Subaru BRAT : un pick-up au goût de poulet
BRAT ? Qu’est-ce que c’est que ce nom improbable, qui veut dire «sale gosse » en anglais ? C’est pourtant celui choisi par Subaru USA pour nommer un drôle d’engin, un pick-up 4 roues motrices destiné au marché américain, finalement vendu un peu partout dans le monde (et notamment en Australie et Nouvelle Zélande, sous le nom de Brumby). En réalité, il s’agit d’un acronyme, signifiant Bi-drive Recreational All-terrain Transporter. Voici son histoire.
Tout commence avec une sombre histoire de poulets au début des années 60. L’Allemagne (et la France) considéraient à l’époque que les USA faisaient du dumping en exportant vers l’Europe à perte sa surproduction de poulet, empêchant les producteurs de volailles européens d’être compétitif sur leur propre marché. Les deux pays instaurèrent donc une taxe sur le poulet américain. En rétorsion, et après des négociations tendues (à tel point qu’on nomma cette période la « Guerre du Poulet), les Etats-Unis pondirent la Chicken Tax, pénalisant l’importation en provenance de France et d’Allemagne d’amidon, de Dextrine (issue de l’amidon, la dextrine est un liant servant notamment à réaliser de la colle « naturelle » pour les enveloppes), de Cognac ou d’Armagnac, et de véhicules utilitaires légers, grâce à une taxe de 25 %. En gros, de quoi pénaliser les deux vieux pays sur des secteurs « peu stratégiques » certes, mais importants tout de même.
Je vous vois venir : mais qu’est-ce qu’il nous raconte avec ses poulets et son amidon ? En fait, Lyndon Johnson, alors président, profite de cette loi pour défendre les intérêts des constructeurs automobiles américains qui commençaient à être gênés aux entournures par Volkswagen et son combi « pick up » qui grappillait allègrement des parts de marché au détriment des pick-ups américains grâce à des tarifs canons. C’est ce qui s’appelle faire d’une pierre deux coups : profitant d’une sombre histoire de gallinacée, les Etats-Unis en profitaient discretos pour protéger le marché des véhicules utilitaires.
Un peu plus de 10 ans plus tard, le président de Subaru USA se demandait comment refaire un bon coup après le succès inattendu de la 360 importée par Malcom Bricklin (lire aussi : Bricklin SV1). Son constat est simple : le marché des utilitaires légers « à benne » est florissant aux States, et réservé aux constructeurs nationaux, et la plupart ne sont pas équipés d’une transmission intégrale qui devenait à l’époque déjà la spécialité de la marque japonaise. Il demande donc à la maison mère de lui concocter une version pick up sur la base de la Leone SW AWD, destinée aux ricains. L’astuce : en offrant deux places dos à la route sur la benne du véhicule, placés sur des barres de métal et amovibles, on sortait de la fameuse « Chicken Tax » de 25 % pour revenir à la taxe normale sur les véhicules particuliers, qui elle s’élevait à 2,5 % !
Notez les deux sièges arrières, dos à la route, dans la benne du BRAT, permettant d’échapper à la Chicken TaxFin 1977, les premiers BRAT construits au Japon, à Ota, débarquent en Amérique. L’astuce des sièges arrières est imparable : le BRAT devient tout de suite concurrentiel, contrairement aux compatriotes Toyota ou Nissan, tout en proposant une transmission intégrale inconnue ou presque sur ce marché. Bingo.
En 1978, première année pleine de commercialisation, 22 945 exemplaires du BRAT furent vendus aux USA, et en 1979, 23 441 unités trouveront preneurs. Pourtant, dès 1980, le pick-up de Subaru rentrera dans le rang, avec un peu plus de 12 000 ventes, pour ensuite tomber entre 4 et 6000 exemplaires par an jusqu’en 1986. En 1987, dernière année de commercialisation aux States, 1274 BRAT trouveront encore preneur.
la version restylée apparaît en 1981Pourtant, dès 1981, un restylage profond sur la base de la nouvelle Leone faisait rentrer le BRAT dans la modernité, mais il faut bien le dire : il manquait singulièrement de puissance, avec son 1.6 puis 1.8 boxer développant tout juste 70 chevaux. Une option « turbo » fut bien proposée entre 1982 et 1983 (avec presque 100 ch à la clé), sans pour autant relancer les ventes de façon significative. Pourtant, avec 92 445 exemplaires vendus aux USA, le BRAT aura réussi à implanter durablement la marque Subaru chez l’Oncle Sam. Quelques BRAT furent aussi importés en Europe (mais pas en France, à ma connaissance), en Australie (ou le « Ute » était indispensable dans toute gamme qui se respectait), et en Nouvelle-Zélande où il fut même fabriqué sur place.
La version restylée avait droit à une option « T-roof » intéressanteLa production continuera encore quelques années pour servir les marchés spécifiques d’Océanie et d’Asie du Sud Est, mais jamais le BRAT ne sera intégré à la gamme japonaise. Pourtant, il sera régulièrement importé de façon officieuse pour les amateurs du genre Nippon : il y a aussi des gars très « BR » dans l’archipel. Bref, si vous tombez sur un Sub’ BRAT, n’hésitez pas : c’est rigolo, rare aujourd’hui surtout dans nos contrées européennes, et particulièrement attachant surtout dans sa première version so 70’s. A bon entendeur !