L’avez-vous remarqué ? Les objets les plus inutiles sont souvent les plus captivants. Il en va ainsi des montres à tourbillon, des tableaux de LeRoy Neiman ou de certaines élucubrations issues des bureaux d’études les plus fertiles en matière de construction automobile. Et, indéniablement, la BMW Z1 est un cas d’école incontournable, avec ce particularisme absolument unique que constituèrent, quelque temps durant, ses fameuses portières escamotables engendrant des sensations de conduite très spécifiques. Innovation marquante pour les uns, gadget sans lendemain pour les autres – et, malheureusement, l’objectivité nous commande d’écrire que ce sont ces derniers qui avaient raison : plus jamais BMW (ni aucun de ses concurrents, d’ailleurs) ne renouvela l’expérience –, les très originaux ouvrants de la Z1 moururent avec elle et, pour les collectionneurs d’aujourd’hui, ils constituent la principale attraction du modèle. Pourtant, ainsi qu’on va le voir, l’auto recèle bien d’autres détails dignes d’intérêt…
Le réveil de Munich
Comme bien d’autres amateurs, je conserve pieusement les numéros de feue la revue Automobiles Classiques et, quand je relis ceux de la seconde moitié des années 1980, je reste toujours songeur en constatant la créativité débridée qui caractérisa cette période ô combien féconde pour bien des constructeurs, qu’ils aient été européens, américains ou japonais. Et, en l’espèce, la contribution de BMW ne fut pas la moins significative. Après une séquence un peu creuse au début de la décennie, marquée par le lancement de modèles décevants à certains égards (la Série 5 E28 par exemple, trop conservatrice et très vite ringardisée par la concurrence), la firme à l’hélice s’est brillamment rattrapée par la suite, se livrant même à un véritable feu d’artifice technologique tout en renouvelant un design qui semblait figé pour l’éternité dans les remugles des seventies. La première M3, le cabriolet Série 3 E30, l’époustouflante Série 7 E32 – nantie par surcroît du premier V12 allemand de l’après-guerre, brûlant ainsi la politesse à Mercedes –, la Série 5 E34 ou la Série 8 E31 se chargèrent ainsi de rappeler que, de l’autre côté du Rhin, le savoir-faire et la créativité ne concernaient pas uniquement les ingénieurs de Stuttgart, de Weissach ou d’Ingolstadt…
Le premier roadster punk
À l’automne de 1987, BMW aborde en pleine forme le Salon de Francfort. C’est la marque à la mode ; le catalogue ne cesse de s’étendre et, depuis deux ans, comporte notamment le cabriolet Série 3 E30 mentionné plus haut – sans conteste l’une des plus jolies décapotables de son temps, adulée notamment par les yuppies de New York ou de Los Angeles, sur lesquels le krach du mois d’octobre ne va toutefois pas tarder à s’abattre. Pourtant, depuis 1985, la division BMW Technik GmbH, chargée par sa maison-mère d’explorer des voies nouvelles à l’écart des processus de développement traditionnels du constructeur, élabore, dans un secret très relatif – des photos de prototypes roulants sont publiées très tôt dans la presse spécialisée avec l’aval de BMW –, une autre décapotable, plus précisément un roadster aussi éloigné que possible du cabriolet Série 3, à la ligne très pure mais de facture extrêmement classique. Dessiné sous la férule de Harm Lagaay, l’engin, dévoilé officiellement dans sa version définitive dans le cadre d’un IAA dont il constitue l’une des attractions majeures, stupéfie le public par la radicalité de son design, trapu, compact et tout entier dédié au fameux Freude am Fahren si cher à la marque. Baptisée Z1, ce qui signifie Zukunft 1 – c’est-à-dire « avenir n°1 » –, la nouvelle BMW fait également sensation par la plus visible de ses innovations ; l’auto est en effet dotée, en première mondiale, de portières coulissantes verticalement !
BMW fabrique aussi des mautos
À l’instar de la regrettable Peugeot 1007 – il est inutile de rigoler –, la Z1 a été entièrement conçue autour de la cinématique de ses portières mais, contrairement à la voiture française, ce particularisme n’a heureusement pas gâché le dessin de la voiture, dont la carrosserie est constituée de panneaux en plastique posés sur une structure en acier. À ce sujet, ouvrons une brève parenthèse pour noter que, depuis l’adoption déjà lointaine des portes battantes, stylistes et ingénieurs se sont fréquemment évertués à imaginer des solutions alternatives, qui ont parfois même atteint le stade de la production en (petite) série – telle la Kaiser Darrin de 1954 – ou, le plus souvent, en sont restés au stade du concept car – comme l’Opel GT2 de 1975. Mais rien n’y a fait : les ouvrants classiques ont continué de s’imposer dans l’immense majorité des cas, et les portes coulissantes (horizontalement) n’ont réellement connu de succès qu’à l’ère du triomphe des monospaces et ludospaces. Il n’empêche qu’il y a trente-sept ans comme aujourd’hui, la Z1 fascine avant tout par ses embryons de portières, qui coulissent électriquement pour s’effacer avec élégance dans les bas de caisse de l’auto. Mieux : ce mouvement n’est pas uniquement destiné à permettre l’accès à l’habitacle ; la plus petite BMW de l’époque (3,92 mètres de long) est homologuée pour rouler portes ouvertes, engendrant de la sorte une expérience de conduite se rapprochant de celle d’une moto et absolument sans équivalent dans la production mondiale !
Jusqu’au plus haut de l’essieu
Par-dessus le marché, alors que toutes les autres BMW de ce temps-là cultivent soigneusement leur air de famille, la Z1 surprend aussi par un dessin clivant et résolument étranger aux codes habituels du constructeur bavarois. Supprimez le double haricot de calandre et les logos, et le profane aura bien du mal à identifier le modèle le plus atypique que Munich ait commercialisé depuis l’Isetta en 1955. Pour autant, il suffit de monter à bord pour retrouver l’atmosphère typique des modèles de la firme – même si, de façon surprenante, la planche de bord a perdu son cintrage caractéristique. Si le bloc instrumental se singularise par un tachymètre et un compte-tours aux diamètres différenciés (geste esthétique purement gratuit, mais ça renforce le côté concept car), les conducteurs de Série 3 contemporaines ne seront pas dépaysés par l’environnement, qui recycle sans vergogne bon nombre de composants issus de la E30. C’est également le cas sous le capot, qui reprend sans modification le six-cylindres M20B25 2,5 litres de 170 ch apparu dans la 325i en 1985 – mais ici, le moteur est implanté en position centrale avant, dictant ainsi un meilleur équilibre des masses. Pour leur part, les liaisons au sol s’avèrent plus intéressantes à étudier car, si la E30 a prêté à la Z1 son train avant, c’est avec ce modèle qu’apparaît le fameux essieu arrière multibras en « Z » que l’on retrouvera dans de nombreuses autres BMW par la suite.
Le prix de l’exclusivité
En 1995, BMW présente la Z3 et, si le nom du nouveau petit roadster munichois évoque toujours le fameux Zukunft, son design comme ses caractéristiques techniques en font l’antithèse de la Z1 et renvoient plutôt au passé – avec, en premier lieu et afin de contenir les coûts, le retour à l’essieu arrière hérité de la E30… À cette aune, et même si les Z4 ultérieures renoueront avec une certaine sophistication, il est permis d’écrire que la Z1 n’a connu aucune descendance directe. Produite à exactement 8000 unités jusqu’à l’été de 1991 (dont 74 voitures préparées par Alpina sous le nom de Roadster Limited Edition), l’auto est affichée à un tarif élitiste – elle coûte 50 % plus cher qu’un cabriolet 325i et 30 % plus cher qu’une M3 pourtant bien plus performante –, ce qui la cantonne à une certaine marginalité, susceptible de renforcer encore son potentiel de séduction auprès d’une clientèle éprise d’exclusivité. De nos jours, la rareté et l’originalité d’une machine plus proche d’un concept car que d’un véhicule de grande série, et si singulière dans l’histoire de son constructeur, attirent les connaisseurs que ne découragent pas des performances somme toute quelconques si on les rapporte au prix de vente de l’engin durant sa brève carrière commerciale comme à sa cote actuelle – sur le marché allemand, les plus beaux exemplaires dépassent fréquemment les 70 000 euros. Cher pour 170 ch, pesteront les grincheux – mais, en définitive, c’est plutôt abordable pour une automobile aussi exceptionnelle !
Texte : Nicolas Fourny