

À l’approche de son trentième anniversaire, la Mercedes Classe E de la génération 210 se trouve actuellement dans le creux de la vague – y compris ses variantes les plus affûtées. Son design quelque peu émollient et, surtout, des problèmes de corrosion plus ou moins endémiques ont affecté la réputation de l’auto, unanimement considérée comme moins robuste et moins bien finie que sa devancière. Cela n’a toutefois pas empêché la E-Klasse des années 90 de fort bien se vendre, en s’appuyant sur un très large éventail de motorisations essence et Diesel, couronnées dès 1996 par la E 50 AMG qui nous occupe aujourd’hui. Néanmoins, produit durant une vingtaine de mois seulement et héritier direct de feue la E 500 W124, l’engin n’était en réalité qu’un modèle de transition et a disparu de la plupart des mémoires, éclipsé par la E 55 qui, quant à elle, occupa le terrain de longues années durant. Pour le collectionneur d’aujourd’hui, la E 50 n’est pourtant pas dénuée d’intérêt, loin s’en faut…



Quand un préparateur devient constructeur
Assumer la succession de la E 500 (apparue sous la dénomination 500 E en 1991) n’était pas chose aisée, tant l’auto avait séduit les amateurs et marqué son époque. Savoureux cocktail associant performances de haut vol à une discrétion de bon aloi, l’auto se caractérisait aussi par le soin extrême apporté à sa conception comme à sa qualité de construction ; il en émanait, par surcroît, un enivrant parfum d’exclusivité, en grande partie dû au partenariat conclu entre Mercedes et Porsche qui avait présidé à sa naissance. Il n’empêche que la 500 E/E 500 n’était, somme toute, qu’une sorte d’accident de l’histoire, cette variante ne faisant pas partie du plan-produit initial de la marque à l’étoile. Rien de tel, comme on va le voir, avec la E 50 AMG, prévue dès l’abord dans le cadre d’une autre association impliquant cette fois le préparateur-constructeur d’Affalterbach, encore indépendant à cette époque mais ayant conclu un accord avec Mercedes, aux termes duquel les modèles développés par AMG allaient désormais intégrer le catalogue de la firme stuttgartoise. Dès 1993, les C 36 et E 36 AMG avaient constitué les premières réalisations concrètes de cette nouvelle approche, dont l’objectif était limpide : il s’agissait bien évidemment de riposter à l’offensive menée, depuis dix ans déjà, par la division M d’un célèbre concurrent bavarois, qu’il est sans doute inutile de nommer !
Le fantôme de la 500 E
Si la W124 avait dû attendre sept ans avant qu’apparaisse sa première variante « usine » à moteur V8 – rappelons que, de son côté, AMG avait conçu sa première 300 E 5.0 dès 1984 –, la W210, commercialisée à l’automne de 1995, ajoute à sa gamme deux modèles ainsi gréés au début de l’année suivante, et qui relèvent de deux philosophies différentes. De la sorte, la E 420 de 279 ch, qui reprend sans grandes modifications le V8 4,2 litres du modèle éponyme sortant, apparaît comme une grande routière rapide, taillée pour les longues randonnées sur l’autobahn, mais sans aucune prétention sportive ; à l’instar de sa devancière, elle n’est guère identifiable par le profane et son apparence ne se distingue pratiquement pas de celle d’une paisible E 200 deux fois moins puissante. « Exactement comme la 500 E en son temps », me direz-vous – et vous n’aurez pas tort. Pour autant, à l’étage au-dessus, Mercedes et AMG ont cette fois choisi une tout autre démarche et la E 50 – tout comme la très confidentielle E 36 qui l’a précédée – ne fait rien pour dissimuler sa nature. Les voies élargies, l’assiette surbaissée et les superbes jantes AMG de 18 pouces s’accompagnent d’un kit carrosserie tapageur pour l’époque, incluant boucliers spécifiques et jupes latérales, lequel semble évidemment bien anodin en comparaison des E 63 actuelles… Mais lors de mon premier contact avec le modèle, il y a bien longtemps déjà, je me souviens encore d’avoir été très impressionné par cet ensemble à l’agressivité tranquille mais palpitant au rythme du V8, dont le grondement sourd savait vous captiver, même au ralenti.

Les adieux du M119
Le valeureux V8 M119 provient en droite ligne de feue la E 500 – qui l’avait elle-même chipé au roadster SL et à la Classe S, sans qu’il soit modifié ; ses 326 puis 320 ch s’avéraient bien suffisants pour tenir tête à la BMW M5 E34… Pour la E 50 toutefois, les motoristes d’AMG ne se sont pas contentés de récupérer tel quel le moteur de l’ancien modèle, même si ses caractéristiques fondamentales n’ont pas évolué. Nous avons donc toujours affaire à un huit-cylindres tout alu de 4973 cm3, dont les culasses comportent comme précédemment quatre soupapes par cylindre et qui, au terme d’un travail ayant concerné aussi bien le calage variable des arbres à cames que l’adoption d’un collecteur d’admission à double flux ou d’une partie du système d’échappement du V12 maison, exhale 347 ch à 5750 tours/minute (versus 320 ch à 5700 tours pour la E 500), tandis que le couple maximal atteint à présent 480 Nm (soit 10 Nm de plus). Fort logiquement, les chronos progressent, mais sans envoyer la W124 au musée : le Moniteur Automobile mesure la E 50 AMG à 25,5 secondes pour le kilomètre départ arrêté, alors que la E 500 valait 25,9 secondes dans le même exercice – le magazine belge mentionne, au passage, qu’une Porsche 993 Carrera S Tiptronic réalise pour sa part 25,4 secondes… Voilà qui aide à situer l’auto dans sa contemporanéité et à cerner son typage, qui délivre, en somme, les performances d’une GT biplace avec l’avantage d’un habitacle et d’un coffre de familiale. Ce qui en dit long quant aux ressources de ce moteur de légende, dont la E 50 (et ses rares dérivés E 60, poussés jusqu’à 405 ch pour 6,3 litres de cylindrée !) incarne le chant du cygne…
Rongée par l’oubli
Car, dès le mois d’octobre 1997, la E 55 AMG prend le relais. D’une physionomie identique à celle de la E 50, l’auto recèle cependant un moteur entièrement inédit, appartenant à la nouvelle génération de groupes modulaires en V – des V6 et des V8 se distinguant de leurs prédécesseurs par leur distribution à un seul arbre à cames en tête et trois soupapes par cylindre. Le nouveau V8 M113, d’une cylindrée exacte de 5439 cm3, va connaître une belle et longue carrière en animant un grand nombre de modèles AMG dans les années qui vont suivre, reléguant l’éphémère E 50 dans les oubliettes de l’histoire – ce d’autant plus que le modèle n’a jamais été homologué sur les marchés extra-européens, contrairement à son successeur. Moyennant quoi, alors qu’environ 12 000 E 55 AMG ont été construites jusqu’en 2002, la E 50 totalise moins de 2800 exemplaires… Coincée entre la 500 E/E 500 – déjà une voiture culte – et la E 55 bien plus répandue, l’auto demeure convoitée par une petite tribu de connaisseurs, qui identifient en elle un jalon historique à plusieurs égards ; dernière AMG mue par le V8 M119, c’est aussi la première Classe E d’une nouvelle ère, charriant avec elle une modernité synonyme d’avantages concrets pour l’utilisateur (sobriété, innovations techniques, qualités routières encore en progrès, confort postural et acoustique) mais aussi d’économies conceptuelles qui ont fini par coûter cher à son constructeur (à la sortie de la W210, la garantie anti-corrosion Mercedes était de 30 ans, durée prudemment ramenée à 10 ans par la suite…) et fortement dégradé l’image de cette série par rapport à la W124. La E 50 AMG apparaît donc très accessible : sur le marché allemand, les plus beaux exemplaires survivants dépassent rarement les 20 000 euros. À la condition impérative de vérifier très attentivement l’état de la carrosserie et l’historique de la voiture, c’est là un rapport prix/performances difficilement surpassable ! Vous laisserez-vous tenter ?






Texte : Nicolas Fourny