Bitter SC : l'Opel de luxe
La Bitter SC est l’une de mes voitures favorites. Sûrement à cause de sa relative discrétion dans le paysage automobile et dans la mémoire collective, ou bien de sa rareté, voire de sa ligne élégante la rapprochant d’une Ferrari 400 (lire aussi : Ferrari 365/400/412). La Ferrari et la Bitter auraient pu faire à elle deux la meilleure voiture du monde, joignant la joie du moteur italien à la qualité et la fiabilité de l’allemande. La Bitter SC ne connaîtra pourtant qu’une diffusion confidentielle, la faute sans doute à un prix trop élevé pour une puissance un peu juste.
La petite entreprise allemande fondée par Erich Bitter au début des années 70 commença par importer en Allemagne la marque italienne Intermeccanica (lire aussi : Intermeccanica Indra), soutenue par General Motors. Cette sportive à la mécanique Opel ou Chevrolet donna des idées à Erich Bitter : produire sa propre sportive sur base Opel. L’homme est habile, et saura manoeuvrer au sein du groupe GM pour commercialiser son coupé CD dans les concessions du blitz en lieu et place de l’Itermeccanica Indra.
Entre 1973 et 1979, 395 exemplaires du coupé CD furent vendus. En 1978, Opel présentait la Senator, et Bitter se mit au travail pour en proposer sa version coupé, qui remplacerait avantageusement la CD avec une ligne plus moderne (et plus carrée, il faut le dire). Pour sa nouvelle voiture, Bitter partira d’un dessin qu’il avait lui même réalisé quelques années plus tôt. Le design sera ensuite retravaillé par deux stylistes d’Opel, Henry Haga et Georges Gallion, puis finalisé par l’italien Michelotti. Les essais en soufflerie furent réalisés chez Pininfarina, en Italie.
La conception de la voiture demandera un investissement de 8 millions de DM, une somme que Bitter n’avait pas : il fera appel à des investisseurs privés, dont un riche industriel suisse, alléchés par les perspectives et le soutien de General Motors. Pour Opel, c’était un moyen simple de coiffer sa gamme d’un modèle plus luxueux, Bitter devenant une sorte de déclinaison premium de la marque allemande. L’idée n’était en soi pas mauvaise.
Le coupé fut présenté en 1979 sous le nom de Bitter SC, mais il n’entrera pas en production avant le début des années 80. Cela posa un problème industriel à la petite firme allemande. Pour la CD, c’était le carrossier Baur (lire aussi : Carrosserie Baur) qui réalisait les carrosseries ensuite assemblées aux éléments mécaniques chez Bitter à Schwelm. Mais la CD fut stoppée en 1979, et pendant 2 ans, il n’y eut aucune Bitter de produite, si bien que Baur mit un terme au contrat pour se concentrer sur d’autres productions. Pour produire la SC, il fallut envisager une autre solution qui s’avérera bien coûteuse.
C’est en Italie que Bitter décida de faire produire ses carrosseries et ses intérieurs. Le turinois ORCA fut d’abord chargé des carrosseries, sous la houlette d’une filiale, Bitter Italia. Mais après 79 carrosseries produites, Erich Bitter s’aperçut de la mauvaise qualité de l’acier, en fait recyclé par l’italien. Il changea donc de crémerie, se tournant vers un autre turinois, Maggiora (que l’on connaît mieux pour avoir fabriqué les dernières Lancia Delta dans les années 90, lire aussi : Lancia Delta HF 4WD Integrale). En 1983, limité à une voiture par semaine à Schwelm, Bitter décida de confier l’assemblage des carrosseries et des composants Opel à Steyr-Daimler-Puch, en Autriche, pour un rythme de 3 à 4 voitures par semaine, avant d’en récupérer à nouveau la production en 1985 suite à la baisse drastique des ventes.
La Bitter SC recevait à l’origine le L6 Opel de 3 litres et 177 ch, mais le 3.9 litres de 207 chevaux étaient aussi proposé, en option. Mais rapidement, la majorité des clients choisit le L6 3.9, rendant le 3 litres accessoires (et donc le plus rare aujourd’hui). Mécaniquement, tout était identique à la Senator, exceptées les suspensions, retravaillées pour être adaptées à une répartition des masses différente.
Les débuts encourageants de la SC ouvraient de nouveaux horizons à Erich Bitter, qui décida alors d’élargir la gamme. En 1982, il présentait une version cabriolet 4 places du plus bel effet. En 1984, c’était au tour de la berline, à mes yeux superbe, d’être présentée au public. Bitter proposa aussi une version 4 roues motrices du coupé, grâce au même système Ferguson déjà vu sur la Jensen Interceptor FF (lire aussi : Jensen Interceptor): seuls deux exemplaires reçurent ce raffinement ultime.
Au total, Bitter construisit, entre 1981 et 1986, 461 coupés SC (dont 2 à transmission intégrale), 22 cabriolets, et 5 berlines Sedan seulement. Il faut dire que le coût d’acquisition de ces Bitter était assez faramineux, tout cela pour un modèle certes très bien fabriqué, fiable et luxueux, mais dérivant de la grande série, une grosse GT sans ambition sportive pour un sou, surtout dans sa version BVA à 3 vitesses. Trop chère, pas assez distinctive, elle loupa aussi le coche d’un marché adapté : les Etats-Unis.
Pourtant, GM eut l’idée d’y importer cette grande allemande élégante, capable de rivaliser avec les autres marques germaniques sur le terrain du haut de gamme « à l’européenne ». En 1984, les américains tentèrent donc d’imposer la Bitter SC en la proposant dans le réseau Buick, mais sans s’en donner les moyens : seuls une douzaine de concessionnaire, essentiellement basés sur la côte Est, acceptèrent de distribuer le modèle qui s’avéra invendable. Plus cher qu’une Porsche 911, elle côtoyait dans les show-rooms la Buick Regal Grand National, plus récente, et surtout beaucoup plus abordable pour une puissance équivalente. Seuls quelques exemplaires de la SC trouvèrent preneurs aux Etats-Unis.
La SC sera la dernière Bitter produite en série. En 1988, Erich Bitter tenta de lancer sa Type 3, sans succès, avec seulement 5 exemplaires vendus. La marque, pendant des années, jouera le come-back, avec des concepts comme la Tasco en 1991 ou la Berlina en 1996 (une superbe voiture basée sur l’Opel Omega, sans suite). Après avoir tenté de vendre des Holden Caprice re-carrossées (la Vero en 2007-2008, produite à 10 exemplaires), Bitter s’est recentré sur des déclinaisons « luxueuses » et parfois au goût douteux d’Opel Insignia (lire aussi : Bitter Insignia) ou d’Opel Adam.
Aujourd’hui, Bitter habille luxueusement des Opel Adam ou InsigniaAujourd’hui, il existe une communauté active et amoureuse de la marque qui entretient et bichonne ses CD ou SC. On en trouve régulièrement à la vente, à des tarifs variables : accessibles si l’on est un fanatique de la marque, ou excessifs si l’on est juste à la recherche d’un modèle original. A vous de voir, mais sachez qu’une Bitter s’entretient sans souci dans le réseau Opel, ce qui est en soi un gros avantage pour une voiture semi-artisanale !