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Ford Versailles et Royale: l'alliance ratée de VW et Ford au Brésil

Par PAUL CLÉMENT-COLLIN - 17/09/2017

La Ford Versailles (2 portes, 4 portes) et son dérivé Royale (3 portes et 5 portes) sont sans doute les voitures qui, de l’histoire, portent le plus mal leur nom. Pour n’importe qui, ces noms, que ce soit Royale ou Versailles, portent en eux une certaine idée de grandeur, de puissance, de beauté, de luxe, de pouvoir, et d’absolu. Il suffisait pourtant de regarder la Versailles pour s’apercevoir qu’on était plus proche de Louis XVI montant à l’échafaud que de Louis XIV en roi Soleil ! Pensez-donc, une bagnole lancée en 1991 au Brésil sur la base d’une voiture lancée dix ans plus tôt en Europe, simple rebadging d’une Volkswagen Santana (Passat B2 pour nous) elle aussi présente sur le marché : ça donne une idée de la splendeur de la voiture !

Bon, je le reconnais : il est facile de se moquer et de refaire l’histoire. Pour bien comprendre comment Ford en est arrivé à produire cet ersatz de Volkswagen au Brésil, il faut remonter le temps, au milieu des années 80. En 1986, malgré 21 % de parts de marché au Brésil, Ford ne va pas vraiment bien face à la puissance de VW, les ambitions de Fiat avec la Uno, et au rétrécissement du marché à cause d’une inflation galopante, augmentant in fine les coûts de production unitaires ! A Dearborne, on songe sérieusement à se retirer du marché brésilien, c’est dire si la situation est grave. De son côté, Vokswagen semble moins en danger, avec 34 % du marché. Mais les temps sont eux aussi durs, et l’idée d’une collaboration industrielle et commerciale n’est pas exclue.

Voilà comment les filiales brésiliennes de Ford et Volkswagen vont décider de s’allier : en créant une société de holding, Autolatina, détenue à 51 % par VW et 49 % par Ford, gérant deux entités distinctes (les deux marques restent opérationnellement et commercialement séparées, ce n’est pas une fusion), en 1987. Théoriquement, le nouvel ensemble écrase de sa puissance le marché, mais comme souvent dans les alliance, fusions ou rachat, 1 + 1 ne fait pas 2 ! En attendant, l’idée maîtresse de ce mariage un peu arrangé, c’est de réduire les coûts, sans autre vision véritablement stratégique. On veut surtout que cela coûte le moins cher possible à produire, et combler les trous dans les gammes. Pour cela, on va s’échanger mutuellement moteurs et plates-formes, créant de drôles d’avatars, les Logus et Pointer chez Volkswagen (dérivées des Ford Escort), et nos fameuses Versailles et Royale chez Ford.

Pour Ford, il s’agit de remplacer la vieillissante Del Rey. Déjà, on faisait dans le pompeux avec le nom de ce modèle décliné en coupé 2 portes, break 3 portes ou berline 4 portes. Autant y aller franco avec sa remplaçantes, du Roi on passe au château, la lignée reste cohérente dans son patronyme, pas vraiment dans la forme (et puis, la Versailles a déjà existé sous la marque Lincoln, alors tant qu’à faire : Lincoln Versailles). Dans la logique d’Autolatina, il faut piocher chez l’allié Volkswagen, et dans le segment visé, on trouve la plate-forme de la Santana, pourtant pas récente non plus. On ne va pas s’embêter à tout changer, ce qui explique que cette Ford reçoit les moteurs d’origine à carburateur AP 1800 et 2000 (alcool ou essence), voire l’AP2.0i à injection pour le modèle Ghia haut de gamme.

La voiture sera lancée en 1991 avec un léger grimage histoire de maquiller la Vévé en Ford. Au départ, seuls trois carrosseries sont proposées : les 2 portes et 4 portes sous le nom de Versailles, et la 3 portes « break » sous le nom de Royale. En effet, Volkswagen veut bien être gentil, mais pas se mettre trop de handicaps : pour protéger la Quantum (version 5 portes de la Santana), il faudra attendre 1995 pour que la Royale s’offre deux portes de plus. Un peu tard, surtout que cette année-là, Autolatina version Ford lançait au Brésil la Mondeo SW, largement plus moderne.

De toute façon, les dés étaient jetés : la réalité de l’alliance Autolatina avait mis 3 ans à se former (entre la signature de 1987 et les mesures effectives à partir de 1990) et 4 ans à se défaire, puisque dès 1994, les deux partenaires savent déjà que chacun repartirait de son côté. Le temps que chacun trie ses affaires, se dispute la garde de tel ou tel moteur, telle ou telle technologie. En 96 le divorce par consentement mutuel était effectif. Il faut dire que malgré l’alliance du même acabit en Europe (AutoEuropa au Portugal, pour produire les monospaces Galaxy, Sharan et Alhambra), les deux groupes se tiraient la bourre un peu sur tous les marchés, tant aux USA, qu’en Europe, sur le marché des populaires (Ford vs VW) que sur le premium (Volvo/Jaguar/Aston/Land Rover pour Ford, Audi, d’une certaine manière Porsche pas encore intégrée au groupe totalement mais dont VW était un gros actionnaire, et bientôt Lamborghini, Bentley et fortuitement Rolls-Royce, lire aussi : le rachat de Bentley et Rolls par VW et BMW). Pas vraiment l’idéal pour soutenir une filiale commune. Sans compter les divergences stratégiques internes, le manque d’investissements (que de projets lancés jamais matérialisés sur le marché), et la montée de la concurrence.

C’est donc discretos que la Versailles et son pendant Royale tireront la révérence, tout comme l’alliance contre nature Autolatina. Chacun repartait de son côté, et Ford, malgré l’arrivée d’une gamme un peu plus moderne (Mondeo, Ka), continuera à descendre pour atteindre dans les années 2010 une part de marché de 7 % au Brésil, soit 3 fois moins qu’au moment de la signature de l’alliance Autolatina. Ironie du sort. Les argentins auront droit, eux, à la même version dénommée Galaxie… sans plus de succès.

Pour ceux qui recherchent une Passat/Santana originale, n’oubliez pas de vous intéresser à la version Nissan, reconnue comme de meilleure qualité que les allemandes (à lire: Nissan Santana).


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