Jaguar 240: une certaine idée de l'automobile !
Lorsqu’on est fan de BD, qu’on affectionne en particulier Blake et Mortimer, qu’on a habité à Londres et que l’on cultive parfois un certain look british, il est somme toute normal de rouler en Jaguar. C’est le cas de mon beau-frère. Mais celle dont il rêvait (et la seule qui l’intéressait), c’était la Jaguar Mk2 ! Il est vrai qu’il suffit de la regarder pour y voir l’Angleterre des années 60. La Mk2 représente une certaine idée de l’automobile, aujourd’hui disparue.
Lorsque l’occasion se présenta, Frank acheta donc la voiture de ses rêves, loin des Porsche ou des Ferrari auxquels les autres pensent lorsqu’ils ont réussi. Mais c’est un modèle particulier dont il fit l’acquisition : une 240. Moi qui aime les vilains petits canards, je ne pouvais que valider son choix. Mal aimée, un brin moquée comme une « sous » Mk2, la 240 ne manque pourtant pas de qualités.
Sa qualité première : répondre à la conception de l’automobile que je partage avec mon beau-frère. Pour lui, posséder une Jaguar des sixties, ce n’est pas l’admirer au garage, mais bien s’en servir. Et la vénérable 240 de 1968 s’est retrouvée parcourant la France en long, en large et en travers, avec une certaine fiabilité (pour une Jaguar de cette époque). Bien sûr, il y a eu des pannes qui eurent le don d’exaspérer ma sœur, dont une dernière mémorable à Pâques dernier, à 800 mètres de la maison. Croyez moi, une 240 qui ne démarre plus à pousser dans la gadoue et sous la pluie, c’est une expérience à vivre. Mais globalement, la Jag’ s’est montrée bienveillante avec mon « beauf ».
C’est en 1959 qu’est apparue la Mk2, rencontrant dès le départ un succès considérable. Elle offrait luxe et puissance à un tarif sans commune mesure avec les Bentley ou Rolls Royce, ses compatriotes. C’était révolutionnaire (« so shocking ! »). Mais les ventes se tassent à partir de 1965, et Jaguar se doit de réagir. Si dès 1963 la marque avait proposé une version haut de gamme, la S-Type (disponible uniquement avec les motorisations « hautes », le 6 en ligne en version 3,4 litres et 3,8 litres), elle décide en 1967 de démocratiser encore plus la Mk2 en la remplaçant par deux modèles, la 240 et la 340.
Ces deux modèles (la 240 avec le moteur 2,4 litres, et la 340 avec le moteur 3,4 litres, d’où leurs noms) viennent se placer sous la S-Type luxueuse, en rendant accessible le mythe Jaguar. Mais cette entrée de gamme se paie au prix de la perte de certains « signes extérieurs de richesse ». Le cuir devient une option, et c’est un skaï (de très bonne facture au demeurant, l’Ambla) qui le remplace de série. Elle perd aussi les feux antibrouillards (qui sont proposés en option), mais gagne les pare-chocs de la S-Type. La marqueterie est de moins bonne qualité, et les tablettes derrière les sièges avant disparaissent.
Pour la 240 qui nous concerne, elle récupère donc le 2,4 litres déjà présent sur les mk2, mais celui-ci passe de 112 à 133 chevaux grâce à une nouvelle culasse. Elle dispose bien entendu d’un over-drive, mais pas de direction assistée. Malgré ces efforts pour « démocratiser » son modèle phare, les 240 et 340 ne réussiront pas à inverser la tendance. La 340 s’éteindra dès 1968, tandis que la 240 durera un an de plus, jusqu’en 1969, laissant la place à la nouvelle berline XJ.
La 240 se vendit à 4446 exemplaires en 3 ans, la 340 quand à elle est encore plus rare, avec 2788 exemplaires produits en seulement deux ans. Il existe aussi un ultra-rare modèle « 380 », doté du moteur 3,8 litres de la S-Type, qui ne se vendit qu’à 12 exemplaires. Les 240/340 sont donc moins luxueuses, mais plus récentes, et plus performantes que les modèles équivalents Mk2. Elles sont aussi plus rare. Pourtant, elles sont aujourd’hui moins recherchées et donc moins chères pour qui veut se faire un plaisir « à l’anglaise ».
La 240 de mon beau-frère, elle, n’est pas une voiture de collection, mais bien un daily driver. Elle souffre de corrosion, mais reste relativement saine (malgré quelques pannes finalement normales sur une voiture de cet âge). Elle offre surtout quelque chose qui vaut tout l’or du monde : des souvenirs à mes neveux et à mes enfants. Les photos d’illustration de cet article montrent bien leur joie de rouler à l’ancienne. Pour eux, y’a la Saab de Papa, et la Jaguar de Frank, les seules voitures qu’ils nomment par leurs marques, et cela restera gravé dans leurs têtes d’enfants. Voilà comment j’aime l’automobile : vivante, différente, nostalgique, et personnelle !
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Photos : Paul Clément-Collin