Jensen Healey et GT : dans l'ombre de l'Interceptor et de l'Austin Healey
Il y a des bagnoles comme ça, qui n’arrivent pas à marquer les esprits malgré l’association de deux grands noms de l’automobiles, Jensen et Healey, la participation « free lance » d’un designer chevronné, William Towns (à qui l’on devra aussi l’Aston Martin Lagonda), et un moteur signé de chez Lotus. Non vraiment, la Jensen-Healey et sa version 2+2 shooting brake, la GT, n’arriveront jamais à percer. Il s’agit pourtant du modèle le plus vendu de la marque, comme quoi !
Oui, il est vrai que la Jensen Interceptor et sa version à transmission intégrale FF, malgré l’insuccès, est restée dans les mémoires bien plus que la Jensen-Healey, sans même parler de l’inconnue GT. Normal, quand l’une révolutionnait (du moins pour ses modèles FF) l’industrie automobile avec style (signé Touring), l’autre se traînait une ligne fade, sans personnalité. Sans parler de l’effroyable fiabilité du 4 cylindres 2 litres Lotus qui n’arrangera rien à l’affaire. Et puis le prix aussi ! Une fortune pour une voiture sans image, sans saveur, et sans fiabilité, autant dire que bon, c’était pas gagné.
Pourtant, tout aurait pu se passer autrement. Car au départ, il y avait du beau monde pour se pencher sur le berceau de cette voiture : avec la fin de la production de l’Austin Healey 3000, Donald Healey cherchait à poursuivre l’aventure automobile malgré son âge avancé. De son côté, Alfred Vickers, PDG de Jensen, cherchait de nouveaux revenus puisqu’il fabriquait justement les carrosseries de l’Austin Healey, son arrêt provoquant un vrai manque à gagner pour la petite marque. Et puis Kjell Qvale, qui deviendra par la suite actionnaire puis propriétaire de Jensen (et dont le fils fabriquera la Qvale Mangusta), et qui à l’époque importait un paquet de voitures anglaises, dont l’Austin Healey, aux Etats-Unis, cherchait un nouveau produit à fourguer aux ricains amateurs d’anglaises. Trois personnages hauts en couleur, et prêts à se lancer dans une nouvelle aventure.
D’une certaine manière, malgré le beau monde du départ, le projet porte les germes de l’échec : chacun cherche à trouver une solution pour survivre. Jensen ne peut pas s’en sortir avec une coûteuse Interceptor sans avoir de production annexe. Healey a trop d’orgueil pour s’arrêter, et Qvale cherche à tout prix le « coup » qui le rendra incontournable aux USA. Tout cela sans véritables moyens.
Après plusieurs échecs pour la fourniture d’un moteur, c’est un peu contraints que les 3 compères durent accepter l’offre de Colin Chapman de fournir un 2 litres 16 soupapes et double arbre à cames en tête de 144 chevaux. Un moteur pas vraiment au point, fragile, et que Lotus ne pouvait pas produire en grand nombre, ralentissant la production des Jensen-Healey pourtant pas si énorme que cela. Le petit cabriolet 2 places commençaient donc bien mal sa carrière.
A partir d’août 1973, apparaît la MkII adaptée au marché américain, avec des « bumpers » du plus bel effet (il y a un peu d’ironie dans cette phrase). La MkI n’aura trouvé « que » 3357 acheteurs, tandis que la MkII, produite jusqu’en 1976, se vendra à 7146 unités, pour un totale de 10 503 exemplaires. Sans compter les GT.
Parlons des GT d’ailleurs. Lorsque ce modèle apparaît en 1975, Qvale et Healey se sont déjà disputés, et le nom de Healey disparaît (histoire d’embrouiller un peu plus encore les éventuels acheteurs). Il s’agit d’une version 2+2 shooting brake, concurrent de la Reliant Scimitar GTE. Elle n’arrivera pas à redresser la barre, ni à empêcher la faillite de Jensen en 1976. Seuls 509 exemplaires seront produits in fine. Une vraie rareté.
Bon, on est d’accord, son style n’est pas le plus heureux de l’histoire automobile, mais n’est pas moche avec le recul aujourd’hui. Que ce soit en cabriolet ou en break de chasse, il se dégage un certain style, tout en sobriété (trop?) qui n’est pas déplaisant aujourd’hui, d’autant que ce modèle est peu connu. Cela donne l’occasion de mêler trop marque (Jensen, Healey, Lotus) en une seule voiture, et de sortir des sempiternels petites MG, Triumph ou autres roadsters anglais qui coûtent aujourd’hui un bras. Bref, une voiture comme on les aime, mal aimées, méconnues et pointues.