqu’à la fin de production de la 997, en 2013. Cette fois, l’arceau emblématique a disparu ; construite sur la base du cabriolet, l’auto se caractérise par une toiture très largement vitrée, comportant un toit ouvrant coulissant à la surface généreuse puis, à partir de la génération 996 – équipement inédit pour la 911 –, un hayon arrière. De la sorte, la Targa continue d’incarner une très plaisante alternative au cabriolet même si, par rapport à l’ancienne formule, le modèle « enferme » davantage les occupants ; aussi agréable soit-il, dans cette configuration le système Targa s’apparente peut-être un peu trop à un banal toit ouvrant amélioré… C’est peut-être pour cette raison qu’en 2014 la génération 991 a renoué avec le style de la Targa originelle. Naturellement, un demi-siècle le concept a profondément évolué et Porsche n’est pas tombé dans le piège d’un retro-design primitif ; la très complexe cinématique adoptée pour déposer puis reposer le toit en témoigne (et elle rappellera de bons souvenirs à ceux qui ont pratiqué la Honda CRX « Del Sol »…).
Il n’est jamais trop tard, gars
Reconduite dans l’actuelle 992, la Targa semble donc avoir de beaux jours devant elle ; les progrès techniques lui ont permis de retrouver le style de ses débuts, tout en épargnant à ses utilisateurs les fastidieux démontages et remontages manuels du toit amovible. Devenu classique, le design Targa fait partie intégrante du patrimoine de la 911 et, paradoxalement, séduit davantage les collectionneurs d’aujourd’hui que les clients d’avant-hier – qui sont d’ailleurs peut-être les mêmes, avec quelques cheveux gris en plus… à tel point que, par exemple, une 964 Targa, boudée par la clientèle Porsche de la fin des années 1980, cote à présent légèrement plus que le cabriolet équivalent ! Quant à elle, offrant une luminosité bien plus généreuse que celle du cabriolet, la 992 Targa n’est plus un choix « par défaut ». On ne la choisit pas en raison des réticences que l’on pourrait éprouver à l’idée de rouler en décapotable (d’autant que, de nos jours, la capote de la 911 n’a plus grand-chose de souple et a perdu sa vulnérabilité), mais bien pour son caractère et sa personnalité propres. C’est sans nul doute la plus vintage des 911 actuelles, et cela constitue sans doute une bonne partie de son charme !
Texte : Nicolas Fourny