Suzuki X90: le Crossover en négatif
Il faut toujours se méfier des citations ou des proverbes. Quand un mec te dit « il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace », tu peux commencer à te méfier quand tu sais qu’il a fini décapité. Suzuki est tombé dans le piège de Danton, et en voulant appliquer ses principes, s’est pris le boomerang dans les dents en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Voici donc l’objet du délit : le Suzuki X90.
Voilà presque un cas d’école. Vous savez combien je préfère un constructeur qui ose qu’un autre qui se la joue pépère, sur ses acquis. Mais là, Suzuki est allé franchement trop loin ! Prise de risque maximale, pour un résultat digne des meilleurs films catastrophes. L’histoire du X90 commence à la toute fin des années 80. A cette époque, les équipes de Suzuki voient les ventes du petit Samuraï se tasser, aux Etats-Unis notamment. Il est temps de remplacer le best-seller sur ce marché, en proposant à nouveau un véhicule compact, ludique, jeune, fun, tout en gardant des capacités de franchissement. L’idée de mêler un peu les genre surgit avec sans doute quelques années d’avance : si l’intuition était bonne, le résultat ne sera pas vraiment à la hauteur.
Bah oui, le petit Samuraï était un petit 4×4 bien utile. Le X90, lui, navigue entre plusieurs eaux, au point de tanguer dangereusement. Présenté comme concept-car en 1993 au Tokyo Motor Show, il sera lancé à la fin de l’année 1995. Disponible en propulsion ou 4 roues motrices, avec un seul moteur (un 1.6 litres 16 soupapes de 95 ch), il n’offre que deux places, un système targa, et un drôle de style 3 volumes.
Visant très clairement une cible jeune, branchée, et si possible californienne, Suzuki rate totalement sa cible. Pas vraiment cabriolet, pas vraiment 4×4, pas vraiment citadin, pas vraiment routier, pas vraiment pratique, et pas vraiment joli : le X90 réunit à peu près toutes les erreurs possibles dans l’industrie automobile et on peut dire que Suzuki a inventé le Crossover à l’envers en mélangeant tous les désavantages de plusieurs segments sur un seul modèle. Fallait le faire.
Comme il fallait s’y attendre, le X90 sera un échec total, et la production sera stoppée dès 1997 (Renault fera la même chose avec son plus réussi Avantime, lire aussi : Renault Avantime); les modèles seront eux vendus jusqu’en 1998 voire 1999 sur certains marché, le temps d’écouler les stocks. Pas vraiment destiné au Japon, le X90 s’y vendra à 1348 exemplaires. L’Australie, un peu plus dans la cible avec ses surfers, abosrbera 484 véhicules. Quelques exemplaires seront vendus au compte goutte en Europe, et aux Etats-Unis, sa cible principale, seuls 7205 X90 trouveront preneurs !
Le Suzuki X90 est un cas d’école : vouloir révolutionner le marché, vouloir proposer « autre chose », une autre vision de l’automobile, c’est bien. Encore faut-il proposer un véhicule malgré tout adapté à sa cible. Heureusement, la plate-forme (celle du Vitara) était amortie, et l’accident industriel sera sans conséquence, mais subir un tel échec n’est jamais agréable. Encore moins les quolibets qui suivirent… et qui durent encore, Top Gear Magazine (UK) ayant sélectionné le X90 en octobre 2013 pour son classement des « 13 pires voitures des 20 dernières années ». Une sélection dont Suzuki se serait bien passé.
C’est aujourd’hui que le X90 trouve toute sa saveur et son intérêt. Presque invendable en occasion (c’était déjà le cas en neuf), il se trouve à tout petit prix (surtout aux USA), et permet de s’offrir un collector rigolo et égoïste en affirmant sa différence, son originalité, son insensibilité aux critiques et aux moqueries, une sorte de pied de nez à « l’establishment » !