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Ferrari 328 : une somptueuse fin de race

Par Nicolas Fourny - 29/06/2023

« Les 270 ch délivrés par le 3,2 litres n’amusaient pas le terrain et emmenaient la « petite » Ferrari jusqu’à plus de 260 km/h réels, le kilomètre départ arrêté étant abattu en un peu moins de 26 secondes »

Procéder au restylage d’un chef-d’œuvre, voilà qui n’est pas une tâche facile et bon nombre de stylistes s’y sont cassé les dents, que l’on songe au coupé Peugeot 406, à l’Aston Martin Lagonda ou à la FSO Polonez. Toutefois, vers le milieu des années 1980, lorsque vous confiiez le boulot à la maison Pininfarina, vous étiez à peu près sûr de ne pas vous tromper : y officiaient encore des designers de légende attentifs en premier lieu à la cohérence des lignes et qui n’avaient pas passé leur enfance à réaliser des origamis. De la sorte, lorsque la Ferrari 308 se mua en 328, à l’automne de 1985, on assista à une sorte de miracle : après dix ans d’existence, la plus ravissante des berlinettes se contenta d’une actualisation minimaliste, tout à la fois en cohérence avec la décennie et profondément respectueuse du vocabulaire originel, tandis que la mécanique retrouvait le chemin de la performance. S’agirait-il de la plus réussie des Ferrari à moteur V8 ? C’est bien possible, à mon humble avis, et voici pourquoi…

Romantisme et puissance

Durant ses dix années de carrière, la fiche technique de la 308 n’a pas cessé d’évoluer, en contradiction apparente avec sa physionomie, demeurée fort heureusement intacte à quelques détails près. Née avec une carrosserie en polyester et un huit-cylindres alimenté par quatre carburateurs Weber, l’auto a successivement adopté une peau d’acier et d’aluminium en 1977, l’injection Bosch K-Jetronic en 1981 puis, enfin, des culasses à quatre soupapes par cylindre dès 1982, retrouvant ainsi peu ou prou ses performances de départ. Car le V8 Ferrari, c’est le moins que l’on puisse écrire, n’avait pas bien digéré le passage à l’injection : des 255 ch revendiqués — avec sans doute un brin d’optimisme — en 1975, la chute avait été brutale et les 308 GTBi/GTSi, avec seulement 214 chevaux, se retrouvèrent à peu près au niveau d’une Porsche 911 SC tarifée 25 % moins cher. L’esthétique ne faisant pas tout, il fallait impérativement réagir et, en l’espèce, les motoristes de Maranello ne déçurent pas leur clientèle, la berlinette et le spider d’entrée de gamme bénéficiant, avec le groupe Quattrovalvole (à lui seul, l’énoncé de ce terme délicieux ne vous donne-t-il pas envie de prendre la route ?), d’une solide remise à niveau saluée comme elle le méritait. Les 240 ch de la 308 « QV » ne devaient cette fois rien à l’imagination toujours fertile du marketing modénais et les chronos réalisés par l’Auto-Journal en 1984, dans le cadre d’un numéro « spécial Ferrari » que nous sommes nombreux à avoir pieusement conservé, sont éloquents, moins en matière de vitesse pure — 235 km/h en pointe — que de nervosité, avec un temps de 26,6 secondes sur mille mètres. Sous la plume d’André Costa, le magazine énumérait les nombreuses qualités de l’engin — silhouette, moteur, tenue de route, freinage — mais aussi un certain nombre de défauts, bien que le célèbre chroniqueur ait eu l’amabilité de passer sous silence une finition scandaleusement approximative ; c’est pourtant bien elle qui contribue le plus à dater la 308 aujourd’hui et il n’est pas abusif d’affirmer qu’en ce temps-là, le contraste entre la somptuosité des carrosseries Ferrari et la désinvolture du traitement appliqué à leur habitacle ne pouvait que surprendre l’amateur…

J’avais vingt ans, etc.

Comme chacun sait, la nomenclature Ferrari est suffisamment touffue et complexe pour qu’il soit aisé de s’y perdre mais, dans les premières années de la longue histoire des berlinettes huit-cylindres, les choses étaient simples : la cylindrée était indiquée par les deux premiers chiffres du matricule, qui précédaient un « 8 » suffisamment expressif. Ainsi, lorsque la firme annonça que son V8 passait de 2927 à 3185 cm3, personne ne fut étonné de découvrir les 328 GTB et GTS qui, comme souvent à Maranello, profitait d’un restylage pour changer d’appellation. Néanmoins, l’auto n’essayait pas de se faire passer pour une nouveauté intégrale et, contrairement à la Porsche 964 alors en gestation, son apparence quasiment inchangée ne dissimulait pas de grands bouleversements. C’est la partie avant qui avait concentré la plupart des modifications ; les prises d’air caractéristiques qui surplombaient les pop-up lights avaient disparu, tandis que la grille inférieure arborait des projecteurs longue portée et des clignotants mieux intégrés qu’auparavant. Les jantes en magnésium à cinq branches conservaient globalement le même design, mais comme adouci par l’époque — et ce constat s’étendait d’ailleurs à l’entièreté de la voiture, dont certaines aspérités typiquement seventies avaient été atténuées. Les thématiques en vigueur depuis le prototype Dino 206 GT Speciale, présenté exactement vingt ans auparavant, n’avaient rien perdu de leur bien-fondé et l’on retrouvait avec plaisir les élégantes prises d’air aménagées dans les portières ainsi que la lunette arrière verticale et incurvée, cernée par deux gracieuses dérives venant mourir à l’aplomb d’une poupe à pan coupé et sertie d’une paire de feux circulaires ayant survécu jusqu’à la F8. Au vrai, ni l’architecture, ni les proportions générales n’avaient changé et il fallait ouvrir la portière pour découvrir des nouveautés aussi significatives que déroutantes. Les basculeurs chromés avaient en effet cédé la place à des touches affleurantes qui, à certains égards, évoquaient l’univers des chaînes Hi-Fi contemporaines mais dont, malheureusement, l’utilisation s’avérait particulièrement désagréable. Laissons de nouveau la parole à André Costa qui, toujours pour l’A-J, essaya une 328 GTS en février 1986 : « Certes, les commandes des essuie-glace (…) sont maintenant plus logiques mais il est pratiquement impossible de régler la climatisation à grande vitesse, les poussoirs électroniques ne fournissant aucun repère au toucher et étant parfaitement invisibles pour le pilote, dont le bras droit dissimule totalement les voyants. » Pour autant, l’essentiel n’était évidemment pas là…

 

Levez le capot et admirez mon âme

Bien que regrettant une tenue de cap perfectible à grande vitesse et la dureté de la direction — dépourvue d’assistance —, l’essayeur appréciait les qualités routières de l’auto à leur juste valeur : « En virage, la 328 demeure très longtemps parfaitement équilibrée et extrêmement simple à conduire. À l’extrême, une certaine tendance au sous-virage est susceptible de se manifester, l’autobloquant ayant inévitablement tendance à pousser tout droit (…) Et puis, dans les virages serrés, une utilisation énergique de l’accélérateur ne manquera pas d’inciter l’arrière à déboîter, la dérive restant la plupart du temps très contrôlable. » Au demeurant, c’est le moteur qui suscitait les commentaires les plus élogieux. « Non seulement sa puissance est de taille à satisfaire les plus exigeants mais le couple développé à tous les régimes en facilite l’exploitation dans des proportions considérables, comme en témoignent d’ailleurs les chiffres. Mais, dans l’absolu, que dire à propos d’un moteur qui accepte de reprendre en cinquième à 700 tours/minute, pour s’envoler ensuite jusqu’aux alentours de 8000 tours ? ». De fait, les 270 ch délivrés par le 3,2 litres n’amusaient pas le terrain et emmenaient la « petite » Ferrari jusqu’à plus de 260 km/h réels, le kilomètre départ arrêté étant abattu en un peu moins de 26 secondes. Il y a trente-cinq ans, de telles valeurs inspiraient le respect même si l’absence de certains dispositifs — tels que l’ABS, que le modèle recevra en option courant 1988 — devenait de moins en moins tolérable sur une voiture vendue plus de 400 000 francs. On était bien loin de la sophistication d’une Audi quattro Sport (il est vrai bien plus coûteuse encore) ou même d’une Porsche 928 qui, quant à elle, naviguait dans les mêmes altitudes tarifaires mais ne s’adressait pas tout à fait au même public.

Nous nous sommes tant aimés

Nettement plus courte que celle de sa devancière, la carrière de la 328 prit fin dès l’été de 1989, après avoir connu un grand succès : quatre ans lui auront suffi pour que plus de 8500 exemplaires sortent d’usine, versus environ 13000 308 en dix millésimes — ces chiffres incluant les versions à moteur deux litres élaborées pour le marché italien. Après elle, Ferrari bascula dans une modernité pas forcément bien maîtrisée, comme le démontrèrent les premières 348, dont l’esthétique se contentait de singer celle de la Testarossa et dont le comportement pouvait se montrer erratique, voire dangereux dans certaines circonstances. En dépit des insuffisances détaillées plus haut, la 328 clôtura avec panache une série fondatrice dans l’histoire de la marque qui, depuis lors, n’a jamais délaissé le concept défini au milieu des années 1960 — une sportive biplace à moteur central, plus accessible que les modèles à douze cylindres —, un concept que la 328 a merveilleusement incarné. Je dois le confesser, la grâce absolue de ce profil n’a pas cessé de me bouleverser depuis sa première apparition et, pour ce qui me concerne, depuis lors Maranello n’a pas fait mieux en termes de design à ce niveau de gamme. Bien entendu, si l’on s’intéresse aux performances pures ou au comportement routier, les progrès accomplis en quarante-cinq ans ne sont pas niables mais, au fil du temps, la mutation stylistique qui les a accompagnés s’est détournée de cette simplicité magistrale, due au talent de Leonardo Fioravanti, pour s’orienter vers une forme de tapage visuel qui ravit sans doute l’œil d’une certaine clientèle, mais pas le mien. Sculpture roulante dotée d’un moteur exceptionnel, la 328 n’a peut-être pas besoin d’autres arguments pour continuer de séduire, malgré le poids des années, la vulnérabilité exigeante de sa mécanique et les précautions que stipule son usage, à mille lieues de la tranquillité d’esprit des conducteurs de 911 Carrera. À la condition d’en accepter les préceptes et d’avoir un minimum de métier au volant, voilà une auto susceptible de vous procurer de grandes joies dont, vous l’aurez compris, sa contemplation au quotidien ne sera pas la moindre !

 





Texte : Nicolas Fourny

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