Jaguar XK120 : née par hasard
Aujourd’hui, tout le monde est d’accord pour dire que la série des XK (120, 140 puis 150) marqua de son empreinte les années 50, préparant brillamment le terrain à l’iconique Type E. Puissantes, rapides, luxueuses mais relativement abordables à l’époque, les XK furent unanimement reconnues pour leurs qualités. Pourtant, celle qui devint la XK120 et qui initia la lignée ne devait pas voir le jour, simple faire-valoir produit en urgence pour mettre en avant un nouveau moteur. Voici l’histoire étonnante de la Jaguar XK120 qui, comme beaucoup de la production britannique d’après guerre, s’inspire un peu de la BMW 328.
Parfois, le hasard fait bien les choses. Durant la guerre, William Lyons, patron de SS Cars et désireux de s’affranchir de la fourniture de moteurs par la Standard Motor Company, s’efforça de développer ses propres motorisations, préparant ainsi le retour à la paix et à la production automobile. A partir de 1942 (ou 1943, rien n’est sûr), des projets de moteurs furent lancés : XA d’abord (X pour expérimental, A par ordre chronologique), puis logiquement, XB, XC et ainsi de suite jusqu’à ce que la version XK soit désignée comme la bonne.
Showcar pour un moteur
XK était donc à l’origine un nom de moteur. Ce 6 cylindres en ligne de 3,4 litres disposait d’une toute nouvelle culasse en aluminium à double arbre à cames en tête et s’avérait particulièrement moderne pour l’époque, avec ses doubles carburateurs SU : la preuve, ce moteur sera décliné durant de longues décennies pour finir sa carrière en 1992.
La guerre enfin terminée, SS Cars, pour d’évidentes raisons commerciales, changeait d’appellation pour devenir Jaguar. Le plan produit s’avérait simple : remplacer la Mark IV datant d’avant-guerre par deux berlines, la Mark V en entrée de gamme et la Mark VII en haut de gamme (il n’y eut jamais de Mark VI, Bentley vendant déjà un modèle sous cette appellation à l’époque). Cette dernière devait logiquement être équipée du fameux moteur XK. Les deux nouvelles Jaguar devaient être présentées au salon de Londres d’octobre 1948.
Rapidement, il fut évident que la Mark VII, inaugurant ce bijou de technologie, ne serait pas prête à temps, contrairement à la Mark V dont la présentation à la presse était déjà prévue pour septembre 1948. Hors de question pour Lyons de ne pas présenter ce tout nouveau moteur : il fallait faire autrement. On décida donc de produire un show-car un peu sportif histoire d’offrir un écrin à la hauteur du XK. En quelques semaines (la légende parle de 2 seulement), Lyons et ses ingénieurs pondirent la XK120 (XK pour son moteur, 120 pour la vitesse en miles qu’elle pouvait atteindre, soit un peu plus de 190 km/h tout de même), un roadster doté d’une carrosserie en aluminium en ces époques de restrictions d’acier.
Succès immédiat
Présentée à Earl’s Court en octobre aux côtés de la Mark V, elle devint rapidement l’attraction du stand Jaguar. Il faut dire que, la chance souriant aux audacieux, Lyons avait vu juste avec cette ligne racée et sportive pourtant dessinée à l’instinct : un coup de crayon osé alors que le design de l’époque restait très conservateur, mais un coup payant. Devant un tel succès, Lyons sentit qu’un coup pouvait être joué en lançant une petite série de cette XK120 si désirable.
Dès la toute fin 1948, la production artisanale des XK120 commençait avec l’ambition d’atteindre 200 exemplaires. Or rapidement, les commandes continuèrent à affluer au point que Jaguar dut envisager une production plus industrielle. Après 242 exemplaires produits en aluminium (dont le premier client fut Clark Gabble), on passa à l’acier pour une nouvelle mouture de la XK120, plus facile à industrialiser et à rentabiliser.
En haut, la Jaguar XK120 Fixed Head Coupé. En bas, la XK120 Drophead coupé.Jusqu’en 1954, la XK120 allait évoluer avec des versions Fixed Head coupé (en 1951) puis Drophead coupé (en 1953). Au total, celle qui ne devait trouver que 200 clients chanceux fut produite à 8 937 exemplaires dont une majorité destinée à l’exportation, pourvoyeuse de précieuses devises. La recette allait être déclinée avec la XK140 en 1954 puis XK150 en 1957, toujours avec le même succès, avant de céder la place à la fameuse Type E.
Aujourd’hui, les XK120 sont toujours aussi prisées, surtout dans la version initiale en aluminium. Avec leur moteur moderne, leur ligne si charmante, elles séduisent inévitablement les nostalgiques des années 50. Mais tout ne vient pas de la ligne : malgré un châssis certes dépassé aujourd’hui et des freins à tambours un peu justes pour les 1 321 kg de la bête, elle s’avère particulièrement fiable et dispose d’une aura sportive. Avec 160 chevaux (SAE) et les 200 km/h dans la ligne de mire, elle envoie encore du bois. Une valeur sûre.