Garage Marbeuf : cathédrale à la gloire de Citroën !
L’une des choses qui me manquent le plus depuis que je ne suis plus parisien, après y avoir passé les 30 premières années de ma vie, c’est de me balader dans la capitale, au hasard des rues et des architectures, en me délectant d’y voir les traces d’un passé pas si lointain que cela. Si j’ai souvent pratiqué cette activité seul, j’aimais aussi la compagnie de mon père qui lui, pouvait se targuer d’être plus parisien que moi (il ne vivra finalement qu’une année hors de Paris, après 70 ans intra-muros), bien plus érudit (mais il savait l’être en toute discrétion) et surtout architecte de métier. Avouez que ces trois qualités étaient bien utiles pour connaître et découvrir une capitale que le progrès a souvent modifié tout en préservant quelques traces aux amateurs du genre (comme moi et vous peut-être).
C’est grâce à lui que j’ai découvert l’histoire d’un bien curieux immeuble que je connaissais déjà bien pour y avoir vu des films dans les années 80, où dansé dans les années 2000 ! Il s’agit du 32-34 rue Marbeuf, dans le 8ème arrondissement. Difficile aujourd’hui de s’imaginer ce qu’avait pu être jusqu’à sa transformation en 1952 ce superbe immeuble construit en 1928 par l’architecte Albert Laprade. Aujourd’hui, sa façade, par un nouveau travail des surfaces de pierres et de vitres, a perdu ce qui en faisait la particularité et la splendeur, tandis que l’utilité commerciale a elle aussi changé : aujourd’hui bureaux, parkings et clubs branchés, hier concession Citroën et cinéma le Marbeuf !
Le Garage Maryland Alfa Romeo construit juste à côté en 1927 par Mallet-Stevens ! Quelle rue !Mais revenons dans les années 20, avant que la crise de 29 ne chamboule tout. La guerre terminée, la France entre dans une période de croissance et de prospérité, doublée d’une envie de faire la fête : ce sont les années folles, durant laquelle l’automobile connaîtra une croissance sans précédent. Aujourd’hui, on investit dans le web et les nouvelles technologies, mais à l’époque, l’industrie nouvelle et prometteuse, c’était l’automobile en général, et Citroën en particulier, emmenée par son flamboyant patron André !
L’intérieur « théatral » du Garage MarbeufMaurice Bunau-Varilla fait parti de ces investisseurs qui croient en l’avenir et qui investissent. Avec son frère Philippe, ingénieur qui avait travaillé avec Lesseps au projet du canal de Panama, ils rachètent de nombreuses part (un peu forcés, puisqu’ils avaient bien profité du scandale) de la Société Nouvelle du Canal de Panama, née après le scandale éponyme et propriétaire des concessions territoriales. Opportunément, c’est Philippe qui sera nommé ministre plénipotentiaire par la France pour négocier la vente des concessions aux américains qui finiront le boulot : autant dire qu’ils s’en mirent plein les fouilles (enfin l’affaire est plus complexe que cela, il faudrait un livre rien que sur la façon du les Bunau-Varilla ont fait fortune) !
Avec cet argent, Maurice Bunau-Varilla va investir dans les médias, devenant l’actionnaire principal du quotidien Le Matin ! Il sera de ceux qui croiront en André Citroën, lui prêtant de l’argent voire devenant actionnaires des Automobiles Citroën. Le patron visionnaire savait remercier ses amis, et certains reçurent en cadeau des « droits de concession » (décidément c’est une habitude pour Bunau-Varilla) une fois l’entreprise bien lancée. C’est ainsi que Bunau-Varilla se voit offrir la possibilité d’ouvrir une concession Citroën dans le prestigieux quartier des champs Elysées, là où tout le monde doit être pour vendre des voitures.
Il jette son dévolu sur la rue Marbeuf. Alfa Romeo y a ouvert une concession au 36 en 1925, et vient de la faire reconstruire en 1927 par l’architecte Mallet-Stevens dans un style tout à fait représentatif de l’époque (j’adore cet architecte d’ailleurs, soit dit en passant). Bunau-Varilla lui va faire construire la sienne par Laprade, associé avec l’architecte suisse Louis-Emile Bazin, au 32-34, encore plus écrasante, et surtout encore plus majestueuse. Une concession à l’époque, c’est aussi de la publicité urbaine. Il faut que ça claque, que ça impressionne, et qu’on puisse voir les voitures.
C’est ainsi que les deux compères vont créer une façade monumentale, mêlant la pierre massive sur les côtés, et le verre léger et aérien au centre, pour créer une véritable salle d’exposition automobile sur dix étages (le garage Marbeuf se verra souvent appelé : « le garage aux dix étages »), et disposant sur le toit d’une immense terrasse accessible en automobile. Les automobiles sont disposés comme au théatre, aux balcons, et de la rue comme du hall, le visiteur peut admirer l’ensemble des productions André Citroën.
On aperçoit ici le cinéma Le Marbeuf (droits réservés www.occupation-de-paris.com)La construction sera terminée en 1929 : pas la meilleure année pour ouvrir un tel garage. D’ailleurs, petit à petit, les affaires de Bunau-Varilla périciliteront (tout comme celles de Citroën, qui fera faillite en 1934, laissant la main à Michelin) au même rythme que les ventes du quotidien Le Matin plongeront (de 1,6 millions d’exemplaires en 1919, le quotidien passera à 320 000 en 1919). En 1934 d’ailleurs, pour rentabiliser le garage, les sous-sols sont réaménagés en… cinéma, Le Marbeuf, grâce à l’architecte Marcel Taverney. C’est dans cette salle que mourut Boris Vian en 1959 lors de la projection de « j’irai cracher sur vos tombes », cruelle ironie lui qui adorait les bagnoles (lire aussi : La Brasier Torpedo de Boris Vian).
L’occupant pose devant le Marbeuf, fièrement ! (droits réservés: www.occupation-de-paris.com)Avec la guerre, l’activité du garage s’arrête, tandis que les allemands font les malins devant ce chef-d’oeuvre de l’ancienne puissance automobile française, tandis que le Marbeuf tente tant bien que mal de survivre. Maurice Bunau-Varilla, lui, va s’engager… dans la collaboration avec son journal de plus en plus ouvertement anti-sémite et pro-allemand. Si Maurice meurt le 1er août 1944, son fils et associé, Guy, se retrouve condamné aux travaux forcés à perpétuité !
L’immeuble beaucoup plus anonyme aujourd’hui, a perdu ses parkings !C’est en 1952 que l’immeuble cathédrale du 32-34 rue Marbeuf est totalement réhabilité. Si le cinéma reste au sous-sol, le reste est totalement rénové, réorganisé, mélange de bureaux et de parking. Le Marbeuf disparaîtra dans les années 80, laissant la place à un restaurant, puis… à des boîtes de nuit. Aujourd’hui, d’un côté, au 34, on trouve un ensemble de salles à louer pour tout événement (et à l’architecture encore splendide datant du cinéma le Marbeuf, mais restaurée) Le Pavillon Champs Elysées, tandis qu’au 32, on trouve aujourd’hui le club électro le Zig Zag. Pour l’anecdote le club appartient au Groupe Noctis, présidé par Laurent de Gourcuff… avec qui j’étais au lycée. La boucle est bouclée.
Le C42 paraît presque petit à côté de l’ancien Garage MarbeufCe qu’il reste aujourd’hui du Garage Marbeuf, ce sont surtout les souvenirs d’une autre époque, où les concessionnaires rivalisaient d’audace en créant de véritables cathédrales tandis qu’aujourd’hui, les concessions se tassent aux bords des nationales ou dans les zones d’activité, laissant au constructeur la lourde de tâche du prestige, avec moins de grandeur : le Garage Marbeuf n’a rien à envier au C42 de Citroën, qui lui, n’a rien inventé, et a finit par disparaître lui aussi dernièrement.
Crédit iconographique:
© Centre historique des Archives nationales – Atelier de photographie
Nuancier DS: http://www.nuancierds.fr/
Occupations de Paris.com: http://www.occupation-de-paris.com/