

Depuis longtemps passé maître dans la conception de séries spéciales et/ou limitées toujours dignes d’intérêt, Porsche ne pouvait décemment pas ignorer le demi-siècle de l’une de ses icônes. Présentée à l’automne de 1974 puis commercialisée au printemps suivant, la 911 Turbo fête ces jours-ci cinquante ans de présence presque ininterrompue au catalogue de la marque. Bien sûr, entre l’actuelle 992, GT confortable au long cours, et la 930 des débuts, exigeante, brutale et caractérielle, il y a un monde… Le fait est : les temps ont changé, la vie a changé, Porsche a changé, la 911 a changé – et pourtant, la tradition se perpétue d’une génération à l’autre et chacun sait, lorsqu’une nouvelle 911 apparaît, que sa déclinaison Turbo ne tardera pas à suivre. La série spéciale opportunément dénommée « 911 Turbo Édition 50 ans » tombe donc à pic…



C’était déjà hier
Il faut se rappeler. La toute première Porsche 911 Turbo est née dans un monde qui a disparu. On était au début de 1975. La guerre froide battait son plein ; celle du Viêt Nam touchait à sa fin. Aux États-Unis, Gerald Ford avait succédé à Richard Nixon l’été précédent, à la suite du scandale du Watergate. Leonid Brejnev régnait sur l’URSS et le bloc communiste. En France, le taux de chômage venait tout juste de franchir le seuil des 5 %. Au mois d’avril, à Albuquerque, deux étudiants, Bill Gates et Paul Allen, créaient une petite société baptisée Micro-Soft, tandis que, de leur côté, en Californie, Steve Jobs et Steve Wozniak concevaient l’Apple I. C’est dans ce monde à la fois tourmenté, sombre, perclus de guerres régionales, de crises et de coups d’État, mais aussi fertile en innovations et tourné vers l’avenir, que la plus puissante des 911 de route commençait d’être livrée à ses premiers acquéreurs. La situation de l’auto était paradoxale : si son apparition témoignait d’un certain optimisme en dépit d’un contexte peu favorable aux voitures de sport, la direction de Porsche, sous la férule du professeur Ernst Fuhrmann, anticipait déjà la fin de la 911, considérée alors comme trop coûteuse à produire et relevant d’un concept périmé. De fait, 1975, c’est aussi l’année de l’apparition d’une certaine 924, premier maillon d’une stratégie visant à abandonner progressivement le « tout à l’arrière » au profit d’une série de coupés modernes à moteur avant et transmission transaxle. On connaît la suite…
Porsche et le turbo, une longue histoire d’amour
De nos jours, le turbocompresseur s’est tellement banalisé que pratiquement plus aucun constructeur ne le mentionne dans la dénomination de ses modèles. Si vous levez le capot de la plus banale des citadines, vous avez pourtant de fortes chances d’y trouver cet accessoire, aujourd’hui très apprécié des motoristes car il permet de faciliter la dépollution des moteurs modernes et de compenser la baisse générale des cylindrées. Même chez Porsche, depuis la 991 phase 2, les Carrera « de base » ont recours au turbo, ce qui a d’ailleurs fait grincer les dents de plusieurs puristes… Pionnière, avec BMW, de la suralimentation en Europe, la firme de Zuffenhausen s’est, plus qu’aucun autre constructeur, approprié le substantif « Turbo » – à tel point que même certains de ses modèles électriques y ont recours, sans que cela soit incongru, car chacun comprend intuitivement ce que cela veut dire. Dans les années 70 et 80, les amateurs ne désignaient même pas la 911 ainsi gréée (qu’on appelait également 930, son type usine officiel) par son nom ; ils se contentaient de parler de « la Turbo » et tout le monde savait de quel modèle il s’agissait, alors même que Porsche proposait d’autres modèles suralimentés, tels les 924 et 944. C’est dire à quel point le turbocompresseur, depuis déjà un demi-siècle, a participé à l’édification du mythe 911 et, si la Turbo trône aujourd’hui au faîte d’un catalogue bien plus fourni qu’autrefois, sa légende demeure intacte.

Une 959 contemporaine
Lors de l’apparition du Typ 992, à l’automne 2018, la Turbo ne fait pas immédiatement partie de la fête, comme c’est la règle à chaque renouvellement de la 911 qui, usuellement, égrène les nombreuses évolutions de son catalogue au fil des mois. Il faut donc attendre le printemps puis l’été 2020 pour voir apparaître les nouvelles 911 sommitales qui, comme de coutume, recèlent de profondes évolutions par rapport à la génération sortante. Nous parlons bien au pluriel car, comme précédemment, il existe deux 992 Turbo : la S (650 ch, 800 Nm), qui ouvre le bal, suivie quelques mois plus tard par la Turbo « normale », laquelle se contente – si l’on ose écrire – de 580 ch et 750 Nm. Disponibles aussi bien en coupé qu’en cabriolet, les nouvelles venues marquent des progrès significatifs par rapport aux 991 : la Turbo gagne quarante chevaux, tandis que la Turbo S en revendique soixante-dix de plus et s’avère capable de tutoyer les 330 km/h ! Voilà qui devrait faire réfléchir – on peut toujours rêver – les histrions qui jugent nécessaire de réaliser des restomods en hommage à la 959 : la démarche est d’autant plus inutile que son héritière existe déjà !
Un futur collector
Présentée à l’été 2024, la 911 Turbo Édition 50 ans est prévue pour une production limitée à 1974 exemplaires (tribut subtil à l’année de présentation de la 911 Turbo de série) et est venue conclure en beauté la première phase du Typ 992. Les caractéristiques générales de l’engin, établi sur la base de la Turbo S et proposé uniquement en version coupé, n’ont pas changé, mais qui s’en plaindra ? L’essentiel est ailleurs, et l’auto mêle très harmonieusement de nombreux clins d’œil nostalgiques à un bagage technique résolument contemporain. Ainsi, le film latéral décoratif rend hommage à celui du prototype RSR Turbo présenté sur le stand Porsche du Salon de Francfort 1973, et qui préfigurait la future 930 de série. Mais le détail le plus charmant se trouve sans conteste à l’intérieur, qui se pare d’un tartan McKenzie, référence directe au revêtement de série des premières 911 Turbo. L’habitacle comporte par surcroît plusieurs babioles siglées « Turbo 50 », incluant une inscription éclairée sur les seuils de portes, ce qu’il est permis de trouver un peu too much… Au demeurant, le marketing Porsche n’ayant rien perdu de son efficacité, les heureux acheteurs peuvent opter pour le pack Heritage Design, qui renforce encore l’exclusivité de l’auto, toujours disponible à la commande sur le site de la marque à l’heure où ces lignes sont écrites. Nul doute que la plus charismatique des 911 Turbo devienne très vite un collector de choix !






Texte : Nicolas Fourny