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Sean Connery n'est pas mort (et les autos de James Bond non plus)

Par Nicolas Fourny - 29/10/2023

« Dans Skyfall, le fantôme de Sean Connery semble planer au-dessus de la lande ; quand la DB5 explose, notre cœur se serre et nous reviennent alors en mémoire tous les exploits du personnage en son jeune temps »

Le propre des légendes, c’est de ne jamais mourir. C’est la raison pour laquelle, lorsqu’elle fut transmise aux agences de presse à la fin du mois d’octobre 2020, la nouvelle du décès de celui qui fut, successivement et dans le désordre, Marko Ramius, le professeur Henry Jones, le moine Guillaume de Baskerville, Robin des Bois, le roi Arthur et, bien sûr, le commander Bond, nous parut plus que douteuse. Un type pareil aurait dû être aussi éternel que les diamants, non ? Ou alors, il aurait dû pouvoir vivre au moins deux fois… Bien qu’il ait été, à ce jour, le seul acteur qui ait réussi à poursuivre une carrière convaincante en dehors des James Bond, pour le grand public Sean Connery c’est, à tout jamais, l’agent 007 des origines, sans doute le plus proche du héros imaginé au début des années 1950 par Ian Fleming : un tueur froid et déterminé, raffiné et brutal, séducteur et misanthrope. Ce sont les films qui lui ont conféré ce qui lui manquait le plus : l’humour et, bien sûr, une suite mémorable d’automobiles dont certaines ont tellement marqué l’histoire du cinéma qu’elles sont devenues des personnages à part entière…

La légende de la DB5

Contrairement à ce que croient la plupart des gens, Sean Connery n’a pas été le premier interprète de James Bond. C’est Barry Nelson — un solide second rôle qui apparut notamment dans Shining, de Stanley Kubrick — qui personnifia 007 dès 1954, dans un téléfilm adapté du roman Casino Royale. La tentative demeura sans suite et il fallut attendre huit ans pour qu’Albert Broccoli et Harry Saltzman achètent les droits de plusieurs des œuvres de Ian Fleming avant de confier à Terence Young la mise en scène de Dr. No. Dans ce premier film, on ne peut pas dire que les voitures jouent un rôle fondamental. Dépêché en Jamaïque par le MI6, Bond affronte le premier mégalomane d’une longue série. Le docteur Julius No est, comme il se doit, un sinistre sociopathe fermement décidé à éliminer tous ceux qui s’aviseraient de contrarier ses projets. Il lance ses sbires à l’assaut de 007, lequel prend le volant d’une Sunbeam Alpine afin d’échapper au corbillard LaSalle lancé à sa poursuite. Sean Connery, le visage crispé, tourne vigoureusement le volant à droite et à gauche, mais la synchronisation de ses mouvements avec le paysage défilant en surimpression derrière lui est plutôt incertaine. On ne reverra plus la Sunbeam, sans doute insuffisamment statutaire, ni dans ce film, ni dans les suivants. Au début de Goldfinger (1964), Bond discute avec le commandant Boothroyd, plus connu sous le nom de Q. Desmond Llewelyn tiendra le rôle sans discontinuer jusqu’à The World is not Enough, en 1999, et ses échanges aigres-doux avec 007 font partie des plus réjouissants gimmicks de la série. « Où est ma Bentley ? », lui demande Bond, faisant allusion au cabriolet 3,5 litres Park Ward entr’aperçu au tout début de From Russia With Love. Au cours d’une scène devenue classique, Q lui présente alors son nouveau véhicule de fonction : l’Aston Martin DB5 — devenue mythique à un tel point que, bien plus tard, Pierce Brosnan puis Daniel Craig en hériteront, de même d’ailleurs que Roger Moore, de façon parodique, dans The Cannonball Run en 1981. C’est aussi la première Bond car nantie de gadgets dont on ne lasse jamais d’énumérer la liste : mitrailleuses planquées derrière les clignotants, plaques minéralogiques rotatives, système de projection d’huile à l’arrière, moyeux de roues télescopiques, écran pare-balles et, bien entendu, le siège éjectable qu’on a tous utilisé des milliers de fois sur les miniatures diffusées par Corgi Toys. La DB5 (sympathique clin d’œil à la DB Mark III mentionnée par Fleming dans le roman éponyme) n’était pourtant pas le premier choix de la production, qui s’était d’abord tournée vers Jaguar et c’est devant le peu d’enthousiasme de la firme de Browns Lane qu’en définitive, l’Aston immatriculée BMT216A aura été choisie pour traquer la Rolls-Royce Phantom III d’Auric Goldfinger à travers les Alpes suisses avant de déchiqueter la Mustang de Tilly Masterson en redescendant le Furka Pass.

D'Aston Martin à Toyota

Peu de temps après, la DB5, non sans avoir éjecté un passager indésirable, finit accidentée et disparaît jusqu’au pré-générique du film suivant, Thunderball (1965), au cours duquel elle projette de l’eau à haute pression sur une bande d’aigrefins à la solde de SPECTRE (Service Pour l’Espionnage, le Contre-espionnage, le Terrorisme, la Rétorsion et l’Extorsion), l’organisation criminelle dirigée par le redoutable Ernst Stavro Blofeld et qui interviendra, en fil rouge, dans bon nombre d’autres films, jusqu’à l’œuvre éponyme de 2015. À peine entrevue par la suite, avant que 007 ne s’en aille affronter Emilio Largo aux Bahamas, elle n’aura pas le temps d’utiliser son armement contre la Ford Fairlane du comte Lippe : ce dernier sera occis par la vénéneuse Fiona Volpe, toute de cuir vêtue et lancée à pleine vitesse sur une moto BSA. En 1967, pour You Only Live Twice, forte de ses succès au box-office, la série voit toujours plus grand. Les budgets ne cessent de croître et James Bond, déclaré officiellement mort, mène incognito une enquête quelque peu filandreuse au Japon. En dépit d’un scénario très ambitieux signé Roald Dahl — l’auteur de Charlie et la Chocolaterie — et d’un Donald Pleasence très convaincant dans le rôle de Blofeld, l’histoire s’enlise parfois. Le film comporte toutefois plusieurs moments de grâce et le cabriolet Toyota 2000 GT (le constructeur en produira seulement deux exemplaires) n’y est pas pour rien ; l’auto intervient notamment dans le cadre d’une poursuite avec une berline Crown, qui finit piteusement dans la baie de Tokyo. « Just a drop in the ocean », conclut narquoisement 007 à l’issue de la séquence — et c’est aussi le titre du très beau morceau de John Barry qui illustre celle-ci dans la bande originale du film.

Triumph Stag et Ford Mustang

Fatigué par les six mois de tournage qu’il vient de traverser, lassé d’un personnage dont il se sent de plus en plus prisonnier, Sean Connery annonce alors qu’il renonce à jouer les agents secrets, au grand dam d’EON Productions, la société dirigée par le duo Broccoli/Saltzman et qui préside aux destinées cinématographiques de James Bond. Ses collaborations avec Alfred Hitchcock ou Sidney Lumet lui ont ouvert d’autres horizons ; il faut d’urgence trouver un successeur et c’est George Lazenby qui sera choisi pour reprendre le rôle dans On Her Majesty’s Secret Service, en 1969. Par une savoureuse ironie du sort, ce film est l’un des tout meilleurs Bond, contrairement au suivant, Diamonds Are Forever¸ à l’affiche fin 1971 et qui voit le retour inattendu de l’acteur écossais pour ce qui sera son ultime collaboration avec ses producteurs historiques. Malgré la somptueuse bande originale composée par John Barry et le retour de Shirley Bassey qui, sept ans après Goldfinger, interprète l’un des meilleurs morceaux d’ouverture de la série, le film est une réussite commerciale mais un échec scénaristique dont l’écriture sombre souvent dans une regrettable vulgarité… Au début de l’intrigue, dans le port de Douvres, Bond s’apprête à embarquer pour Amsterdam à bord d’une Triumph Stag jaune dont l’apparition est si fugitive qu’on peut se demander si elle n’a pas trouvé le moyen de tomber en panne durant la traversée. Se retrouvant ensuite à Las Vegas, 007 pilote alors la Mustang Mach 1 de Tiffany Case — à l’époque, les producteurs considéraient encore que les femmes étaient incapables de conduire sportivement — au cours d’une poursuite avec la police qui comporte l’un des montages les plus foireux que l’on ait pu voir au cinéma ; pénétrant dans une rue étroite en équilibre sur les deux roues du côté droit, la Ford en ressort… sur les deux roues opposées !

La cérémonie des adieux

La décennie 70 s’avère très contrastée pour Sean Connery, qui semble avoir définitivement tourné le dos à James Bond. Il apparaît dans des chefs-d’œuvre (Le dossier Anderson, de Sidney Lumet, ou bien La rose et la flèche, de Richard Lester) mais aussi dans de consternants nanars (comme Meteor, de Ronald Neame), tous très éloignés de l’univers bondien. Un homme, cependant, ne l’entend pas de cette oreille : il s’agit du producteur Kevin McClory, qui fut le co-scénariste et le producteur de Thunderball, histoire dont il détient les droits. Il s’est mis en tête d’en produire un remake, initiative incertaine mais dans laquelle Connery s’est impliqué depuis les origines du projet, qui date de 1975. Entre les conflits juridiques potentiels avec EON et les difficultés rencontrées dans l’écriture du scénario, le film, intitulé Never Say Never Again — allusion à une déclaration de l’acteur qui avait affirmé, en 1971, qu’il ne rejouerait plus jamais dans un James Bond — sort finalement à l’automne de 1983, quelques mois après Octopussy, œuvre produite par la franchise officielle, avec Roger Moore dans le rôle de 007. Ce qui donne l’occasion à une certaine presse de titrer sur une soi-disant « guerre des Bond », totalement dépourvue de sens lorsqu’on connaît les relations chaleureuses qu’entretenaient les deux hommes. Écrit dans la douleur et produit en marge de la saga classique, Never Say Never Again ne comporte pas la traditionnelle séquence du gun barrel, ni le thème de 007 composé par Monty Norman vingt ans plus tôt. Hormis Sean Connery, les autres personnages récurrents — M, Q et Moneypenny — sont interprétés par des acteurs étrangers à l’univers de Bond, lequel nous est présenté, non sans dérision, sous les traits d’un espion vieillissant que sa hiérarchie contraint à suivre un stage de remise en forme. L’agent 007 arrive à la clinique au volant d’un cabriolet Bentley 4 ½ litre de 1937, carrossé par Gurney Nutting. Le personnage de Fiona Volpe s’appelle désormais Fatima Blush — délicieusement eighties, n’est-ce pas ? — et c’est Barbara Carrera qui l’incarne, mais elle ne roule pas en Porsche ; à la place, c’est une Renault 5 Turbo 2 que Bond poursuit dans les rues de Nice sur une Yamaha XJ650 Turbo modifiée par l’équipe de Q. Le film ne vaut certes pas l’original mais ce n’est certainement pas le plus mauvais des Bond ; on y retrouve avec plaisir des acteurs de premier plan, tels Max von Sydow, Kim Basinger ou Klaus Maria Brandauer. Il s’achève sur un clin d’œil de Sean Connery adressé au spectateur qui, cette fois, assiste bel et bien à sa dernière prestation en tant que James Bond. Des œuvres majeures l’attendent et sa carrière sera couronnée quatre ans plus tard par l’Oscar du meilleur second rôle, obtenu pour sa participation aux Incorruptibles de Brian De Palma.

L’espion que j’aimais

Durant la pré-production de Skyfall, sorti en 2012 pour le cinquantième anniversaire de la série, il fut brièvement question de confier le rôle du garde-chasse Kincade à Sean Connery ; l’idée n’aboutit pas et c’est l’excellent Albert Finney qui en hérita. L’acteur était probablement déjà malade à ce moment-là mais le film ressemble beaucoup à un long et affectueux hommage adressé à celui qui a bâti les substrats du personnage et a indiqué la voie à ses successeurs, qui s’en sont parfois écartés — cf. Moonraker, spectacle familial souvent inepte. Les indices sont nombreux : Daniel Craig boit du Macallan 1962 ; le pré-générique commence à Istanbul, comme au bon vieux temps de From Russia With Love ; la DB5 est fidèle au poste et Daniel Craig plaisante en menaçant d’en éjecter Judi Dench ; et puis, il y a bien sûr la magnifique et crépusculaire séquence écossaise, dont le metteur en scène Sam Mendes a déclaré qu’il l’avait conçue de façon intemporelle, comme si elle avait été tournée plusieurs décennies auparavant. À chaque instant, le fantôme de Sean Connery semble planer au-dessus de la lande qui fut le théâtre de l’enfance de Bond ; quand la DB5 explose, notre cœur se serre et nous reviennent alors en mémoire tous les exploits du personnage en son jeune temps, lorsque les scénarios étaient tous basés sur l’œuvre de Ian Fleming. D’après la biographie établie par ce dernier, James Bond est né en 1921 mais il est, pour l’éternité, le jeune homme ardent capable de sauver le monde, dont le double zéro signifie qu’il est autorisé à tuer et qu’il l’a déjà fait. Mais ce n’est pas sur les routes étroites et venteuses de Glen Etive que Sean Connery a rendu son dernier souffle ; c’est aux Bahamas qu’il est mort, comme s’il avait voulu être sûr que nous ne l’oublierions jamais. Plus jamais…





Texte : Nicolas Fourny

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