Comme chacun sait, Sa Majesté Charles III est, depuis sa jeunesse, un écologiste militant. Mais il est aussi un amateur éclairé en matière d’automobiles – comme quoi ces deux inclinations ne sont pas incompatibles… – et, à ce titre, entretient en particulier une relation affective avec les Aston Martin. En l’espèce, son cabriolet DB6 est sans conteste l’une des voitures les plus célèbres du Royaume-Uni, et le fait que son illustre propriétaire l’ait possédée sans interruption depuis plus d’un demi-siècle en a forgé la popularité. La Volante princière puis royale est devenue indissociable du destin de Charles, héritier de la Couronne pendant soixante-treize ans, monarque tardif au destin pour le moins mouvementé mais qui, de temps à autre, se remet au volant de son auto favorite, pour des balades qui, lorsqu’elles sont publiques, suscitent toujours la convoitise des photographes. Bref, si un jour quelqu’un vous demande votre définition d’un véhicule historique, ce n’est pas le plus mauvais exemple…
Fin de partie pour une légende
Peu de temps après avoir été officiellement intronisé comme prince de Galles, en 1969, à l’orée de ses vingt-et-un ans, Charles reçoit en cadeau d’anniversaire par sa mère une Aston Martin DB6 Volante MKII de couleur Seychelles Blue, immatriculée EBY 776J. Lancée à l’automne de 1965, la DB6 apparaît, avec le recul du temps, comme un modèle de transition destiné à faire patienter la clientèle en attendant la « vraie » nouveauté que sera la DBS dévoilée deux ans plus tard et, plus encore, la variante à moteur V8 d’icelle, qui ne sera prête qu’en 1969. La DB6 incarne l’ultime avatar d’une lignée fameuse de coupés et de cabriolets de grand tourisme étrennée par la DB4 commercialisée en 1958 et dont la DB5 constitue le climax, auréolée d’une gloire cinématographique inespérée grâce aux exploits de l’agent 007. Ainsi, au milieu de la décennie 60, l’Aston Martin la plus célèbre de l’histoire de la firme semble avoir tout pour elle, qui tutoie les Ferrari et Maserati en termes de performances, surpasse le prestige de la Jaguar Type E (il est vrai qu’elle coûte deux fois plus cher) et propose un agrégat inégalé d’élégance, de brutalité subtile, sans oublier les clins d’œil latins d’une carrosserie dessinée chez Touring. Pour autant, les choses se gâtent dès 1966, quand la Maserati Ghibli, dont le design annonce déjà les années 1970, fait vieillir d’un coup ses rivales plus anciennes, qu’il s’agisse de la Ferrari 275 GTB ou de la DB6, dont les rondeurs semblent soudain terriblement datées.
Les derniers feux du six-cylindres
Chez Aston, la future DBS est déjà en chantier et, pour sa part, la DB6 n’est somme toute qu’une DB5 actualisée, les principales modifications concernant la partie postérieure de l’auto, rallongée de cinq centimètres afin de ménager deux places arrière plus acceptables ainsi qu’un coffre plus logeable, lequel se trouve affublé d’un embryon de becquet qui ne s’entend pas forcément très bien avec la physionomie générale de l’engin. Sous le capot, c’est bien entendu le six-cylindres dessiné par Tadek Marek qui officie. Par rapport à la DB5, le groupe n’a pas changé ; il développe toujours 282 ch pour une cylindrée exacte de 3995 cm3, la version Vantage disposant de 43 ch supplémentaires. Pour cette dernière, Aston revendique une vitesse maximale de 250 km/h, ce qui situe la DB6 en net retrait de ses concurrentes, qu’elles soient animées par des V8 ou des V12 – nous songeons à la Ghibli 4,7 litres (310 ch) ou à la 275 GTB/4 (300 ch). Dans l’absolu, et à moins d’être un obsédé du chronomètre, le « six pattes » britannique ne démérite pas, mais se cantonner à cette architecture devient de moins en moins tenable à une époque où Jaguar fourbit son propre douze-cylindres. Dû lui aussi à Tadek Marek, le futur V8 Aston n’équipera jamais la DB6 de série – mais la voiture servira de « mulet » pour sa mise au point. Le modèle vivra jusqu’à la fin de 1970, et sa disparition sonnera également le glas des Volante (c’est ainsi que, depuis les ultimes DB5, l’usine désigne ses décapotables).
Quelque part entre Jaguar et Rolls-Royce
On connaît l’attachement immodéré et contre-intuitif de nos amis d’outre-Manche pour les cabriolets, qui surprend toujours les philistins qui ne conçoivent de rouler cheveux au vent que par beau temps. Très longtemps durant, les Anglais ont su préserver cette tradition – les sportsmen authentiques mettant un point d’honneur à ne jamais déplier leur capote, quelles que soient les conditions climatiques – et, en 1966, les catalogues des constructeurs locaux regorgent littéralement de décapotables, roadsters et autres découvrables, à tous les prix, de la MG Midget aux toutes fraîches Rolls-Royce et Bentley établies sur la base des berlines Silver Shadow/T-Series. La DB6 Volante se situe encore assez loin de ce pinacle ; l’auto est alors facturée 82 500 francs (environ 120 000 euros de 2023), versus 180 000 francs pour la Bentley, 40 700 francs pour un roadster Jaguar Type E et 78 000 francs pour une Ferrari 330 GTS. Contrairement à la princesse Anne, qui succombera aux charmes plus roturiers de la Reliant Scimitar, Charles ne transige pas avec son rang – il accordera d’ailleurs son Royal Warrant of Appointment à la firme de Newport Pagnell à partir de 1982. La DB6 la plus connue du royaume va dès lors l’accompagner en bien des occasions – une DB6 Volante MKI verte interprète d’ailleurs son rôle dans The Crown, notamment lors de la première rencontre du prince avec Diana Spencer. Dans la vraie vie, une photo célèbre prise en 1987 montre la princesse de Galles attendant son époux, à la fois chic et désinvolte, négligemment assise sur le capot de la Volante.
Du vin et du fromage
À peine sorti de l’adolescence quand il en a pris possession, Charles, à présent devenu un roi âgé et malade, n’a pas délaissé sa Volante. Il s’en est même servi comme d’une sorte de porte-drapeau dans son combat pour la sauvegarde de l’environnement, obtenant des ingénieurs d’Aston Martin qu’ils convertissent le moteur de la DB6 afin qu’il puisse fonctionner au bioéthanol – ce qui a permis à la presse d’affirmer drolatiquement que son auto carburait « with wine and cheese ». D’une classe folle, la voiture sort régulièrement des garages de Clarence House et son apparition la plus marquante date du mariage du prince William avec Kate Middleton en 2011, les deux tourtereaux quittant Buckingham à son bord, dont l’immatriculation arrière avait été remplacée par la mention « JUST WED » et, en revoyant ces images, je me demande s’il est réellement possible de quitter plus élégamment une cérémonie de mariage. Lancée il y a près de soixante ans, la DB6 est l’une des plus glorieuses rescapées d’un temps où l’Angleterre pouvait encore se targuer d’une certaine grandeur – et où elle possédait une industrie automobile puissante, que le parti travailliste et les syndicats se chargèrent de déchiqueter durant les années 70. Contrairement à la Virage Volante qu’il posséda un temps – et qui fut vendue aux enchères en 2012 –, il est peu probable que la DB6 de Charles se retrouve un jour sur le marché, mais rien ne vous empêche de vous offrir la même, à condition de prévoir une enveloppe conséquente : comptez environ 600 000 euros pour un bel exemplaire. Tout compte fait, ce n’est pas si cher payé pour un carrosse royal !
Texte : Nicolas Fourny