Trabant 601 : histoire d'un symbole de la chute du Mur
Un lecteur me demandait il y a peu si je pouvais parler de la Trabant, après l’avoir évoquée dans un article sur sa version « Tramp » (lire aussi : Trabant 601 Tramp). Ayant revu avec plaisir « Goddbye Lenin » il y a peu de temps, l’envie de me replonger en Allemagne de l’Est n’était pas déplaisante. Car si je ne garde pas de nostalgie politique des années de guerre froide, je reste fasciné par la vie quotidienne en Europe de l’Est ou en URSS à cette époque là. Sans doute parce que pendant mes 15 premières années, j’ai vécu le quotidien de l’affrontement Est/Ouest, et que j’étais curieux de savoir ce qu’il se passait réellement « de l’autre coté du rideau de fer ».
J’ai pu me rendre assez tôt après la chute du Mur en République Tchèque, Pologne et Allemagne de l’Est tout juste réunies à la RFA, et j’y ai découvert les résultats d’un communisme ruiné par la course à l’armement et par ses errements, mais aussi les charmes de l’Europe centrale et de sa production automobile particulière. Ce voyage en 1991 m’a ainsi fait découvrir les Tatra 613 tchèques (lire aussi : Tatra 613), les Syrena polonaises (lire aussi : FSO/FSM Syrena), les Wartburg (lire aussi : Wartburg 353) et bien entendu la petite Trabi qu’on avait déjà vu défilée dans Berlin Ouest un soir de novembre 1989. Petit clin d’oeil familial, ma Grand-Mère se trouvait à Berlin ce 9 novembre historique.
La P50 était plus ronde que la 601 qui lui succèderaC’est d’ailleurs elle qui m’offrit à mon retour de périple, alors que je lui disais être tombé amoureux de Prague, un livre en tchèque acheté sur place dans les années 70 : livre « pour touristes », on y voyait une vie heureuse de façade, avec de jeunes gens habillés à la mode de l’époque, par beau temps, circulant dans Prague avec toutes ces voitures au charme suranné qui n’était pas encore dépassée (leur longévité les rendra ringarde lorsque le marché automobile s’ouvrit : elles ne pouvaient plus lutter face à la concurrence occidentale).
Bref, je m’égare, revenons à notre Trabant. Si les hauts fonctionnaires et les pontes du régimes eurent le droit de rouler en ZiL, voire en Volvo (le constructeur suédois réalisa une série destinée uniquement à la RDA, lire aussi : Volvo 244 DLS « spécial RDA »), sans même parler des Citroën utilisée par Honecker lui-même ou par la Stasi (lire aussi : La Stasi roulait en Citroën), et si enfin la classe moyenne pouvait espérer une Wartburg, la plupart des allemands de l’Est devaient se résigner à la Trabant, ce qui explique qu’elle en devint l’icône.
Enfin, quand je dis Trabant, autant vous le dire tout de suite : il existe plusieurs Trabant, mais je vai particulièrement vous parler de la 601, la plus emblématique, et bien entendu la plus produite. Mais pour clarifier les choses, parlons un peu des autres ! la première Trabant est connue sous le nom de P50. Son étude commença en 1954, en même temps que celle de la P70 plus grande et qui sera prête à l’industrialisation plus rapidement (1955). La P50, elle, attendra 1958 pour être « commercialisée ». Cette P50 est une petite voiture plutôt moderne, privilégiant (pour des raisons d’approvisionnement) une carrosserie en Duroplast (à base d’étoffe pressé et de résine dérivée de la Bakélite). Ce Duroplast fut étudié avant et pendant la guerre pour palier la pénurie de matériau de l’Allemagne en guerre. Son développement continua après-guerre pour les mêmes raisons. Développée par la société AWZ (Automobilwerk Zwickau, les anciennes usines Audi) qui fusionnera en 1958, l’année de son lancement avec les usines IFA de Sachsenring (ex-DKW), elle sera donc produite par la société VEB Sachsenring Automobilwerk Zwickau : vous pouvez reprendre votre souffle.
Bref, la P50, dotée d’un bicylindre 2 temps de 499 cm3 d’une puissance de 18 ch (131 435 exemplaires), évoluera en 1962 en une version P60 plus puissante (594 cm3 et 23 ch, et 107 007 exemplaires jusqu’en 1965). Et notre 601 alors ? Dès le début des années 60, l’idée de moderniser cette « voiture du peuple est-allemand » travaille les ingénieurs. La 601 sera donc essentiellement une évolution esthétique, avec une carrosserie lui donnant un air de 404 en réduction qui fait encore son charme aujourd’hui. Elle sortira en 1963, récupérant le moteur de 594 cm3 de la P60 avec laquelle elle cohabitera 2 ans.
La 601 va alors devenir mythique dans cette Allemagne de l’Est qui se veut le modèle des démocraties populaires socialistes. Symbole du succès, et de la liberté (surveillée), les Trabant vont permettre aux familles d’aller à la campagne, ou à la plage sur la Baltique, le coffre plein à craquer. Comme les P50 et P60, la 601 va recevoir en 1965 une version « Universal », un break à 3 portes à vocation utilitaire (mais pas seulement) qui nourrira l’imaginaire des enfants de l’époque comme l’Acadiane chez nous !
Le petit côté rigolo, c’est que le prix d’appel de la Trabant était très bas, mais il fallait alors rajouter des options indispensables comme… un volant, des roues ou des fauteuils ce qui faisait grimper la note. En outre, pour pouvoir s’offrir une Trabant, il fallait le mériter, soit par son exemplarité au travail, soit par sa fonction, soit par son zèle pour aider la Stasi. De toute façon, la production n’arrivait pas à suivre la demande, et à certaines époques, il y avait même jusqu’à 15 ans d’attente pour obtenir sa Trabant. Une fois qu’on l’avait, on ne la lâchait plus, surtout que la probabilité de pouvoir passer à une Wartburg était nulle : une Trabi, c’était pour la vie. Etant donnée la relative fragilité de la voiture, mais aussi sa facilité de réparation, le vrai business en RDA, c’était pas la drogue mais les pièces détachées ! D’ailleurs, 35 % des pièces fabriquées à l’usine étaient destinées au marché de la rechange.
La 601 Tramp, voiture de plage à la sauce RDA !La voiture évoluera avec le temps, avec des versions Kubelwagen et Tramp dont je vous ais déjà parlé, des versions « S de luxe » (sic), ou une version « Hycomat » (601 H) sans pédale d’embrayage réservés aux personnes invalides (une sorte de Twingo Easy avant l’heure). La 601 sera produite jusqu’en 1990 à 2 774 821 exemplaires, ce qui en fait un beau succès à l’Est. Mais l’histoire de la Trabant n’était pas finie !
La Trabant Universal en était la version break 3 portesEn 1984, les usines de Zuckau obtiennent de Volkswagen la possibilité d’utiliser un 4 cylindres issu de la Polo, de 1041 cm3 et 41 ch : presque le double de puissance ! Il faudra pourtant attendre 1988 avant que les 150 premiers exemplaires de pré-série de cette nouvelle Trabant 1.1 ne tombent des chaînes, et avril 1990 pour que les premiers exemplaires de série ne soient mis en vente. Il était déjà trop tard pour inverser la tendance, et la 1.1 ne sera produite qu’une seule année, jusqu’en avril 1991, à seulement 38 122 exemplaires.
La dernière Trabant, dotée d’un 4 cylindres VW, ne sera construite qu’un an sous le nom de Trabant 1.1Si la Trabant n’était plus la reine du marché automobile dans l’ex-RDA, elle va cependant continuer sa vie en collection : sa gueule sympathique, sa simplicité, son faible coût, et bien entendu son aspect symbolique font que bon nombre d’allemands vont se mettre à collection la petite Trabi ! Et si comme moi ces voitures de l’Est vous intriguent, une Trabant peut être un premier pas vers une collection atypique ! Avec l’avantage en plus, de voir le sourire des passants qui tous, se souviennent d’elle et de sa bouille sympathique surgissant aux check-points de Berlin Ouest un soir de novembre 89, au son du violoncelle de Rostropovitch !