Apparue au cours de la décennie ayant réellement vu s’imposer les constructeurs japonais sur un certain nombre de marchés – outre-Atlantique en particulier –, la Honda CRX première du nom est probablement l’un modèles les plus enthousiasmants jamais conçus par la firme de Tokyo. Il faut se rappeler : c’est à partir de cette époque, il y a plus de quarante ans déjà, que Honda, après l’avoir démontré dans le domaine des deux-roues puis de la compétition automobile au plus haut niveau, est semblablement apparu comme l’un des meilleurs motoristes qui soient pour ce qui concerne les voitures de série. Mais si la CRX, qui ressemble furieusement à un gros jouet motorisé en comparaison des modèles actuels, a amplement bénéficié des talents spécifiques de la marque en l’espèce, la séduction de l’auto ne s’arrête pas là. Bien plus exclusif et intéressant à contempler que n’importe quelle GTI, cet attachant petit coupé à la physionomie suggestive possède des vertus facilement addictives et, de nos jours, de plus en plus d’amateurs commencent à s’en souvenir… et à sauver les rares survivantes encore préservées du tuning !
Ça commence comme une Ballade
À l’été de 1983, Honda présente la troisième génération de la Civic dont, comme chacun sait, les débuts remontent à 1972. Comme pour l’itération précédente, il ne s’agit décidément plus de circonscrire la gamme à un coach 3 portes principalement destiné à ferrailler, sur le marché européen, avec les Renault 5, Ford Fiesta ou Fiat 127. Avec des dimensions continûment en hausse, la version de base de la nouvelle Civic se rapproche plutôt de la VW Golf ou de l’Opel Kadett – ce d’autant plus que trois autres carrosseries l’accompagnent : une berline quatre portes à coffre séparé, un original break surélevé dénommé Shuttle (le nom fera long feu chez Honda) et, sous le nom de Ballade Sports CRX, un coupé râblé, extrêmement compact et surtout sans rival. Rebaptisée Civic CRX (acronyme signifiant, selon certaines sources, Civic Renaissance eXperimental), l’auto débarque en Europe début 1984. Avec ses 3,65 mètres, c’est alors, et de loin, le plus petit coupé disponible sur le marché. Joliment dessiné, l’engin bénéficie d’un design tout à la fois moderne, enjoué et très personnel, avec des proportions judicieusement calibrées – ce qui n’était pas gagné d’avance avec un gabarit aussi réduit.
L’avant-garde contre l’avant-guerre
Et le festival se poursuit lorsqu’on lève le capot. Sans concurrente en Europe – ni ailleurs -, la CRX s’octroie, en toute simplicité, les services du quatre-cylindres le plus sophistiqué de sa catégorie, à une époque où les blocs en fonte ne sont pas rares et où Renault propose encore, dans la 5 Alpine Turbo, son inusable Cléon-fonte à arbre à cames latéral et carburateur. La comparaison s’avère cruelle pour la firme française comme pour d’autres constructeurs : le 1,5 litre japonais, entièrement réalisé en aluminium, dispose de deux arbres à cames en tête, d’une distribution à trois soupapes par cylindre (deux pour l’admission, une pour l’échappement) et d’une injection électronique PGM-FI (pour Programmed-Fuel Injection) conçue en interne. L’ensemble développe 100 ch à 5750 tours/minute et propulse la CRX (825 kg à vide) à 190 km/h en pointe. Quelques semaines plus tard, Peugeot dévoile la 205 GTi, dont le vaillant 1,6 litre, aux caractéristiques honorables mais ne pouvant prétendre à la même sophistication que la Honda, propose cependant 105 ch et des chronos comparables. Bien sûr, la CRX ne procède pas de la même philosophie que la 205 ou la Golf éponyme, qui conservent la silhouette et donc l’habitabilité de leurs modèles de base, alors que le coupé nippon n’offre que deux places réellement utilisables (l’embryon de banquette arrière est en soi une insulte aux postérieurs des passagers qui tenteraient de s’y installer) et une moindre capacité d’emport. Au vrai, la Civic CRX est une auto de plaisance, une pourvoyeuse de plaisir de conduite et dont la polyvalence d’usage n’est pas la qualité la plus marquante. Mais qui s’en soucie ?
Sus aux GTI !
Même si ses qualités routières ne sont pas tout à fait à la hauteur des références européennes – en raison d’un compromis de suspension aboutissant à une raideur excessive et d’un freinage à l’endurance perfectible – la première CRX témoigne d’une agilité et d’un équilibre général qui permettent d’exploiter au mieux sa brillante mécanique. Avec un empattement de seulement 2,20 mètres, l’auto donne littéralement envie de jouer dès que la route se met à tourner. Par surcroît, en bonne Japonaise, la plus récréative des Civic n’a pas sacrifié ses vertus proverbiales de solidité et de fiabilité mécanique sur l’autel de la performance. Les caprices électriques, les démarrages incertains par temps froid et les fuites d’huile récurrentes n’appartiennent pas à sa grammaire. Avec elle, les conducteurs sportifs découvrent une machine fidèle, bien construite, dont la finition est aux antipodes des voitures françaises ou italiennes et réjouissante à conduire en toutes circonstances – sauf sur autoroute, où le niveau sonore imposé par un moteur familier des hautes rotations devient vite lassant. Mais là n’est pas le terrain de jeu usuel de l’engin qui, là aussi dans la tradition Honda, ne va cesser d’évoluer, d’abord avec l’introduction, à l’été 1986, d’un 1,6 litre 16 soupapes de 125 ch, puis, à l’automne de l’année suivante, d’une seconde génération aux formes adoucies et nantie du même groupe, poussé cette fois aux 130 ch qui – est-ce un hasard ? – correspondent exactement aux ressources d’une certaine 205 GTi 1.9, et pas très loin d’une Golf GTi 16 S, que la Honda tutoie en termes de performances chiffrées, tandis que le châssis progresse sans cesse vers un raffinement peu courant à ce niveau de prix, avec des trains roulants triangulés et des freins à disques à l’arrière. Parlons tarif, justement : en juillet 1988, une CRX 1.6i-16 vaut 104 500 francs (environ 30 000 euros de 2023), alors qu’il faut se délester de 94 400 francs pour rouler en Peugeot 205 GTi 1.9, de 112 650 francs pour acquérir une VW Golf GTI 16 S 2 portes et qu’une Renault Supercinq GT Turbo réclame 84 400 francs.
Un VTEC pour finir
Quatre ans après son apparition, force est de constater qu’aucun constructeur n’a emboîté le pas à Honda, dont la CRX demeure splendidement isolée dans un segment qu’elle a ranimé – en l’examinant, comment ne pas songer à feu le coupé S 800 ? – mais sans susciter de vocations. Son ultime évolution, pour le millésime 1991, conclura brillamment une carrière en forme de feu d’artifice technologique permanent, puisque le modèle s’offrira le VTEC – Valve Timing Electronically Controlled, autrement dit un système de calage variable à l’admission, alors unique à ce niveau de puissance – emprunté à la berlinette NSX présentée en 1989. Avec 150 ch à 7600 tours/minute, ce moteur de légende apparaît toutefois comme la quintessence du multisoupapes « à l’ancienne », aussi creux à bas régime qu’expansif en haut du compte-tours. Du reste, prendre du plaisir au volant d’une CRX a toujours impliqué de jouer sans restriction du levier de vitesse – au demeurant particulièrement agréable à manier – mais cette singularité atteint ici une sorte de climax qui fait partie intégrante de la personnalité de l’auto, et que l’on retrouvera par la suite sur bien d’autres Honda du même acabit. Pourtant, au début de 1992, la CRX de troisième génération (appelée Del Sol sur la plupart des marchés) tournera résolument le dos au concept initial en se transformant en coupé découvrable du genre Targa, tout aussi bien motorisé mais plus approprié pour la balade que pour l’arsouille… Produites au total à près de 500 000 exemplaires, ce sont aujourd’hui les deux premières CRX qui retiennent l’attention des connaisseurs, lesquels traquent sans relâche les voitures full stock, devenues aussi rares qu’une Aston Martin Lagonda avec un tableau de bord en état de marche – ce qui n’empêchera pas les fins limiers de CarJager de vous en trouver une. Si le modèle vous tente, vous savez ce qu’il vous reste à faire…
Texte : Nicolas Fourny