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J’ai tout largué pour un Grenadier

Par Vladimir Grudzinski - 29/08/2024

En 2016, après 68 années de présence ininterrompue à son catalogue, la firme Land Rover a décidé d’occire le modèle auquel elle devait son existence – j’ai nommé le Defender, aujourd’hui encore vénéré par de très nombreux amateurs à travers le monde, ce d’autant plus que son successeur officiel a choisi de viser un autre public. De fait, à Solihull c’en est bien fini de l’objet rustique aux forts relents utilitaristes et du véhicule avant tout conçu pour les tâches laborieuses, l’aventure – la vraie… –, les tribulations agrestes des gentlemen farmers et les besoins spécifiques d’une large tribu de professionnels, qu’ils soient forestiers, militaires, techniciens ou pompiers. Sans renoncer aux compétences off road qui ont bâti la légende de la firme britannique, le Defender du XXIe siècle ressemble dorénavant plus à un SUV de luxe déguisé en baroudeur, de sorte que bon nombre d’orphelins du Land historique se sont retrouvés face à un cruel dilemme : fallait-il désormais se contenter d’user jusqu’à la corde des Defender d’occasion ou bien se résigner à rejoindre le clan goguenard des toyotistes invétérés ? Fort heureusement, il existe à présent une troisième voie : celle qu’un certain Grenadier a décidé de défricher !

Ineos Grenadier

Ineos Grenadier

Une bière au 18, Wilton Row

Il faudrait se méfier des conversations entre amis – en particulier de celles qui durent plus longtemps que prévu parce que leurs protagonistes se laissent entraîner par l’intérêt et la chaleur de l’échange. La plupart du temps, elles n’engendrent aucune conséquence concrète mais, parfois, elles peuvent aboutir par exemple à la création d’une automobile entièrement inédite, développée avec soin et, par surcroît, industrialisée afin d’être vendue à des clients que l’on espère aussi nombreux que possible, pour la survie même de l’entreprise ! C’est un peu l’histoire du Grenadier, ainsi nommé car c’est le nom du pub situé à Londres, dans le quartier de Belgravia, où se situent les substrats de l’aventure. Celle-ci commence donc autour d’une bière un jour de février 2017, c’est-à-dire un peu plus d’un an après que le groupe Jaguar Land Rover (JLR) a funestement stoppé la production du Defender. Aux yeux de Jim Ratcliffe, président d’Ineos – groupe britannique opérant dans le secteur de la chimie –, et aussi d’un très grand nombre de passionnés d’automobiles, il s’agit d’une erreur monumentale. Naît alors le projet un peu fou qui va donner naissance au Grenadier que nous connaissons aujourd’hui – un peu fou car il est bel et bien question de partir d’une feuille absolument blanche pour réincarner le plus iconique des Land Rover !

Le Defender, tel qu’il aurait dû être

Car, dès l’abord, la démarche méconnaît toute ambiguïté : dans l’esprit, et même s’il ne reprend aucun composant de son inspirateur, le Grenadier n’est rien d’autre qu’un Defender modernisé, ce que traduit fidèlement une silhouette que même le profane identifiera sans peine. Ce n’est certes pas le premier avatar issu du Land Rover originel – on se souvient notamment des Santana longtemps construits sous licence en Espagne, voire de leur ultime itération, l’éphémère Iveco Massif – mais, cette fois, les responsables du projet ont choisi d’élaborer un véhicule ex nihilo, ne reprenant que la philosophie générale de leur modèle : « utilitaire, épuré et pragmatique », comme le proclame le site de la firme. On comprend immédiatement qu’Ineos réfute sans ambages l’idée d’un SUV chichiteux et avant tout voué à parader sur les Champs-Elysées ou à stationner devant le Ritz. Machine anti-frime par excellence (même si son côté militairement sexy pourra en subjuguer certains…), l’auto se destine avant tout à ceux dont les attentes substantielles priment sur les futilités contemporaines et le désir d’impressionner leur voisin de palier. Tout à fait entre nous, combien de Defender L663 roulent ailleurs que sur le bitume des autoroutes et des villes ? À la vérité, Land Rover a depuis longtemps succombé aux capiteux poisons d’une certaine superficialité ; ses modèles sont devenus des objets de mode rivalisant avec les SUV et limousines de luxe, et les réelles capacités de franchissement dont ils disposent encore apparaissent avant tout comme des alibis.

Cuir et vis apparentes

En comparaison, le Grenadier évolue sur une autre planète, avec une physionomie qui ne s’attarde pas à susciter la séduction, fidèle aux formes de feu le Defender One Ten, conçues pour optimiser la capacité d’emport et la fonctionnalité de l’ensemble. L’habitacle présente de singuliers relents qui rappellent avec insistance le monde de l’aviation, avec un agrégat de technologie contemporaine et de boutonnerie vintage dont les commandes ont été élaborées pour pouvoir être utilisées avec des gants – les obsédés du tactile sont priés d’aller voir ailleurs. Ici, point d’écran de 15 pouces posé au beau milieu du mobilier de bord, point de dalle multicolore pour régler la clim ou activer les sièges massants. Les équipements disponibles sont bien ceux du XXIe siècle, mais ils s’avèrent réellement utiles : sièges chauffants, caméra de recul, connectivité up to date (nombreuses prises USB, USB-C et 220 volts, Apple CarPlay et Android Auto), système audio d’excellente facture, etc. Le seul luxe véritable concerne la sellerie en cuir nappa, qui avoisine les vis apparentes de la console centrale. La moquette est en option, et le plancher est équipé de bouchons de vidange (on peut laver le sol au Kärcher). Ceux qui doivent impérativement continuer à circuler lorsque les conditions se dégradent, de même que les véritables connaisseurs de la conduite hors goudron, détailleront avec intérêt la liste des options, dans laquelle on ne trouvera pas d’applications en ronce de noyer ni de système audio Bang & Olufsen (cependant, la sono est excellente !) mais plutôt des verrouillages de différentiel avant et arrière, un schnorkel, un treuil résistant jusqu’à 5,5 tonnes ou encore une robuste galerie porte-bagages. De fait, lorsqu’il est configuré comme il convient, l’engin présente les mêmes compétences qu’un Defender de la grande époque – mais dans un environnement autrement plus actuel, que l’on s’intéresse au confort postural, à la position de conduite, à l’agilité sur les petites routes ou aux performances – les deux moteurs disponibles à ce jour, l’un carburant au sans-plomb et l’autre au gazole, sont des six-cylindres aimablement délivrés par BMW (286 et 249 ch, respectivement), marque dont les habitués auront reconnu l’ancienne commande de la boîte automatique ZF à huit rapports – la seule disponible au catalogue.

L’essayer, c’est l’adopter

Même s’ils ne constituent pas la première préoccupation de la clientèle visée, les chronos n’ont donc rien à voir avec les prestations souffreteuses du vieux Defender, aussi à l’aise dans les chemins gadouilleux qu’empoté et désespérément lent sur la route. Je puis en témoigner : j’ai parcouru plus de 2500 kilomètres au volant d’un Grenadier Diesel cet été, sur des chemins pas toujours carrossables et devant lesquels n’importe quel SUV Audi aurait renoncé. C’est une voiture qui a une âme et qui fait du bien, car la sincérité de ses concepteurs exsude de chaque détail. Elle est solide dans sa construction comme dans son approche générale, se soucie avant tout d’efficacité en toutes circonstances, ne cherche pas à éblouir ses occupants mais à les transporter dans les meilleures conditions possibles, avec un côté user friendly très appréciable au quotidien (entre autres, le coffre est tout bonnement gigantesque, aisément exploitable et intelligemment agencé, avec des grilles et des anneaux d’arrimage). Ajoutons que l’auto, si elle est littéralement assommée par le scandaleux malus écologique en version « civile », existe en une déclinaison considérée comme un utilitaire par l’administration française (vitres latérales arrière occultées, banquette rapprochée), qui non seulement vous épargnera ledit malus, mais aussi la TVS et la TVA… Si le Grenadier était apparu dans Les Visiteurs, Jacques-Henri Jacquart l’aurait détesté ; dans Out of Africa, Denys Finch Hatton l’aurait adoré. En fin de compte, dans les soubresauts d’une époque où triomphent la vulgarité, l’apparence et les faux-semblants, le premier mérite de cet engin à l’honnêteté granitique et dont je ferai très certainement ma prochaine auto du quotidien, c’est certainement de nous réconforter !



Automobile distribuée par le groupe de Willermin (Valence, Avignon, Aix-en-Provence).

Pour tout renseignement, contactez notre standard : 01 76 24 17 50



Texte : Vladimir Grudzinski

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