Alpine A610 “Le Mans” : baroud d’honneur aux 24 heures
Les 24 heures du Mans approchent. Comme depuis 2013, l’écurie Signatech-Alpine s’apprête à concourir dans la catégorie LMP2, tandis que la marque présente l’A110S à cette occasion. Contrairement aux idées reçues, la dernière participation d’Alpine au Mans avant son retour avec Signatech ne date pas de 1978 mais de 1994 avec l’Alpine A610 Biturbo préparée par le manceau Patrick Legeay. Retour sur cette histoire méconnue.
En ce début des années 90, l’automobile française dispose de deux marques à vocations sportives, Venturi et Alpine. La première, qui n’a pas d’image sportive, s’engage d’abord en Formule 1 en rachetant l’écurie de Gérard Larrousse avant de se rabattre sur la catégorie GT en endurance, moins chère et tout aussi rentable publicitairement. Partant de la base de sa 400 Trophy, Venturi va développer des modèles spécifiques, 500 LM, 600 LM ou 600 SLM poussant le bon vieux PRV jusqu’à plus de 600 chevaux.
Du côté d’Alpine, l’heure n’est pas à la fête : l’Alpine A610 lancée en 1991 n’est pas le succès commercial escompté et les jours de la petite marque française sont comptés. Chez Renault, on réfléchit de plus en plus à capitaliser sur ses succès en Formule 1 en développant la marque Renault Sport. Pourtant, à l’automne 1993, Patrick Legeay décide d’engager pour l’édition 1994 du Mans une A610 préparée par ses soins.
Une A610 au Mans grâce à Patrick Legeay
L’homme, à la tête de sa société Legeay Sport basée près du Mans, n’est pas un inconnu puisque depuis le début des années 80, il prépare des Renault pour les compétitions clients, avec l’aval de Renault Sport : il s’est occupé notamment des Alpine GTA Europa Cup ou des Renault 21 Europa Cup. Son initiative est totalement privée, mais l’usine de Dieppe va le soutenir dans son projet en lui préparant spécialement une caisse d’A610 allégée de 35 kg.
Arrivée dans les ateliers de Legeay Sport, la voiture est retravaillée côté carrosserie pour améliorer l’aérodynamique, avec notamment un parechoc avant modifié ainsi qu’un aileron arrière pour obtenir plus d’appui. Patrick Legeay va surtout travailler sur le moteur avec l’objectif d’en tirer plus de 400 chevaux. Venturi y arrive bien avec ses 400 GTR ou les 500 et 600 LM qui s’apprêtent à courir Le Mans elles aussi.
Reprenant le V6 PRV 3 litres turbo présent de série (250 chevaux) sur l’A610, Legeay passe à deux turbos Garrett T3 (d’où parfois le surnom d’A610 Biturbo, référence sans doute à la Safrane éponyme). Avec ces modifications, la voiture gagne 180 chevaux supplémentaires pour atteindre 430 canassons ! Pour transmettre la cavalerie, on opte pour une boîte à crabots SADEV (comme pour Venturi d’ailleurs).
Des débuts encourageants aux 24 heures du Mans
Contrairement au constructeur au gerfaut qui s’investit pleinement avec 5 voitures engagées en 1994 (et 7 l’année précédente), l’équipe de Legeay Sport ne bénéficie que d’un soutien “du bout des lèvres” de la part d’Alpine. Avec une seule voiture au départ, il va falloir miser sur la fiabilité plus que sur la pure puissance. Petit poucet du plateau GT2, l’A610 “LM” va pourtant réussir des merveilles pour une première participation, preuve de la qualité du staff.
D’une part, avec son numéro 60, elle réussit à terminer la course, ce qui est en soi un exploit, Venturi n’arrivant à placer qu’une seule voiture à l’arrivée, la 400 GTR du team Agusta. Mieux, elle termine à une superbe 5ème place dans sa catégorie, derrière des Porsche 911 RSR et une Ferrari 348. Enfin, au classement général, elle s’offre une brillante 13ème place : cette édition 94 s’avère donc très positive pour le team Legeay.
Convaincu du bien fondé de sa démarche, Patrick Legeay va donc tenter de faire mieux pour l’édition 95. Les ambitions sont revues à la hausse avec la commande de 2 A610 à Alpine. Cependant, la décision est prise chez Renault : Alpine disparaîtra avec l’A610 et la coopération technique entre la marque et Legeay sera très compliquée. Les retards s’accumulent et la petite équipe doit se concentrer sur un seul exemplaire.
Deuxième édition difficile
Réalisée en un temps record, cette A610 portant le numéro 72 s’avère un peu courte en développement et en performance. Il faut dire que la concurrence se fait de plus en plus rude en GT1 comme en GT2. Avec une voiture en retrait, Legeay Sport n’arrive pas à qualifier la voiture et se voit privé de départ. La 72 connaîtra finalement la course en championnat BPR, aux 1 000 kilomètres de Paris, à Montlhéry, avant de prendre sa retraite.
Une A610 « Le Mans » devant une Venturi 600 LM « Jacadi »Il existe donc deux exemplaires d’A610 “Le Mans”, celle de 94 portant le numéro 60 (revendue à un agent Renault au Japon) et celle de 95 portant le n°72 (semble-t-il toujours en France). Un troisième exemplaire inachevé et sans moteur, celui qui devait participer au Mans aux côtés de la 72, apparaît de temps temps dans les annonces. Si l’envie de partir à sa quête vous tente, il est donc possible d’en trouver une. A vous de jouer.