Ferrari 275 GTS/4 Spyder NART : un séduisant accident de l’histoire
« Si vous vous amusiez à dresser la liste des cabriolets à moteur 12 cylindres apparus depuis la guerre, vous n’y consacreriez pas beaucoup d’encre et, du reste, au départ Maranello n’avait pas prévu de développer une telle variante en partant de la 275 GTB/4 »
Il est des Ferrari plus rares que d’autres : supercars construites à quelques centaines d’exemplaires, carrosseries spéciales destinées aux têtes couronnées, à des milliardaires anonymes ou à des musiciens célèbres, etc. Toutefois, parmi ces voitures plus exceptionnelles que des sœurs pourtant éloignées du commun, certaines se distinguent plus puissamment encore. Tel est le cas de l’exquise décapotable élaborée sur la base de la berlinette 275 GTB/4, construite à dix exemplaires et dont la genèse mérite d’être contée dans sa singularité. Voilà en effet une création imprévue, une auto dont la naissance peut sembler logique avec le recul du temps mais qui ne correspondait pas aux plans initiaux de son constructeur et, en définitive, un avatar infiniment désirable car charriant de multiples fantasmes. Retour sur l’histoire fugitive et incandescente d’un des cabriolets les plus fascinants de l’histoire de Maranello…
Une rencontre après-guerre
Indéniablement, les États-Unis ont joué un rôle décisif dans l’histoire des Ferrari de route et c’est à Luigi Chinetti qu’on le doit. Pilote talentueux (il a gagné par trois fois au Mans) et brillant entrepreneur, le compatriote d’Enzo fait sa connaissance en 1946 alors qu’il a déjà émigré outre-Atlantique ; les deux hommes ne tardent pas à conclure un premier contrat qui va s’avérer fructueux — dès 1948, Chinetti livre sa première Ferrari. Mais celui qui restera dans l’histoire comme le premier et emblématique importateur de la marque en Amérique du Nord ne se contente pas, loin s’en faut, de ce rôle bien trop étroit pour un personnage d’une telle envergure. Fondateur du North American Racing Team (NART) en 1958, une écurie destinée à engager les voitures de Maranello dans des épreuves d’endurance, Chinetti va, en parallèle, considérablement influer sur la destinée de plusieurs modèles de série (sic). De la sorte, c’est par exemple sous son impulsion que va naître la 250 GT Spyder California, certainement l’une des Ferrari les plus désirables, toutes époques confondues (et dont l’un des 37 exemplaires à châssis court et phares carénés défraya la chronique lors de la vente de la collection Baillon, en 2015).
Le syndrome de Beethoven
Non content d’avoir contribué à l’avènement d’un tel chef-d’œuvre, Chinetti va récidiver en 1967 et, cette fois, il jette son dévolu sur la berlinette 275 GTB/4. Apparue à l’automne de 1964 dans sa première version à deux arbres à cames, la 275 GTB évolué profondément deux ans plus tard, tout en conservant son V12 de 3,3 litres — soit une cylindrée unitaire de 275 cm3, dictant selon la tradition l’appellation du modèle. Le « 4 » qui complète celle-ci correspond aux deux ACT supplémentaires, le nouveau moteur dérivant directement de celui des prototypes de course 275 et 330 P ayant couru durant la saison 1965. Doté d’une lubrification par carter sec et de six carburateurs Weber double corps, le douze-cylindres initialement dessiné par Gioacchino Colombo près de vingt ans auparavant développe désormais 300 chevaux à 8000 tours/minute, soit un gain de vingt chevaux par rapport à son prédécesseur. Au milieu des années 1960, ce sont des chiffres qui imposent le respect et il faut aller chercher des machines du calibre d’une Aston Martin DB6 ou d’une Maserati Ghibli pour pouvoir engager la conversation avec la Ferrari. Aux yeux de Chinetti, la 275 GTB/4 ressemble cependant à une symphonie inachevée, car il lui manque l’essentiel pour une part appréciable de la clientèle américaine : une version ouverte…
Je veux l’avoir et je l’aurai
… ouverte sur le soleil de Floride, du Texas ou de Californie, c’est-à-dire là où les Ferrari décapotables ont déjà su conquérir de nombreux amateurs (tout est relatif, n’est-ce pas), foudroyés — on les comprend — par l’irrésistible combinaison des nobles V12 et des joies ineffables de la conduite cheveux au vent. À ce moment-là, la firme italienne est la seule à se trouver en mesure de proposer une telle agrégation de béatitudes et il faut avoir, une fois au moins au cours de sa vie, éprouvé les sensations multiples que seul peut délivrer un tel équipage. Si vous vous amusiez à dresser la liste des cabriolets à moteur 12 cylindres apparus depuis la guerre, vous n’y consacreriez pas beaucoup d’encre et, du reste, au départ Maranello n’avait pas prévu de développer une telle variante en partant de la 275 GTB/4. Sa devancière y avait eu droit, mais sous la forme d’une 275 GTS construite à deux cents unités de 1964 à 1966 et dont les formes différaient sensiblement de celle de la berlinette dont elle partageait pourtant la plupart des caractéristiques. C’était sans compter avec l’ardeur créative du bon Luigi qui, en dépit d’engueulades aussi régulières que mémorables avec le Commendatore, parvient toujours à ses fins !
Si c’est un rêve, je le saurai
Ainsi, alors que la 275 GTS se voit remplacée par une 330 qu’Antoine Prunet, dans son ouvrage de référence Les Ferrari de route et de rêve, considère comme « embourgeoisée » avec son moteur 4 litres, Chinetti reste désireux de proposer un cabriolet au typage plus sportif ; quoi de mieux, pour ce faire, que la berlinette sommitale de la gamme ? Avec la complicité de Sergio Scaglietti, l’importateur obtient l’accord d’Enzo Ferrari pour la construction d’une (toute) petite série. C’est ainsi que naît une auto que l’on ne sait pas très bien nommer, son statut semi-officieux ne facilitant pas l’énoncé d’une nomenclature définitive. S’agit-il d’une 275 GTB/4 Spyder ou d’une 275 GTS/4 ? L’intitulé de cet article ne vaut pas jugement ; au demeurant, la postérité a de surcroît retenu le suffixe NART, dont le logo apparaît d’ailleurs sur la carrosserie d’une auto engagée en compétition dès sa naissance, ce qui constitue un bel hommage à la contribution de Luigi Chinetti, sans qui la légende du cheval cabré ne serait assurément pas tout à fait la même. Présenté au Salon de New York en avril 1967 et vendu 80 % plus cher que la berlinette, le Spyder n’atteindra pas les vingt-cinq unités prévues par Chinetti. De nos jours, sa beauté, sa légende spécifique et son extrême rareté en ont fait l’une des Ferrari les plus inaccessibles (pour mémoire, le châssis 10709 a atteint 27,5 millions de dollars chez RM Sotheby’s en 2013). Que cela ne vous empêche pas de rêver !
Texte : Nicolas Fourny