Mercedes 450 SEL "6.9" : hot rod pullman
« Meilleure voiture du monde », « Sans égale » et j’en passe: les essais de la Mercedes 450 SEL 6.9 publiés au milieu des années soixante-dix rivalisent de dithyrambes. Lancée en mai 1975, la Classe S suprême représentait bel et bien le sommet de la technique automobile. La recette ? Un V8 de presque sept litres et une suspension hydropneumatique, logés dans une banale caisse de 450 SEL, élue « Voiture de l’Année » un an plus tôt. Mais, comme on dit Outre-Rhin, « Perfekt ist nicht genug » (Parfait n’est pas assez ).
Six, neuf: deux chiffres qui cachent un moteur « XXL », celui de la mythique Mercedes 600 (lire aussi : Mercedes 600 W100), poussé à près de sept litres. De quoi rivaliser avec les plus démesurés des big blocks. Mais à la mode germaine. En l’occurrence une culasse en alu, un arbre à cames en tête par rangée de cylindres et une injection électronique. Résultat: 286 chevaux et surtout un couple record à l’époque: 56 mkg à 3000 trs/mn, la barre des 50 mkg étant franchie dès les 1000 trs/mn. N’en jetez plus ! Coté chronos, la limousine allemande pointe à 260 compteur (soit 225 km/h) et franchit le 0 à 100 km/h en moins de 8 secondes… Bref, des perfs de GTI de 2017 ou de 911 de 1975, logés dans deux tonnes de confort sécuritaire ouaté.
Après le choc pétrolier de 1973, Mercedes attendit un peu pour sortir sa S extrême. Histoire que l’autophobie naissante – « la vitesse, c’est dépassé » lisait alors sur les quatre par trois – se radoucisse et que les stations service ravitaillent à nouveau, sans vous dévaliser. L’objectif était d’imposer la Classe S première du nom comme référence absolue sur le marché des limousines. En premier lieu aux États-Unis et au Moyen-Orient. La base était loin d’être mauvaise, les cerveaux de Stuttgart partant de la 450 SEL (V8 4,5 l de 225 chevaux), sacrée « Voiture de l’année » au salon de Genève 1974. Pour surclasser les Rolls-Royce et autres Bentley, on reprendrait le bloc V8 « M100 » animant la légendaire 600, monture préférée des dictateurs et des vedettes du show-biz.
Dès 1967, la sechs drei de génération précédente avait initié le concept « gros moteur-petite caisse ». Jugez plutôt: 250 chevaux, les 100 km/h atteints en 6,5 secondes et 220 km/h sur l’Autobahn. De quoi surprendre plus d’une béhème ou une Porsche… Les 6526 exemplaires vendus en quatre ans prouvaient qu’il y avait bien une clientèle pour un muscle car sauce souabe..
La discrète
Laves-phares, pneumatiques (les plus gros disponibles sur le marché) et logo « 6.9 » mis à part, rien ne la distingue d’une autre Classe S contemporaine. Pas même les jantes aluminium Fuchs, absentes sur les premières versions, du moins en Allemagne. Ça défrise un peu la moustache quant on songe aux 180 000 francs réclamés. C’était le prix de deux Ferrari 308 ou de deux 350 SEL, avec déjà 200 chevaux sous le pied droit. Ces harpagons de Mercedes vous faisaient donc le cheval supplémentaire à mille francs l’unité ! les signes extérieurs de richesse n’étaient pas non plus légion coté salon. La 6.9 ne se consommant qu’en version longue – 10 mm de plus entre les jambes – , elle reprenait naturellement la dotation des 280, 350 et 450 SEL. Soit, quatre vitres électriques, la condamnation des portes, les vitres teintées et la sellerie velours. Fidèle au cerceau en plastique, la 6.9 s’enticha tout de même d’un peu plus de bois sur la planche de bord et de la clim, livrée de série. Les PDG prenant leurs aises sur la vaste banquette profitent aussi d’un large store à lamelles et de veilleuses tandis que les sièges avant sont réglables en hauteur. De série on vous dit ! Mais pour avoir le cuir, des sièges ou le toit ouvrant électriques, il faut se plonger dans les pages des options. Vous avez 18 000 deutshmarks à ne pas savoir qu’en faire ? Plutôt que d’offrir une Coccinelle à chacun de vos héritiers, choisissez le radiotéléphone ! Pour l’ABS, il faudra attendre le millésime 78. Cette Classe S « W116 » sera au passage la première voiture au monde à recevoir – en option – le fameux antiblocage co-développé avec Bosch.
Moteur !
Afin de pouvoir entraîner les nombreux périphériques (clim’, pompe haute pression de la suspension hydropneumatique, etc.), les motoristes d’Untertürkheim portèrent l’alésage à 107 mm, l’allumage devenant transistorisé. Comme sur la Citroën LNA sortie en 1976 (lire aussi : Citroën LN et LNA)! Cette hausse de cylindrée permettra de gagner 36 chevaux par rapport à la 300 SEL 6.3, de gagner en prestige et de ne pas – trop- souffrir de la sévérité galopante des normes antipollution américaines. Car c’est bien au pays de l’Oncle Sam que la six nine trouvera le plus d’adeptes. Soit un quart des ventes totales (7380 unités), la grande dame n’y étant vendue qu’aux millésimes 78 et 79. Pour combler les conducteurs un tant soit peu sportifs, une lubrification par carter sec sera installée, permettant de positionner le moteur plus bas et donc d’abaisser le centre de gravité.
Avec son couple inépuisable et sa boite automatique Daimler-Benz à trois rapports, spécifique au modèle, les dépassements étaient une simple formalité. Pensez: le premier rapport vous entraînait jusqu’à 103 km/h et passait la troisième à 170… Avec 225 en pointe, la 6.9 détenait le record du monde pour une berline en 1975. Monteverdi 375/4 mise à part, message à passer aux communicants de Mercedes. Le magazine allemand Auto Motor und Sport la mesurera même à 234 km/h, la voiture d’essai ayant peut-être reçu un rapport de pont plus long. De 2.85:1 sur la 6.3, il est de 2.65:1 sur la 6.9 afin de réduire le bruit moteur et de passer sous la barre des vingt litres aux cent. Plus sauvage, l’aïeule expédiait le 0 à 100 km/h en 6,5 », une bonne seconde de mieux que la 6.9 avec sa carrosserie « sécuritaire ». En résumé, la Mercedes 450 SEL 6.9 mariait avec bonheur sport – sur autoroute s’entend – et confort. Une alchimie que bien des constructeurs cherchent encore.
Tu les sens, les coussins d’huile ?
Dans les Valseuses, notre Gégé national vantait les qualités de l’hydropneumatique Citroën à son ami Dewaere. Car, outre son bouilleur de sept litres, l’autre singularité de la 6.9 est sa superbe suspension hydropneumatique. Si les 300 SEL 6.3 et la grande 600 roulaient sur l’air, la jeunette adoptait un système hydropneumatique intégral, mais avec une petite pompe de pression entraînée directement par l’un des arbres à cames. Résultat: l’amortissement et la correction d’assiette sont plus rapides que sur une DS (la vraie, pas son usurpatrice DS5), l’allemande se passant de la spectaculaire « élévation » après la mise à feu. La suspension refaisait littéralement la route, « aussi bien les pavés à petite vitesse que les dos d’âne à grande allure » comme l’écrivit Bernard Carat dans l’Auto-Journal du 1er avril 1976. Ce n’est pas un poisson: il accrochera les 225 km/h au radar de la S.F.I.M sur autoroute, craignant de voir la Mercedes sortir de l’anneau de Montlhéry… Reprenant le correcteur d’assiette de la 450 SEL standard, les cabrages à l’accélération et au freinage étaient minimisés. L’inimitable qualité de filtration Mercedes faisant le reste. Voila sans doute ce qui bluffa la presse automobile et lui fit préférer la Mercedes à ses rivales british…
Il faut cependant raison garder. En ligne droite, la tenue de cap est exemplaire, même au delà des limites autorisées… Mais le couple est tel que, même sur le sec, l’adhérence devient parfois limite en accélération. On raconte que les chefs d’atelier Mercedes s’amusaient à faire tourner les jantes dans les pneus. Alors sous la pluie, achtung !
Aussi silencieuse et un peu moins chère qu’une Rolls, plus nerveuse et buvant moins, la Mercedes, plus anonyme, était un summum d’understatement. Surtout si le client la commandait sans le monogramme 6.9 sur la malle. Voilà sans doute pourquoi PDG et prince arabes l’achetèrent à tours de bras, la préférant à une 600 plus statutaire mais devenue has been. Alain Delon, Mireille Mathieu et Claude François compteront parmi la clientèle tricolore. Ce dernier se fera d’ailleurs tirer dessus par un gang de voyous lors d’une course poursuite sur l’autoroute A4. Cloclo réussira à semer leur CX et rallier sain et sauf son moulin de Dannemois. Non sans quelques frayeurs et impacts de balle sur la lunette arrière. Si vous aimez le cinéma, vous savez aussi sans doute que Claude Lelouch tourna avec sa propre 6.9 le court métrage « C’était un rendez-vous ». Une matinale traversée de Paris à 160 de moyenne filmée caméra au pare-choc, avec la bande-son d’une Ferrari et une image des plus stables. Merci la suspension hydro !
Concluant son essai réalisé pour Sport Auto, José Rosinski écrivit : « Le seul remède pour ne pas perdre à jamais son permis est peut-être de remplacer l’étoile cerclée Mércédès [NdR: (sic) ] qui s’érige sur la calandre par un mini-radar, ou une aile de poulet stylisée… »
Texte : Michel Tona
Photos : Michel Tona / Archives Mercedes-Benz / DR