Dacia Lastun: l'hirondelle roumaine ne prendra jamais son envol !
Lorsque j’ai découvert la Roumanie à la télévision, nous nous apprêtions à fêter Noël dans la grande maison familiale nichée à l’abri de la Cathédrale de Bourges. Au milieu des préparatifs de fête, je restais scotché devant la télévision, conscient de vivre des moments historiques : novembre de cette année 1989 nous avait déjà fait vivre la chute du Mur de Berlin, décembre nous proposait quasi en direct la révolution roumaine et la chute du dictateur Ceausescu. Les images nous donnaient une vision noire de la Roumanie, sans doute accentuée par ces gueules noires révolutionnaires, ces mineurs et ouvriers qui se révoltèrent à Timisoara.
En même temps que je rencontrais l’histoire avec un grand H, je découvrais l’automobile roumaine, si familière et pourtant si singulière. Derrière les manifestants, on pouvait voir des Dacia 1310, des 4×4 Aro ou des Oltcit Axel. Dans cette Roumanie communiste et dictatoriale, contrairement à certains autres pays frères de l’est de l’Europe, on aimait l’automobile au point d’avoir 3 marques différentes. Avouez que pour un pays qui alors comptait environ 15 millions d’habitants, c’était assez fort !
Avant de chuter lamentablement, le dictateur mégalo avait voulu doter son pays d’une industrie automobile solide, et indépendante. En Roumanie, on crevait de faim mais on produisait des bagnoles à gogo. D’ailleurs, Ceausescu s’occupait personnellement des affaires automobiles. Au début des années 80, il eut une vision ! Après avoir déplacé bon nombre de roumains dans les villes, et tenté de reconstruire un Bucarest utopique et moderne (en fait un cache misère, les façades cachaient souvent des ruines), le Conducator se piqua de doté son pays d’une petite voiture révolutionnaire, dédiée à la ville, entièrement conçue en Roumanie, qui offrirait à chaque roumain les joies de la mobilité.
C’est en 1982 qu’apparaît le premier prototype de la Dacia Lastun (Hirondelle en français), mais ce n’est qu’en 1988 qu’elle sortira enfin des chaînes de production de la société Tehnometal. Car malgré son blason Dacia, elle ne sera jamais fabriquée par la firme de Pitesti. Dotée d’un bicylindre de 499 cm3 développant 22,5 chevaux (oui Monsieur!), la Lastun ne devait consommer que 3,3 litres au 100 ! Sa carrosserie initialement prévue en acrylonitrile butadiene styrène (si si ça existe) fut finalement réalisée avec un polyester de qualité médiocre pour des raisons d’économie.
En 1989, un prototype d’une version rallongée, dotée de 4 places (au lieu de 2) et d’un coffre plus vaste, sera présentée à la foire commerciale de Bucarest. Elle ne sera jamais produite. De toute façon, la Révolution roumaine mettra à mal le projet, entre les grèves ouvrières de Timisoara (où elle était produite, je vous le rappelle) et la chute du dictateur (initiateur du projet), autant vous dire que le projet avait du plomb dans l’aile dès décembre 89 !
Elle souffrait en outre d’une qualité de fabrication déplorable, ce qui n’arrangea évidemment rien. La Lastun sera produite jusqu’en 1991, et vendue jusqu’à fin 1992, le temps d’écouler les stocks. En tout, 6532 exemplaires de cette petite hirondelle sortiront des chaînes. Quel succès ! Il est difficile de dire combien il en reste aujourd’hui, mais sans doute pas beaucoup. D’autant que cette Lastun, totalement inédite et 100 % roumaine disposait de pièces détachées spécifiques dont la fabrication s’arrêta dès 1991. La moindre casse rendait donc la voiture bonne pour la casse, ou pour le bidouillage. Aussi, si vous en croisez une à vendre (en Roumanie, car elle ne fut jamais exportée), sautez sur l’occasion de préserver un peu de patrimoine automobile !
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