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Peugeot 605 : histoire et génèse d'une grande berline malchanceuse

Par PAUL CLÉMENT-COLLIN - 14/03/2018

Au début des années 80, Peugeot, qui avait failli mourir d’indigestion en rachetant Chrysler Europe (lire aussi : le rachat de Chrysler Europe) ne devait sa survie qu’au succès du projet M24 devenu 205 en 1982. Revigorée par l’insolente réussite de sa petite citadine, la marque s’attaquait alors au renouvelement de sa gamme, avec le projet D6 – qui deviendra la 405 – et le projet Z6, la future 605. Retour sur la genèse de cette grande Peugeot qui aura marqué les années 90 malgré ses défauts de jeunesse.


En 1983, la famille Peugeot avait choisi, pour remplacer le précédent président, Jean-Paul Parayre, l’énarque et alors dirigeant de la BNP Jacques Calvet. Pour remettre de l’ordre dans la maison PSA, il fallait bien un financier. Cependant, l’homme n’en oubliait pas le produit, et décide fin 83 de lancer le groupe à l’assaut du haut de gamme. La Peugeot 604 était vieillissante et n’avait pas connu le succès escompté (la production sera stoppée en 1985, lire aussi : 604), et la 505 n’était finalement qu’une évolution de la 504 et plus tellement dans la nouvelle tendance stylistique initiée par la 205 (lire aussi : 505). Chez Citroën, la CX se débattait au sommet de la gamme, sans 6 cylindres à faire valoir malgré une tenue de route phénoménale et des performances de haut niveau en version Turbo 2 (lire aussi : CX 25 GTI Turbo 2) tandis que chez Talbot, les jours de la grande Tagora étaient déjà comptés, et la 3ème marque de PSA condamnée (lire aussi : Talbot Tagora). Jacques Calvet décidait donc de remplacer ces modèles et d’aller titiller les reines allemandes par un duo inédit de tractions : la Citroën XM et la Peugeot 605.


Pour la grande Peugeot, les premières esquisses furent rendues au début de l’année 1984. Dès le départ, deux équipes furent mises à contribution : celle de Gérard Welter à La Garenne Colombe, et celle de Pininfarina à Cambiano. La première confrontation du travail des deux équipes eut lieu en novembre 1984, devant la direction réunie de Peugeot, à Mortefontaine, et là, surprise, les propositions s’avérèrent très proche. Normal car le cahier des charges était extrêmement précis : une voiture tri-corps (le hayon était dévolu à la XM), classique et élégante, sur une architecture traction ! Le travail fourni par les italiens comme par les français n’étant pas jugé satisfaisant, chacun fut renvoyé qui à sa table à dessin et à ses maquettes en clay pour de nouvelles propositions. En parallèle, fin 1984, on s’attaquait aux intérieurs, avec pour la première fois la compétition entre l’équipe interne dirigée par Paul Bracq et celle de Pininfarina.


Une deuxième présentation fut organisée en avril 1985 pour définir le style extérieur : cette fois-ci, Jacques Calvet et son état-major trancha pour le dessin italien. En septembre 1985, Pininfarina remportait aussi la compétition pour le design intérieur. Pourtant, si le style italien l’emportait (en cohérence avec le projet D6), c’est aux stylistes français qu’on confia le soin de finaliser le dessin de la grande berline Z6. D’autant qu’entre temps, on s’était rendu compte de la trop grande proximité du dessin avec l’Alfa Romeo 164, elle aussi dessinée par Pininfarina et qui devait sortir au printemps 1987 (soit bien avant la future 605, lire aussi : Alfa Romeo 164). Pendant 6 mois, les designers retouchèrent le projet italien pour gommer le plus possible l’hypothétique ressemblance tout en assurant la cohérence des lignes avec celle de la petite sœur 405, en phase de développement. En octobre 1985, le dessin de la 605 était enfin figé, tel qu’on le connaît aujourd’hui. Pour l’intérieur, il fallut attendre juin 1986.



Du côté de la technique, il avait été décidé en haut lieu que la Z6 ne disposerait pas des suspensions hydrauliques réservées à la XM. En revanche, la future 605 se voulait plus classique, mais aussi plus haut de gamme. En effet, tandis que la XM misait tout sur son cœur de gamme 4 cylindres, en ne proposant à sa sortie qu’un seul V6 PRV de 3 litres à 12 soupapes de 170 ch (lire aussi : XM V6), la 605, elle, mettrait le paquet sur les motorisations nobles : dès son lancement, elle offrirait un V6 accessible en version SR 3.0 plus dépouillée, le même V6 170 ch dans une version plus luxueuse (SV 3.0) et enfin un vaisseau amiral doté en primeur d’une version moderne à 24 soupapes poussée à 203 chevaux pour être précis (lire aussi : 605 SV24). Bien sûr, la 605 offrirait aussi des 4 cylindres (2 litres carbu de 115 chevaux et 2 litres injection de 130 chevaux), mais l’accent était mis sur les versions les plus puissantes. Au lancement, point de moteurs diesel, prévus pour une apparition plus tardive dans la gamme.


Pour la Z6, les dirigeants de Peugeot avait voulu offrir à une clientèle exigeante habituée aux allemandes le meilleur de la technologie. Aussi, la 605 s’était-elle mise à l’électronique et à un complexe réseau de câblage, tout comme sa cousine Citroën ! Une avancée supposée qui s’avérera catastrophique, on le verra, mais sur le moment, personne n’y trouvait rien à redire, au contraire, et chez PSA on était très fier de la future 605 si moderne et belle à la fois.

L’industrialisation se mettait en place doucement, avec un lancement prévu pour 1990. Mais entre temps, les rumeurs d’un remplacement précoce de la Renault 25 par la future Safrane (lire aussi : Renault Safrane), dont le dessin avait été figé en 1987, soit un an seulement après celui de la Z6, firent un peu perdre les pédales à Jacques Calvet et son équipe de direction, qui décidèrent d’en avancer le lancement. La XM était alors présentée en avril 1989, et la 605 en juillet de la même année. Pourtant, la Safrane ne sortira qu’en 1992.

Ce lancement un peu précipité ne fut pas la seule galère de Peugeot : à ce moment précis, des grèves à Mulhouse perturbèrent grandement la mise en production de la 605, ce qui évidemment n’arrangea rien à l’affaire. Car les premiers acheteurs de la si belle berline qu’était la 605 connurent l’enfer : des voitures qui s’arrêtaient, voire roulaient sans phare ni essuie-glaces. Des problèmes de connectiques que la direction n’hésita pas à coller sur le dos des grévistes. Toujours est-il que la clientèle se mit à râler si fort auprès des concessionnaires que la marque fut bien obligé, 6 mois après le lancement, de procéder à un premier rappel. Il faudra attendre deux millésimes (1990 et 1991) pour voir disparaître complètement ces défauts de jeunesse sur les 605, mais le mal était fait.

En Allemagne, Gutmann tenta « d’enjoliver », à sa manière, la 605

Malgré l’ajout de versions diesel en avril 1990, remonter la pente s’avéra impossible, et l’objectif de 500 000 ventes pour la grande Peugeot s’éloignait chaque jour. En 1995, la 605 recevait pourtant un habile restylage, proposait enfin une fiabilité digne de son standing, et s’offrait un nouveau V6, l’ES9 de 3 litres et ses 194 chevaux. Mais il fallait bien l’admettre : la 605 ne faisait plus que de la figuration sur le marché, dépourvue de dérivée break (une exclusivité de sa sœur XM) et nantie d’une sale réputation depuis sa naissance.

Heuliez tenta bien de proposer à Peugeot une version limousine (espérant refaire le coup de la 604, lire aussi : 604 HLZ) mais aussi un coupé et un cabriolet en 1990, mais ces projets restèrent à l’état de maquette, Peugeot refusant ces propositions. Ce fut la 406 qui hérita plus tard d’une version coupé, dessinée et fabriquée par Pininfarina (lire aussi : 406 Coupé), et non la 605.

Après dix années de carrière en demi-teinte, ce fut en toute discrétion que la 605 quittait les chaînes de production, avec seulement 254 501 exemplaires au compteur, soit moitié moins que prévu. Elle sera remplacée par la 607 (projet Z8) qui en ré-utilisait pourtant l’excellent châssis (lire aussi : Peugeot 607). Cette dernière ne fera pourtant pas mieux que son aînée, avec seulement 168 875 exemplaires. Comme quoi !

Les images des prototypes de la 605 sont à découvrir sur cet excellent site : http://proto-design-peugeot.wifeo.com/605-maquette-de-style.php

Enfin, une petite publicité d’époque, histoire de se remettre dans le bain


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