Daimler Chrysler : le mariage « raté » du siècle !
Dans notre série d’été « fusions manquées », nous avons abordé celle, avortée, de Renault et Volvo (lire aussi : L’échec de la fusion Renault-Volvo). Passons aujourd’hui à celle, consommée, de l’allemand Daimler-Benz et de Chrysler, fusion du siècle en 1998 et divorce du siècle en 2007 !
Lorsque Robert Eaton, PDG de Chrysler, et Jürgen Schrempp, PDG de Daimler, publièrent les bans du mariage du siècle, les marchés saluèrent l’initiative avec force : +15 % à la bourse de New York pour Chrysler, et +10 % à Francfort pour Daimler-Benz. En associant le chiffre d’affaire des deux marques, le nouveau groupe Daimler-Chrysler pesait alors 128,3 milliards de dollars : un mastodonte était né !
Sur le papier, la complémentarité était idéale : Chrysler, en force sur les monospaces, les véhicules funs ou design, tandis que Mercedes trustait les places d’honneur dans le haut de gamme, les véhicules sportifs ou de prestige ; Chrysler présent surtout aux Etats-Unis et Mercedes en Europe. Chacun allait pouvoir profiter de l’autre, et se tirer vers le haut. Du moins c’était ce que l’on croyait.
Si les chiffres d’affaires (68,9 milliards de dollars pour Daimler et 59,4 pour Chrysler) laissaient croire à une fusion à parité, les valorisations de l’un et de l’autre indiquaient le contraire : 52 milliards pour l’Allemand, contre 27 pour l’Américain ! D’ailleurs, plus que d’une fusion, il s’agissait d’un rachat, puisque Daimler-Benz investira 36 milliards dans l’affaire. En 2007, DaimlerChrysler redevenait Daimler AG, et Chrysler était cédé pour 5,5 milliards de dollars au fond américain Cerberus, avec soulagement pour tout le monde ! Malgré la sévère décote du constructeur américain et les pertes de l’opération, Daimler retrouvait sa liberté, et s’extirpait du bourbier américain !
Comment en moins de 9 ans la situation a-t-elle pu se retourner au point de transformer la noce des champions en déconfiture totale ? Il faut dire que le ver était dans le fruit dès le début. Car si la mariée américaine était belle en 1998, elle avait déjà perdu de sa superbe en 1999. Champion du monospace (avec notamment le Voyager), des voitures funs et bon marché, Chrysler a du subir une offensive sans précédent des constructeurs japonais ou coréens, proposant des produits aussi bons mais surtout moins cher, séduisant la clientèle traditionnelle des marques Chrysler et Dodge. Pour maintenir ses parts de marché, Chrysler s’est d’abord lancé dans une large opération « discount », rognant ses marges déjà faibles. Champion des 4×4 avec Jeep, le groupe n’a pas anticipé le retournement du marché vers des véhicules plus petits.
Jurgen Schrempp, PDG de Daimler, et CEO de Chrysler après la fusion !Pire, Chrysler était le champion du leasing, des locations de deux ans en moyenne impliquant la reprise des véhicules : l’américain se retrouvait ainsi avec des stocks de véhicules d’occasion invendables ou presque. Autant de foyers de perte que Daimler devait éponger. En outre, Daimler n’avait pas vraiment prévu d’avoir un boulet au pied en rachetant un constructeur américain : 18 milliards de dollars d’engagement pour les fonds de pension et de retraite. Sans compter les difficultés à négocier avec la toute puissante UAW (le syndicat des salariés de l’automobile).
Au delà de ces échecs purement commerciaux ou financiers, d’autres écueils expliquèrent l’échec du projet DaimlerChrysler. Comme pour Renault avec Volvo, les facteurs humains furent très importants, et contribuèrent à pourrir les relations entre allemands et américains. Entre une organisation très hiérarchisée, laissant peu de place à l’initiative, tournée vers la qualité et la performance, et une autre, plus ouverte, plus créative, mais sans doute moins rigoureuse, le courant ne passait pas du tout.
L’arrogance allemande, avec des cadres arrivant en terrain conquis, imposant des méthodes à la hussarde, renforçait encore plus le sentiment d’annexion chez les salariés américains qui n’adhérèrent jamais au projet. Malgré des projets communs intéressants, comme la Chrysler 300C, ou bien la Crossfire (lire aussi : Chrysler Crossfire), la mayonnaise ne montera jamais !
En 2007, Daimler préféra perdre de l’argent et retrouver son indépendance que continuer en pure perte. Pourtant Chrysler commençait à redresser la barre, après avoir supprimé la marque Plymouth (lire aussi : Plymouth Prowler), mais de l’action avait trop dévissé pour les investisseurs allemands, notamment la Deutsch Bank, principal actionnaire du nouvel ensemble. D’autant que Mercedes de son côté avait besoin d’un sacré redressement nécessitant toute les forces vives.
Tout le monde semble heureux de signer la fin du deal du siècle !La marque allemande conservait cependant, après la revente de Chrysler à Cerberus, 19 % du capital. Une part qu’elle dut se résoudre à perdre totalement lorsque Chrysler se mit sous la protection du Chapter 11 (loi sur les faillites). C’est finalement Fiat qui raflera la mise pour créer alors le groupe FCA. Les italiens et les américains étaient sans doute plus compatibles culturellement.
Pour Daimler, la leçon était claire : contrairement à Marchionne et ses rêves de grandeur sur les vestiges de DaimlerChrysler, l’indépendance était de mise pour l’allemand. En 2005, Daimler s’était aussi désengagé de Mitsubishi, désormais passé sous le contrôle de l’Alliance Renault-Nissan, allié ponctuel de… Daimler AG. En matière d’industrie automobile, rien n’est jamais figé !