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Citroën DS 23 : vraiment la meilleure ?

Par Nicolas Fourny - 28/07/2022

Le débat dure depuis bientôt cinquante ans : la meilleure DS est-elle la DS 21 ou bien la DS 23 ? Bien sûr, lorsque l’on compare leurs fiches techniques respectives, la controverse semble tranchée d’office : le volumineux quatre-cylindres avait en effet atteint, dans cette ultime version de la plus mythique des Citroën, un tel niveau de ressources que, grâce à lui, l’auto semblait indéfiniment pouvoir conserver sa place sur la file de gauche des autoroutes. Unanimement salué par la presse spécialisée de l’époque, ce réalésage ne suscite cependant pas un enthousiasme inconditionnel de la part des collectionneurs d’aujourd’hui. Essayons de comprendre pourquoi…

Comment dire adieu à l’avant-guerre

Avant d’entrer dans le vif du sujet avec la DS 23, une mise au point s’impose : comme notre ami Thierry Astier s’est longtemps évertué à le rappeler, la légende tenace selon laquelle la DS aurait conservé toute sa vie durant le moteur issu de la Traction ne résiste pas à un examen sérieux. Ceux qui s’obstinent à la colporter oublient — ou feignent d’ignorer — qu’à l’automne de 1965, le Quai de Javel consentit enfin à doter sa DS d’un groupe moderne. Oh, bien sûr, ce qualificatif ne correspond pas à des raffinements encore inimaginables à l’époque pour un constructeur généraliste, et la distribution du nouveau moteur conservait les principes de son devancier, avec un arbre à cames latéral qui ne risquait pas de sidérer les amateurs de sophistication mécanique. C’est plus bas, au niveau du bloc, que s’étaient opérés les bouleversements les plus significatifs : contrairement au moteur dessiné par Maurice Sainturat pour la première « 7 » en 1933, le 1 985 cm3 adoptait un vilebrequin à cinq paliers, tournant ainsi le dos à une désuétude technique qui, dix ans plus tôt, avait valu à la DS un certain nombre de quolibets du genre « voiture d’avant-garde, moteur d’avant-guerre ». Au vrai, le modèle devait initialement recevoir un six-cylindres à plat refroidi par air autrement plus ambitieux mais celui-ci, dû à Walter Becchia, ne réussit jamais à fonctionner correctement, contraignant Citroën à recourir in extremis à une peu glorieuse solution de repli. De fait, dans ses premières années, c’est bien le déficit de nervosité de la DS qui lui valut les critiques les plus acerbes : la finesse aérodynamique ne pouvait pas tout compenser et, au fil du temps, la concurrence ne restant pas inactive — on songe par exemple à l’avènement de l’injection sur la Peugeot 404, dès 1962 —, les 83 chevaux péniblement exhalés par le vieux groupe à trois paliers ne parvinrent plus à dissimuler leur obsolescence.

Quinze ans de progrès

Au sujet de la DS, Roland Barthes avait écrit : « On passe visiblement d’une alchimie de la vitesse à une gourmandise de la conduite. » Pourtant, en novembre 1969, l’Auto-Journal publia le premier essai de la DS 21 à injection. Sur le groupe dont la cylindrée avait atteint les 2175 cm3 au millésime 1966, Citroën avait greffé une unité électronique Bosch dont la sophistication s’étalait en toutes lettres sur la malle arrière. Avec 125 chevaux, la 21 « IE » ne faisait plus rigoler personne et retrouvait enfin son rang face à des rivales telles que la BMW 2000 Til’Alfa Romeo 1750, la Lancia Flavia 2000, la Rover 2000 TC ou la NSU Ro 80. Associée aux qualités routières proverbiales de la voiture, la puissance disponible, combinée à une très appréciable souplesse, réactualisait brillamment le concept, alors très peu répandu, de la grande berline à roues avant motrices. Sans équivalent dans la production française de l’époque — la Peugeot 504 à injection, encore cantonnée à son 1,8 litre originel, ne dépassait pas les 97 chevaux —, la DS portait allègrement ses quatorze ans et son comportement comme son confort postural pouvaient encore en remontrer à des modèles bien plus récents. Citroën revendiquait une vitesse maximale de 185 km/h pour son nouveau vaisseau amiral ; l’A-J atteindra 184,2 km/h sur l’anneau de vitesse de Montlhéry et louera les mesures de reprises, en très sensible amélioration par rapport à la nonchalance qui caractérisait la voiture depuis sa naissance. « Pourquoi le nier, c’est la révélation ! Quinze ans après, la DS est devenue une voiture homogène », écrira le célèbre bimensuel, avec un rien d’ironie…

À ce moment-là, la DS entame le dernier quart de son existence commerciale. Dans l’ombre, les études de celle qui devra plus ou moins lui succéder — le projet « L », qui aboutira à la CX en 1974 — ont déjà débuté. Mais l’auto conserve ses fanatiques et la demande ne faiblit pas, malgré le grand âge du modèle : jusqu’en 1973, la production se situera à des niveaux flatteurs (entre 80 et 100 000 unités annuelles). Comme en témoigne l’ouvrage d’Olivier de Serres, Le Grand Livre de la DS, paru en 1992 chez E.P.A., cette exceptionnelle longévité a tout autant découlé de la pertinence du concept que des innombrables modifications que la firme aux chevrons a su apporter à son modèle phare, millésime après millésime. De la sorte, à l’aube de la décennie 70, on aurait pu croire que la DS allait rester en vie de longues années encore, moyennant d’autres améliorations. Cela ne fut malheureusement pas le cas mais, avant de céder la place, l’immortelle création de Flaminio Bertoni, André Lefebvre et Paul Magès allait, en forme de chant du cygne, nous éblouir une dernière fois…

Un cœur qui grossit, une caisse qui dure

C’est en hommage affectueux à la mémoire d’André Costa que nous avons choisi cet intertitre ; ce sont ces mots que le célèbre journaliste plaça en tête de son premier essai consacré à la DS 23, en septembre 1972. La cylindrée des DS sommitales venait en effet de passer à 2347 cm3, par la grâce d’un nouveau réalésage à 93,5 mm. Laissons la parole à l’essayeur de l’Auto-Journal : « … il y a progrès, en nervosité et en souplesse surtout, mais il semble que le corps humain y soit plus sensible que le chrono car la DS 23 est devenue une voiture nettement plus agréable à tous les égards. Elle reste rapide mais elle est surtout beaucoup plus puissante à régime moyen, plus silencieuse et moins sujette aux vibrations. En augmentant la capacité thoracique de son moteur, Citroën a gagné sur tous les tableaux et tous les styles de conducteur y trouveront leur compte, du plus sportif au plus placide, qu’il conduise en ville, sur autoroute ou en montagne. Partout, la 23 a gagné un aplomb et un moelleux qui la font monter d’un cran dans la hiérarchie de la voiture de tourisme rapide et confortable. » Pourtant, dans l’absolu, ni la puissance (plus 5 chevaux) ni le couple (plus 1,2 mkg) ne semblaient avoir progressé de façon déterminante par rapport à la 21. Et si, en ce temps où la course à la performance et à la vitesse maxi la plus élevée comptait encore beaucoup dans les conversations entre amateurs — qui n’hésitaient pas à comparer longuement leurs moyennes-horaires entre Lamotte-Beuvron et Pornichet —, l’écart entre les deux variantes pouvait encore apparaître comme significatif, il perd évidemment une bonne part de son importance dans une optique « collection »…

L’éternité n’est pas de trop

De nos jours, la 21 et la 23 comptent chacune leurs adeptes. À la condition de leur accorder l’entretien qu’ils méritent, ces modèles ont en commun un niveau de fiabilité qui rend envisageable un usage quotidien : leurs moteurs leur confèrent un niveau de performances compatible avec le trafic actuel, et le « liquide vert » apparu en août 1966 a réglé la plus grande partie des caprices hydrauliques de l’engin. Les deux groupes sont très solides et la pompe à eau, qui peut déclarer forfait dès 80 000 kilomètres, constitue la seule faiblesse (relative) que l’on peut éventuellement leur reprocher. On l’a vu, l’agrément d’utilisation du moteur 23 n’est pas niable mais, au demeurant, une DS 21 (y compris dans sa version à carburateur) n’est pas loin de le tutoyer, l’amplitude entre les deux n’étant pas considérable. Et, lorsqu’on examine la cote de La Vie de l’Auto, on comprend aisément pourquoi bien des amateurs continuent de s’orienter vers la 21 : dans sa version à injection, celle-ci vaut aujourd’hui 28 000 euros en finition Pallas, tandis que la 23 identiquement configurée atteint les 35 000 euros. Voilà une différence de prix qui a de quoi faire réfléchir, tout en gardant à l’esprit le fait que ces valeurs sont copieusement dépassées dans certaines transactions, notamment lorsque sont mises en vente des autos restaurées par des professionnels de haut niveau. Les projets de ce type ne manquent pas et, s’ils ont largement contribué à tirer les prix vers des altitudes que d’aucuns regrettent — surtout en France, comme d’habitude —, ils vont dans le bon sens : celle de la préservation d’un patrimoine dont les survivantes ne sont pas si nombreuses que cela. Il est des mythes qu’il faut savoir sauvegarder…

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