Alors que le scénario de la renaissance de Lancia s’apparente de plus en plus à celui du film Le retour des morts-vivants, il n’est pas inutile – par contraste mais surtout pour le plaisir – d’évoquer l’une des périodes les plus fastes de l’histoire de la firme turinoise, créée il y a 118 ans et dont l’histoire recèle tant de péripéties qu’un volume entier ne suffirait pas à les énumérer. Lancée en 1957, la très fertile série des Flaminia, incarnant alors le haut de gamme de la marque, s’est déployée dans de multiples directions, allant de la berline statutaire habituée aux allées et venues dans la cour du palazzo del Quirinale aux créations les plus échevelées d’un Zagato en grande forme, en passant par le classicisme intemporel des coupés signés Pinin Farina et, bien sûr, l’insurpassable classe des coupés et cabriolets dus à Touring et qui nous occupent aujourd’hui…
L’âge d’or de la carrosserie italienne
Cela peut paraître inouï à notre époque de standardisation massive, de rationalisation industrielle et d’économies d’échelle mais, il y a soixante ans, les constructeurs italiens n’hésitaient pas à multiplier les variantes d’un même modèle, en s’appuyant sur la créativité des carrossiers avec lesquels ils travaillaient en étroite collaboration, sur le plan du design comme, bien souvent, de la fabrication. De la sorte, rares étaient les modèles circonscrits à une seule carrosserie ; les berlines, destinées à une large diffusion, se voyaient très souvent accompagnées de coupés et de cabriolets – plus rarement de breaks – dessinés chez les bons faiseurs qu’étaient alors Pinin Farina, Bertone, Touring ou Zagato. À partir d’une base commune, la clientèle pouvait donc choisir, en fonction de ses moyens et de ses besoins, entre des véhicules fonctionnels ou récréatifs – voire carrément sportifs dans certains cas ; et, en l’espèce, la Lancia Flaminia est certainement l’une des automobiles les plus emblématiques de cette époque bénie, la gamme ayant compté jusqu’à huit carrosseries différentes !
Une berline, trois coupés
L’histoire de la Flaminia a commencé au Salon de Genève 1957, sous la forme d’une berline à quatre portes dessinée par Pinin Farina et issue du prototype baptisé « Florida » présenté deux ans plus tôt – un design qui allait considérablement influencer le travail du carrossier dans les années à venir. Opulente routière de luxe avant tout destinée aux notables, aux capitaines d’industrie, aux hauts fonctionnaires et aux dirigeants politiques, l’auto se caractérise par une élégance discrète dont la seule originalité réside dans le traitement de la partie arrière, qui rappellera – et pour cause – de bons souvenirs aux propriétaires de Peugeot 404… L’ensemble est, à l’évidence, davantage conçu pour rassurer que pour émouvoir ; dès l’automne de 1958, la gamme va toutefois s’élargir de façon significative avec l’apparition de trois coupés à la physionomie et au typage bien distincts. Si Pinin Farina signe une deux-portes patricienne de fort bon aloi – et toujours fidèle à la ligne « Florida » –, Zagato et Touring dévoilent des créations s’éloignant nettement de leur matrice. Construits sur le même empattement de 2,52 mètres – versus 2,87 mètres pour la berline -, les deux dérivés les plus dynamiques de la gamme Flaminia ne s’adressent cependant pas à la même clientèle, la proposition de Zagato, opportunément baptisée « Sport », s’avérant bien distincte de l’hédonisme revendiqué par la « Gran Turismo » commise par Touring…
Le grand tourisme incarné
Construite selon le principe dit Superleggera et propre au carrossier milanais – un assemblage de panneaux d’aluminium fixés sur un treillis en acier –, la Flaminia GT se présente sous la forme d’un coupé aux trois volumes nettement marqués et dépourvu de custodes. La classe incoercible de ce dessin, dont la simplicité formelle n’est qu’apparente et qui dévoile à l’observateur attentif une foultitude de détails dont le raffinement n’a pas fini de nous éblouir, s’impose à tous dès le premier jour. C’est la quintessence de l’esprit Lancia de ce temps-là : un agrégat de classicisme et d’intrépidité – à titre d’exemple, les quatre projecteurs sont une première en Italie et, par leur originalité, répondent aux feux arrière trapézoïdaux – qui ne transige jamais avec le bon goût. Sous n’importe quel angle, cette carrosserie rend heureux celui qui la contemple, et plus encore s’il s’apprête à en prendre le volant. Car la Flaminia GT n’est pas qu’un physique : comme les autres déclinaisons de cette noble lignée, l’auto ne reçoit que le V6 maison qui, en début de carrière, affiche une cylindrée de 2458 cm3. Par rapport à la berline, la puissance passe de 100 à 119 ch, ce qui, grâce à la légèreté de la carrosserie en aluminium, autorise une vitesse maximale de 180 km/h, allure encore rarissime à la fin des années 1950 parmi les voitures de série, aussi élitaires fussent-elles.
La haute couture à prix d’ami (ou presque)
Car la série des Flaminia, toutes carrosseries confondues, n’est pas accessible au premier venu, ce dont témoignent des volumes de production très confidentiels. Les versions Touring (GT, GTL à empattement de 2,60 mètres et cabriolet Convertibile) n’auront pas atteint les 3000 exemplaires jusqu’à leur arrêt de fabrication en 1965, après une carrière marquée par plusieurs évolutions, dont la plus marquante concerne l’augmentation de cylindrée survenue pour 1964, et qui atteint désormais les 2775 cm3 pour 150 ch CUNA. Ayant conservé l’alimentation à trois carburateurs Weber adoptée deux ans auparavant sur le moteur 2,5 litres (d’où l’appellation « 3C »), la Flaminia ainsi gréée tutoie à présent les 190 km/h et, à l’évidence, c’est sous cette forme que l’auto est la plus désirable. En 1965, pour leur dernier millésime, les coupés GT et GTL sont respectivement tarifés, sur le marché français, à 38 000 et 38 900 francs (environ 59 000 euros actuels), soit au-dessus d’une Mercedes 230 SL et pratiquement au même prix qu’une Jaguar Type E, il est vrai très compétitive à cet égard… De nos jours, il faut compter entre 60 et 70 000 euros pour repartir au volant d’un coupé Touring en bel état. Dans l’absolu c’est une somme, certes, mais pour un tel chef-d’œuvre de design, ce n’est franchement pas cher payé !
Texte : Nicolas Fourny