Dans l’industrie automobile, d’une manière générale l’improvisation et la spontanéité n’ont pas leur place. Les plans-produits sont définis au millimètre avec six ou sept ans d’avance sur le marché et, compte tenu des enjeux financiers et industriels qu’ils recèlent, on comprend aisément que les grands constructeurs ne puissent faire preuve de la même agilité que les petits artisans. C’est pourquoi il est très rare de voir apparaître, en cours de vie d’un modèle, des variantes absentes du programme validé au départ ; et le coupé Z3 relève bien de cette catégorie d’automobiles élaborées de façon fortuite, la plupart du temps privées de descendance directe et qui ont pourtant laissé une trace indélébile dans la mémoire des amateurs. En particulier lorsque ceux-ci s’intéressent aux versions les plus sulfureuses – en l’espèce, nous voulons bien entendu parler du fantasmatique M Coupé qui, vingt-cinq ans après son apparition, mérite amplement sa place en collection !
Hiroshima, mon amour
Rendons à Mazda ce qui lui appartient : sans la MX-5, il n’y aurait probablement jamais eu de BMW Z3. Lorsque la firme japonaise commercialise son petit roadster, en 1989, la surprise est totale – et c’est un coup de maître. Les Japonais ont visé juste en ressuscitant un concept que l’on croyait pour de bon mort et enterré : celui du roadster à propulsion, animé par des mécaniques simples, léger, sans les emmerdements couramment rencontrés par les possesseurs de cabriolets britanniques ou italiens et, en premier lieu, tout entier orienté vers le plaisir de conduire. Une préoccupation depuis longtemps familière aux dirigeants de BMW : à Munich, on a même fait du Freude am Fahren le slogan de la marque. Après une longue éclipse, depuis le mitan des années 1980 le constructeur bavarois propose de nouveau des cabriolets à son catalogue, établis sur la base de la Série 3 ; mais il s’agit de décapotables à quatre places, relevant d’une autre philosophie que la Miata – laquelle, chacun le comprend très vite, vient d’initier une tendance de fond. L’époque est faste pour BMW qui, hormis la Série 8, accumule les succès commerciaux et rémunérateurs. Surtout, l’entreprise envisage déjà de s’implanter aux États-Unis en y édifiant une usine permettant de renforcer la rentabilité des modèles diffusés outre-Atlantique. Il est donc rapidement décidé de réfléchir à la traduction maison du concept dépoussiéré par Mazda…
Entre E30 et E36
Bien sûr, il n’est pas question de s’en aller concurrencer frontalement le roadster nippon, BMW évoluant traditionnellement à un autre niveau. Toutefois, et à l’instar de la Série 3 E36 dans sa version Compact, les responsables du projet vont délibérément s’orienter, à certains égards, vers une forme de rusticité technique à laquelle Munich ne nous avait guère habitués. C’est ainsi que le train arrière du roadster reprend les principes de feue la E30, qui n’était déjà plus de première jeunesse lors de l’apparition d’icelle treize ans auparavant. Revêtue d’une robe suggestive due au designer Joji Nagashima (qui trouva le temps de dessiner la carrosserie de la Safrane lors de son bref passage chez Renault), la Z3 respecte jusqu’à la caricature les codes du roadster classique (capot interminable, habitacle strictement biplace et quasiment posé sur l’essieu postérieur) tandis que, paradoxalement, son appellation renvoie directement au confidentiel et très avant-gardiste Z1 (le « Z » signifiant « Zukunft », c’est-à-dire avenir dans la langue de Hermann Hesse). En fait d’avenir, ce sont plutôt les schèmes du passé que la nouvelle BMW semble convoquer, mais le succès est très vite au rendez-vous, porté par une physionomie unanimement saluée, une apparition brève mais remarquée dans GoldenEye – le premier James Bond de Pierce Brosnan – et, surtout, des tarifs étonnamment contenus pour un modèle de la marque.
De la mièvrerie à la brutalité, il n’y a qu’un pas
La version la moins onéreuse, il est vrai motorisée par un modeste quatre-cylindres de 115 ch, est ainsi accessible dès 154 900 francs (environ 34 500 euros de 2022), alors qu’à l’automne de 1996 il faut par exemple compter 199 000 francs pour s’offrir une Mercedes-Benz SLK 200 ou encore 173 900 francs pour rouler en Peugeot 306 cabriolet 2 litres. Si cette politique tarifaire (facilitée tant par certaines des options techniques retenues que par la production sur le sol états-unien, en Caroline du Sud pour être précis) favorise la réussite commerciale de l’engin, des voix ne tardent cependant pas à s’élever pour réclamer des moteurs plus ambitieux et davantage conformes à l’idée que l’on se fait d’une authentique BMW – d’autant que, sur les étagères de la firme, ce ne sont pas les six-cylindres qui manquent… Si les férus de pilotage veulent du sport, on peut donc leur en donner à foison et, dès 1997, l’inoffensive décapotable germano-américaine se mue soudainement en dragster ! Car Munich n’a pas fait dans la demi-mesure et a carrément greffé, sous le capot de la frêle Z3, le 6 cylindres S50B32 de la M3 3,2 litres… Avec ses 321 ch et ses 350 Nm (sauf, ironie du sort, sur le marché nord-américain, sensiblement moins bien traité en la matière au début) l’auto ne fait plus semblant et s’apparente à une sorte de muscle car réinventé à la sauce européenne. Avec ses voies élargies abritant des pneumatiques adaptés, la Z3 M (dont l’appellation officielle est simplement « M Roadster ») tourne résolument le dos à la relative discrétion comme à la sophistication de la M3 contemporaine, pensée comme une sportive utilisable tous les jours. Car les trains roulants, quant à eux, n’ont été que très modérément actualisés ; la maîtrise de l’engin, en particulier sur le mouillé, exige donc un minimum de métier…
Du roadster au coupé
En parallèle, une petite équipe opérant sous la férule de Burkhard Göschel travaille quasi clandestinement à la mise au point d’une version fermée de la Z3, dont la rigidité torsionnelle ne constitue pas la première des qualités, ce qui ne pose guère de problèmes dans le cas des motorisations les plus calmes, mais peut dégrader les conditions du pilotage au volant de la version M, dont la caisse souffre très vite sous la contrainte d’une conduite active. Or, on l’a vu, dans ses prolégomènes l’auto n’a pas du tout été prévue pour recevoir un toit ; et de surcroît les architectes du coupé ne vont pas se cantonner, comme on a pu le voir parfois (cf. la Fiat 124 Abarth), à souder un hard-top sur la caisse de l’auto ; ils vont au contraire entièrement redessiner la partie arrière de la carrosserie, ce qui va dicter cette silhouette si particulière, assez proche, dans l’esprit, de celle d’un « coupé-break », voire d’un shooting brake à la façon d’une Lancia HPE, d’une Reliant Scimitar… et pourquoi pas d’une Touring de la série 02 ! Là s’arrêtent néanmoins les comparaisons formelles car, à la vérité, le coupé Z3, commercialisé au début de 1998, ne ressemble à rien de connu, ni chez BMW ni ailleurs. Un examen superficiel de l’engin pourrait faire croire aux plus distraits qu’il s’agit d’une 2+2, mais il n’en est rien ; la Z3 fermée se cantonne aux deux places d’origine mais profite de sa mue pour proposer un espace de chargement plutôt inhabituel dans ce genre de voiture, le coffre totalisant 210 litres. Mais, comme on s’en doute, tel n’est pas la principale motivation d’achat de l’auto, que l’absence de rivale directe cantonne à une certaine marginalité…
Frimeurs s’abstenir
À l’embourgeoisement progressif des coupés E36 puis E46 (le coupé Z3 sera produit jusqu’à l’été 2002), la petite brute de la gamme répond par un typage substantiellement différent, que la version M pousse à son paroxysme. À bord, en dépit d’un cuir généreusement distribué, les matériaux sont moins élégants que dans les autres BMW de l’époque ; le design du mobilier semble s’être échappé des années 1980 et la qualité des accostages plongerait un ingénieur Lexus dans le désespoir le plus absolu. De fait, les 6291 coupés M assemblés en un peu plus de quatre ans de production ne représentent qu’environ 2 % de toutes les Z3 construites (à titre de comparaison, rappelons que le coupé M3 E36 a trouvé plus de 46 000 acquéreurs entre 1992 et 1999). La M Coupé s’adresse à une frange très particulière de la clientèle BMW, celle à qui l’absence d’ESP et le fait de devoir domestiquer jusqu’à 325 ch transmis au sol par le truchement de liaisons au sol antédiluviennes ne font pas peur – bien au contraire, ces conducteurs-là sont encore capables d’apprécier la griserie et le danger d’une conduite sans filtre déjà anachronique il y a deux décennies, seuls l’ABS et l’autobloquant pouvant prêter main-forte au conducteur. Hormis l’adoption du moteur S54 en 2001 (pour un gain de puissance limité à 4 ch), la définition technique de l’auto est demeurée inchangée, de même qu’aucun restylage n’est venu compromettre ses allures atypiques de clown shoe, comme les Américains l’ont gentiment surnommée. La Z4 Concept Touring Coupé, vue récemment à la Villa d’Este, pourrait en incarner la descendance, si BMW se laisse tenter par une production en petite série. Quoiqu’il en soit, voilà un bel hommage rendu à l’un des modèles les plus charismatiques de la firme à l’hélice, encore accessible qui plus est… mais sans doute plus pour longtemps !
Texte : Nicolas Fourny