Il y a des choses dont on se souviendra toute sa vie durant : le premier vrai baiser, le premier verre de château d’Yquem et la première fois qu’on a pris le volant d’une 911. Icône sans cesse réinventée et aux multiples visages, ayant frôlé la mort avant de survivre in extremis, aussi indissociable du parcours de son constructeur que Citizen Kane de l’œuvre d’Orson Welles, la plus célèbre et la plus répandue des sportives continue de perpétuer sa légende en repoussant sans cesse les limites de la performance. Avec, de temps à autre, une interprétation extrême que le logo « RS » (pour Renn Sport) vient inévitablement sanctifier… Ainsi en va-t-il de la 991 GT2 RS, qui a tellement marqué les porschistes – et les autres – qu’à ce jour, Porsche travaille encore à sa succession. Il faut dire que, compte tenu des caractéristiques de l’engin, la tâche ne sera rien moins qu’aisée…
Une question de refroidissement
Ne serait-ce que par mesure de salubrité intellectuelle, il faut relire de temps à autre les régurgitations scandalisées de certains puristes autoproclamés quand la première 911 à moteur refroidi par eau a fait son apparition, il y a déjà un quart de siècle. Oui, relisons-les – d’abord parce que c’est toujours une bonne occasion de rigoler, en particulier quand, comme ce fut mon cas il y a quelque temps, on a eu la chance de parcourir quelques dizaines de kilomètres au volant d’une 991 dans sa variante la plus radicale, la plus sulfureuse, la plus bestiale (je vous laisse le soin de trouver d’autres superlatifs du même acabit si le cœur vous en dit). C’est aussi, à ce jour, la 911 de route la plus puissante jamais commercialisée avec, pour fixer les idées, un niveau de puissance équivalent à celui des premières Lamborghini Aventador. Eh oui, cela fait bientôt cinquante ans que les flat six stuttgartois recourent à la suralimentation pour s’en aller taquiner les V12 italiens sommitaux ; sauf que, dans les années 1980, une Countach délivrait 455 ch quand la 930 ne dépassait pas les 330 ch dans le meilleur des cas…
C’est l’histoire d’un retour aux sources
En quelque sorte, le destin de la Turbo (c’est sous cette dénomination brute qu’on l’a longtemps désignée) a connu une réelle scission à partir de 1995, quand le modèle a commencé d’évoluer de la sportivité pure et dure vers une forme de grand tourisme ; c’est en effet la 993 Turbo qui a inauguré la transmission intégrale, dorénavant indissociable de l’engin et synonyme, aux yeux des pistards, d’un certain embourgeoisement que les générations suivantes n’ont fait que renforcer. Ainsi, la Turbo « moderne » s’avère tout aussi luxueusement équipée que n’importe quel coupé Mercedes ou Bentley, et tout aussi facile à apprivoiser dans la plupart des situations. Bien sûr, les 911 Turbo ont, de tout temps, attiré les frimeurs mais, pour en tirer la quintessence, il a longtemps fallu des compétences particulières qui n’étaient pas à la portée des conducteurs principalement désireux de parader sur les Champs-Élysées. Les 996 et 997 ont amplifié la tendance, attirant une clientèle nouvelle, moins férue de pilotage mais soucieuse de goûter au mythe sans pour autant renoncer au confort et à la polyvalence d’usage qu’elle avait éventuellement pu apprécier chez BMW ou Audi. Devenue capable d’assurer de longues randonnées autoroutières à des vitesses toujours inavouables mais dans le plus grand confort, la Turbo a ainsi ouvert la voie à une interprétation plus racinaire et plus authentiquement sportive du concept.
GT2 vs Turbo
La 993 GT, puis les 996 et 997 GT2 se sont dès lors chargées d’incarner ce rigorisme philosophique, en poussant cependant assez loin les curseurs de la radicalité, prenant de la sorte au mot les ascètes revendiqués aux yeux desquels une transmission aux quatre roues, des sièges à réglages électriques, une installation audio haut de gamme ou une insonorisation trop poussée n’ont pas leur place dans une véritable voiture de sport. Replacées dans leur contexte, les 911 GT2 ne correspondent donc pas exactement au positionnement de la Turbo originelle, dont il faut rappeler que Porsche la présentait volontiers comme « une luxueuse grand tourisme utilisable tous les jours ». Elles constituent une alternative à la Turbo contemporaine, capable de rivaliser aussi bien avec une Ferrari F8 qu’avec une BMW M8. Construite en série limitée, plus onéreuse encore que la Turbo, la GT2 est aussi plus légère, plus puissante et plus rapide qu’icelle. Celle qui nous intéresse aujourd’hui est la dernière en date et, sans noyer le lecteur sous des cohortes indigestes de données chiffrées, certaines caractéristiques méritent d’être comparées. Ainsi, la 991 Turbo S phase 2 délivrait 580 ch et 700 Nm, Porsche revendiquant pour elle une vitesse maximale de 330 km/h. La 991 GT2 RS, pour sa part, délivrait 700 ch, 750 Nm et atteignait les 340 km/h en pointe. Le suffixe « RS » qui ponctue sa désignation officielle en ratifie les capacités et, du reste, la génération 991 n’a pas existé sous la forme d’une GT2 « tout court ».
L’une des reines du Nürburgring
Quant à la 992, présentée en 2019 et toujours en production à l’heure où ces lignes sont écrites, on attend encore sa version GT2, même si des prototypes sont régulièrement photographiés par les chasseurs de scoops. Elle arrivera sans doute pour accompagner en fanfare la fin de vie de cette génération mais, quoi qu’il en soit, et même s’il faut s’attendre à un bond en avant en termes de puissance (il est fortement question d’un groupe hybridé), la GT2 RS de la génération précédente – pas plus que ses devancières – n’est pas près d’être reléguée au rang de déplaçoir asthmatique. On l’a vu, ses 700 ch et un allégement intensif aboutissent à un rapport poids/puissance extrêmement favorable de 2,1 kg par cheval, identique à celui de la 918 Spyder. Comme on s’en doute, les chronos sont à l’avenant : en 2017, une 991 GT2 RS a ainsi réalisé un temps de 6 minutes 47 secondes sur la Nordschleife, battant ainsi la McLaren P1 ou bien encore la… 918 ! Naturellement, ce temps a été battu depuis lors, mais les voitures capables de passer sous la barre des 7 minutes appartiennent sans conteste à l’élite des super-sportives. Cela étant dit, et contrairement à ses congénères moins démonstratives et que l’on croise à tous les coins de rue dans bien des grandes villes, cette 911-là n’a pas fait de la discrétion une vertu cardinale. La GT2 RS ne se soucie pas de dissimuler son tempérament ; bien au contraire, elle le revendique !
Pure, mais pas si dure
Car, bénéficiant de l’expérience de Porsche en compétition, l’engin affiche résolument son typage par chaque détail de sa physionomie. Les ailes avant et le capot sont réalisés en matériaux composites renforcés de fibres de carbone. Le pavillon est en magnésium, le monumental aileron arrière en carbone, et la carrosserie est littéralement dévorées de multiples prises d’air à la surface généreuse et qui sont chargées qui d’assurer le refroidissement des freins, qui de réduire la portance. À bord, on retrouve l’habituel gimmick des poignées de portes remplacées par des sangles et des baquets de compétition sans grand rapport avec les confortables sièges de la Turbo mais, contre toute attente, l’auto n’a rien d’un bout de bois susceptible de bousiller vos vertèbres en dix kilomètres. Les équipements de confort essentiels sont là et il est tout à fait possible d’entreprendre de longs voyages, même si telle n’est pas la vocation première du modèle. Les sensations de conduite sont, quant à elles, véritablement inouïes et incitent à une humilité qui ne m’a permis que d’effleurer les capacités de la voiture, de toute façon inexploitables sur route ouverte. C’est une 911 de route, certes, mais tout en elle exsude l’appel de la piste. Si vous avez la chance d’acquérir l’un des 200 exemplaires construits (comptez environ 400 000 euros à l’heure actuelle), n’hésitez pas à l’emmener sur circuit, à l’instar de l’heureux propriétaire de l’auto que j’ai eu le bonheur de conduire : vous ne le regretterez pas !
Texte : Nicolas Fourny