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Alpine A110 : celle qui n’aurait jamais dû naître. Entretien avec Bernard Ollivier

Par PAUL CLEMENT-COLLIN - 25/02/2020

Décembre 2017 : ça y est, j’y suis. Fraîchement débarqué de l’avion, je m’apprête à rejoindre le château La Coste et à enfin prendre le volant de la toute nouvelle Alpine A110, parmi les happy few de ce lancement presse. C’est là que je croise pour la première fois furtivement Bernard Ollivier, directeur général des automobiles Alpine. Je ressors bluffé de ces essais. Deux ans et quelques mois plus tard, l’occasion se présente : interroger Bernard sur cette folle aventure que fut le relancement d’Alpine. L’homme est charmant, passionné, et regorge d’anecdotes pour satisfaire ma passion des petites histoires dans la grande Histoire.

Bernard Ollivier et Philippe Sinault, patron de Signatech

Une renaissance impossible ?

Faire renaître une marque comme Alpine après tant d’années de sommeil n’est pas une mince affaire. Directeur Général de Renault Sport Technologies au début des années 2000 (il a notamment travaillé sur la Clio V6 Phase II puis les Mégane RS avec un certain Carlos Tavares alors chef de produit Mégane), Bernard Ollivier a souvent rêvé de faire revivre la marque. Plusieurs propositions seront faites à Renault sans jamais qu’une fenêtre de tir ne s’ouvre réellement. “À chaque fois, cela a coincé sur les aspects économiques et j’ai fini par croire, à un moment, que jamais Alpine ne renaîtrait de ses cendres” se rappelle-t-il.

Bernard voit le temps passer et les chances d’un renouveau s’éloigner chaque jour un peu plus. Le chronomètre joue contre Alpine : la marque s’est éteinte en 1995 avec l’A610 qui ne s’était vendue qu’à 818 exemplaires. “Ceux qui avaient connu l’A110 d’antan sur les routes ou en compétition vieillissaient à vue d’oeil et bientôt, Alpine n’aurait été qu’un lointain souvenir impossible à faire revivre” poursuit-il. Seul un miracle pouvait changer la donne : “et ce miracle eut lieu, enfin, en 2011, grâce à un certain Tony Fernandes”.

Tony Fernandes entre en scène et tout devient possible

Car Bernard l’assure, le déclic viendra d’une lettre étonnante et culottée, envoyée à Carlos Ghosn par l’homme d’affaires malaisien Tony Fernandes. Ce dernier a d’abord fait ses armes (et s’est constitué un matelas) chez Virgin Group puis Warner dont il a dirigé la division Asie du Sud-Est avant de quitter l’entreprise et reprendre la compagnie aérienne Air Asia. Passionné par l’automobile, il rachète d’abord une écurie de Formule 3 qui parviendra à rejoindre l’élite de la Formule 1 sous le nom de Lotus (grâce à un accord avec le malaisien Proton, propriétaire de la marque). En 2011, Fernandes s’offre la petite marque anglaise Caterham et contacte donc Carlos Ghosn avec une idée simple : s’allier pour construire à deux (et partager les frais) une petite sportive.

Les sketchs de l’Alpine Célébration, présentée en 2015

Là encore, comme le dit Bernard Ollivier, “les planètes bleues sont toutes alignées”. Cette année-là, Renault a connu d’excellents résultats et sa trésorerie est pleine. Des investissements jusqu’alors jugés non prioritaires peuvent être faits. Autre chance nous raconte Bernard, “malgré la défiance qui règne entre les deux Carlos, Ghosn va transmettre la lettre à Tavares, charge à lui d’initier le projet”. Peut-être le grand patron de Renault a-t-il une stratégie en tête : connaissant la passion de Tavares pour l’automobile sportive, seul ce dernier pourra s’engager à fond dans le projet. En cas d’échec, ce sera alors un bon moyen de se débarrasser d’un numéro 2 aux dents longues.

Maquettes en clay pour les essais en soufflerie

Carlos Tavares en charge du projet

Tavares va donc charger Renault Sport et Bernard Ollivier de mener à bien le projet d’une sportive en co-entreprise avec Caterham. Les deux hommes se connaissent bien, ont déjà travaillé ensemble. Il faudra quelques temps pour que soit décidé si la future sportive s’appellera Renault Sport ou Alpine, mais dès 2011, un dessin venu du centre de design Renault de Roumanie esquisse une future Alpine dans une version néo-rétro particulièrement convaincante. Il sera bien entendu retravaillé, mais les bases de l’A110 “NG” sont déjà là. L’accord avec Caterham est officialisé en novembre 2012 et la société des Automobiles Alpine Caterham est créée. Bernard Ollivier en prend la direction.

“Rétrospectivement, et malgré les nombreux problèmes que nous avons connus, cette situation était idéale : je n’avais plus de donneurs d’ordres, mais des actionnaires n’entrant pas dans l’opérationnel, cantonnés au rôle de financiers. Certes il fallait batailler pour obtenir les fonds, particulièrement avec Tony Fernandes qui ne lâchait les chèques qu’au compte-goutte, mais cela a permis de s’affranchir des lourdeurs d’un groupe comme Renault”. Par exemple, l’entreprise française voyait d’un mauvais oeil l’utilisation intensive de l’aluminium : “on m’a dit que j’étais fou, qu’on n’y connaissait rien en alu”. Mais la chance a voulu (encore l’alignement des planètes bleues) que dans les équipes de Caterham se trouve l’ingénieur qui avait conçu le châssis en aluminium de la Lotus Elise. L’A110 sera la première voiture intégralement en aluminium avec le châssis et la carrosserie collés.

Maquette en clay de l’intérieur, pour un premier jet.

De difficiles relations entre Caterham et Renault

Entre Caterham et Renault, tout ne va pas aller si facilement : au départ, l’officine anglaise voulait un moteur à l’avant, tandis que l’héritage Alpine s’orientait plutôt vers un moteur en porte-à-faux arrière. La négociation fut ardue, car il était impossible de créer un châssis “réversible” et hors de question de développer deux châssis ! Un consensus fut pourtant trouvé : le moteur serait en position centrale arrière (et non en porte-à-faux) tandis que le design de la Caterham donnerait l’impression d’un capot avant plus long, respectant la tradition des longs capots des descendantes de la Lotus Seven (le dessin présente d’ailleurs des similitudes avec la Caterham 21, tentative de sportive moderne dans les années 90).

La Caterham C102 telle qu’elle aurait pu être…

Malgré des progrès considérables grâce à des équipes sur-motivées, notamment celles venues de Renault Sport, les embûches s’accumulent. Dans un premier temps, Renault tente d’imposer le 1.6 Turbo de 220 chevaux de la Clio RS, mais on estime que ce n’est pas suffisant. Pour Caterham peu importait, sa clientèle habituelle aurait accepté une voiture dépouillée, très légère, mais sans puissance démesurée. Chez Renault on se dit que c’est trop peu, mais hors de question de développer un coûteux nouveau moteur. Là encore, “après une discussion téléphonique entre Carlos Tavares, Tony Fernandes (en retard de deux heures sans prévenir) et moi” précise Bernard Ollivier, une solution de compromis fut trouvée : augmenter la cylindrée à 1.8 litres pour mécaniquement obtenir les 252 chevaux jugés nécessaires chez Alpine.

Des retards et des difficultés

La sortie officielle de l’A110 et de sa jumelle anglaise, la Caterham C102 (ou parfois annoncée C120), était prévue pour 2015. Les délais étaient courts, certes, mais faisables ! Avec le départ de Carlos Tavares pour prendre la direction de PSA en août 2013, Bernard Ollivier devient le seul interlocuteur de Carlos Ghosn, mais il se retrouve face à un gros problème : l’allié anglais ne verse plus un sou, il fallait commander les outillages et Renault freinait des quatre fers pour financer seul. Bernard prend alors une décision folle : “on a décidé de passer en slow mod, une façon de faire la grève et de dire stop aux emmerdes entre actionnaires”. Malgré une forte démobilisation des équipes (et quelques départs), “j’ai fini par gagner, au bout de 6 mois”. La solution a été trouvée simplement : Caterham, incapable de financer à 50/50 un tel projet, se retire, officiellement, en mars 2014.

Commémoration des 60 ans d’Alpine, en 2015, avec la présentation de l’Alpine Célébration et toute l’équipe Signatech-Alpine.

La partie n’est pourtant pas gagnée : “Ghosn voulait arrêter le projet, mais ne voulait pas endosser la responsabilité. Il attendait que je me plante, et pour cela, me fixait des objectifs a priori inatteignables” poursuit Bernard Ollivier. Il faut dire que ceux qui sont restés sont désormais “ultra-motivés”, dans un esprit très “start-up”, trouvant des solutions à tous les problèmes, et Dieu sait s’il y en a eu ! David Twohig, ingénieur en chef et que j’ai pu rencontrer à de nombreuses reprises, en est la preuve vivante : même encore aujourd’hui, alors qu’il est parti chez Byton après le lancement de l’A110, il parle avec passion et enthousiasme de “son bébé”.

L’Alpine Célébration

Retour en compétition et validation du projet A110

Entre-temps, en 2013, Bernard Ollivier, en passionné de sport automobile qu’il est, nouait un partenariat avec l’écurie Signatech pour faire revivre Alpine en Endurance (WEC), avec succès. La complicité qui unit Bernard et Philippe Sinault, patron de l’écurie berruyère, n’est pas feinte. Tavares aussi, au point de rester fidèle à Signatech pour la production des Peugeot 308 Racing Cup quelques mois plus tard, une fois chez PSA. Alpine connaîtra la victoire avec Signatech, redorant ainsi son blason en compétition, et finira par lui confier, quelques années plus tard, la production des Alpine A110 Cup, GT4 et Rallye.

L’Alpine Vision présentée en 2016, très proche de la version de série.

En avril 2015, le projet est définitivement validé par Carlos Ghosn : il n’est désormais plus possible de revenir en arrière même si le microcosme des journalistes automobiles commence à s’impatienter. Pour Bernard Ollivier, il faut continuer malgré la grogne avec un seul leitmotiv : mettre en pratique la définition de ce que doit être – en trois mots – une Alpine et livrée par Jacques Cheinisse, ancien pilote maison, lors d’une confidence datant de 2013 : “un concentré de plaisir”.

Le poids, c’est l’ennemi

Comment transformer ces mots en cahier des charges ? “L’avantage, rappelle Bernard Ollivier, c’est qu’on partait d’une feuille blanche, loin des contingences industrielles habituelles chez Renault. On a pu prendre le meilleur du losange, mais faire appel aux meilleurs prestataires extérieurs pour ce qui nous semblait indispensable”. L’objectif principal reste celui de Caterham, commun à Alpine : la légèreté. L’objectif des 1 000 kg ne sera pas atteint (la version définitive pèsera 1 080 kg), mais le travail effectué reste extraordinaire. Ainsi, on choisit des sièges extrêmement légers (chez Sabelt), des étriers de freins arrière en alu (pour une double fonction frein et parking), un lave glace étonnant (des petits trous dans les lames d’essuie-glace permettant un meilleur nettoyage, et par conséquent un plus petit réservoir), ou bien un unique échappement central, plus léger que deux à chaque extrémité de la poupe.

En revanche, Bernard Ollivier a dévié du carnet de route initial de Carlos Tavares. En sportif puriste, il se moquait du confort et les premiers intérieurs étaient tout bonnement ceux de la Mégane. Dès le départ de Tavares chez PSA, Ollivier fait travailler ses équipes sur un nouvel intérieur plus conforme au standing de l’Alpine (malgré quelques concessions à la grande série, comme les commandes radio bien connues des conducteurs de Renault, ou bien la carte de contact). En revanche, le multimédia est spécifique (“hors de question d’avoir l’Air Link dans cette voiture”), tout comme le système audio venu du producteur français Focal !

La presse salue la nouvelle Alpine

Un premier prototype avait été présenté en 2015, sous le nom de Célébration, puis fin 2016, l’Alpine Vision Concept révélait enfin une version très proche de ce que serait l’A110. À partir du Salon de Genève 2017 (où j’avais pu rencontrer Michael Van der Sande à ce sujet), les pré-commandes sont ouvertes pour réserver l’un des 1 955 exemplaires de l’A110 “Première Édition”, tandis que les essais presse se déroulent en décembre de la même année. Bernard se rappelle : “nous étions très inquiets des réactions des journalistes qui semblaient trouver un peu légers les 252 chevaux”. Ils seront pourtant unanimes sur les qualités de la voiture, particulièrement les Anglais et les Allemands, pourtant habitués aux sportives dans leurs pays respectifs.

En mars 2018, Alpine livre sa première voiture et quelques temps plus tard, Bernard Ollivier prend une retraite bien méritée, avec le sentiment du devoir accompli. L’A110 a des défauts, comme toute voiture, mais “elle a dépassé toutes nos espérances initiales, tout en restant dans une zone de prix acceptable”. Bernard est intarissable et ce n’est pas un hasard s’il a sorti un livre, “Alpine, la renaissance”, aux Éditions Solar. Un succès en librairie puisqu’il s’en est déjà écoulé 5 0

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